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Nouvelles histoires de Demacia

Nouvelles histoires de Demacia
Riot a publié de nouvelles histoires concernant Demacia et ses champions : Galio, Garen, Jarvan IV, Lux, Shyvana, Vayne et Quinn. Bonne lecture !
 
 
Pour Demacia
 
Depuis quand Lux n'était-elle pas venue au nord, jusqu'à Fossemont ?
 
Elle n'était pas sûre, mais à vue de nez, sept ans. Garen venait à peine de commencer à s'entraîner au sein du Détachement hardi et le reste de la famille était venue dans la région s'incliner sur la tombe de l'arrière-grand-père Fossian. Lux se souvenait avoir maudit la pluie incessante tandis qu'ils remontaient les voies venteuses qui traversaient la forêt, de ravinements en crevasses, jusqu'au caveau de leur ancêtre. Elle s'attendait à un mausolée de marbre, comme le Hall des braves, mais elle fut déçue de ne découvrir qu'un monticule de verdure blotti au pied d'une falaise. Une plaque de marbre, à la base du monticule, narrait la légende de leur illustre ancien : Fossian et le démon chutant de la falaise, la blessure mortelle, l'entité maléfique traversée jusqu'au cœur par une lame demacienne.
 
Il pleuvait alors, il pleuvait toujours aujourd'hui. Un déluge froid tout droit venu de la chaîne qui séparait Demacia de Freljord. Le royaume de glace alimentait une tempête qui, éclatant sur les pics des confins, tombait en bourrasques hostiles sur les coteaux et les pins verdoyants de Demacia. À l'ouest et à l'est, les montagnes disparaissaient dans un ciel noir et menaçant qui évoquait à Lux les humeurs changeantes de son frère. Au nord, les hautes terres forestières étaient craquelées de falaises et de gouffres. Des terres dangereuses qui abritaient des créatures maudites et des bêtes sauvages de toutes sortes.
 
Lux s'était mise en route vers le nord deux semaines plus tôt : de Demacia à Edessa, puis à Pinara et enfin Lissus. De Lissus à Velorus, et enfin à Haut-Lac-d'Argent, la Cité des Griffons. Une nuit avec sa famille dans leur foyer du Rocher du Chevalier, puis les marches du nord-ouest de Demacia. Dès qu'elle avait quitté le cœur de Demacia, les gens et les villages avaient commencé à changer.
 
Les plaines fertiles avaient laissé place à un arrière-pays âpre de chardons et d'ajoncs. Les griffons à plumes d'argent glatissaient au-dessus d'elle, luttant, invisibles, dans une jungle de nuages. L'air était devenu plus froid, imprégné des glaces de Freljord, et les murs des comptoirs se faisaient de plus en plus hauts au fur et à mesure de la progression de la jeune femme. Le voyage avait été long et fatigant depuis Fossemont, mais elle était parvenue jusque-là et elle s'autorisa un fin sourire.
 
« Nous serons bientôt au temple, Feu astral », dit-elle en se baissant pour caresser la crinière de son cheval. « Ils auront de l'avoine et une étable chaude pour toi, je te le promets. »
 
Le cheval remua la tête et, d'impatience, tapa le sol du sabot. Lux donna du talon sur le flanc de l'animal et ils s'engagèrent sur la voie qui menait à la porte principale de Fossemont.
 
La ville occupait les rives du Serpentrion, un fleuve violent qui, des montagnes, dévalait jusqu'à la côte ouest. Les murs de la ville, tout en granit poli, suivaient les courbes des collines, et les bâtiments s'élevaient dans une composition de roc, de bois et de tuiles vertes. La tour d'un temple des Porte-lumière s'élevait à l'est et le feu qui brûlait à son sommet illuminait le crépuscule.
 
Lux ôta la capuche de son manteau bleu et secoua la tête pour libérer ses cheveux. Ses longues mèches d'or encadraient un visage juvénile aux pommettes hautes et des yeux d'aigue-marine qui scintillaient de détermination. Elle défit la lanière de cuir qui attachait à sa selle son bâton laqué d'or et d'ébène. Deux hommes apparurent sur la tour, au-dessus de la porte cadrée de fer, armés d'arcs longs de frêne et d'if.
 
« Halte-là, voyageuse », dit l'un des gardes. « La porte est fermée jusqu'à demain. »
 
« Je suis Luxanna Crownguard. Il est tard, en effet, mais je suis venue de très loin pour rendre hommage à mon arrière-grand-père. Je vous saurais infiniment gré de bien vouloir me laisser entrer. »
 
Le garde la reconnut et ses yeux s'écarquillèrent. Elle n'était plus venue à Fossemont depuis longtemps, mais Garen disait toujours à sa sœur qu'une fois qu'on l'avait vue, on ne pouvait plus jamais l'oublier.
 
« Dame Crownguard ! Pardonnez-moi ! » cria-t-il, avant de se pencher vers ses hommes, en dessous. « Ouvrez les portes. »
 
Lux fit avancer Feu astral tandis que les solides madriers disparaissaient dans la pierre de la barbacane avec un grondement métallique de lourdes chaînes. Dès que la porte fut assez haute, Lux la franchit et découvrit la garde d'honneur qu'on avait assemblée à la hâte pour l'accueillir : dix hommes en plastrons de cuir dont les manteaux bleus étaient retenus par des broches d'argent en forme d'épées ailées. C'étaient de fiers soldats demaciens, mais leur échine semblait courbée et leurs yeux trahissaient leur épuisement.
 
« Bienvenue à Fossemont », dit l'homme qui l'avait apostrophée en haut de la tour. « C'est un grand honneur, madame. Son excellence Giselle sera soulagée de vous savoir arrivée. Puis-je vous proposer un détachement de soldats pour vous accompagner à vos appartements ? »
 
« Merci, mais ça ne sera pas nécessaire », répondit Lux, intriguée par le mot « soulagée » que l'homme avait utilisé. « Dame Pernille m'attend au temple des Porte-lumière. »
 
Elle fit mine de repartir, mais sentit que le garde souhaitait toujours lui parler et elle retint doucement les reines de Feu astral.
 
« Dame Crownguard, êtes-vous venue mettre fin à notre cauchemar ? »

Le temple des Porte-lumière était sec et agréablement chauffé : une fois son destrier bien installé dans l'étable, Lux s'entretint longuement avec Dame Pernille. Des rumeurs de magie noire dans les forêts et les escarpements entourant Fossemont étaient remontées jusqu'aux Porte-lumière de la capitale demacienne et le Chevalier Kahina avait envoyé Lux enquêter.
 
Lux avait perçu quelque chose d'inquiétant dès qu'elle était entrée dans la ville, elle avait éprouvé le sentiment déplaisant d'être observée depuis la pénombre. Les quelques villageois qu'elle avait croisés dans les rues marchaient d'un pas fatigué, le corps lourd.
 
Un manteau de peur recouvrait Fossemont, pire que Lux ne l'avait imaginé.
 
« C'est à cause de Luca, le fils de Son Excellence Giselle », expliqua Dame Pernille, une femme aux cheveux de lin qui portait la robe pâle des guérisseurs porte-lumière.
 
« Que lui est-il arrivé ? » demanda Lux.
 
« Il est porté disparu depuis deux jours. De l'avis général, il a été capturé par un mage obscur dont les desseins sont effroyables. »
 
« D'où les gens tirent-ils cette impression ? »
 
« Reposez-moi la question au matin. »

Lux se réveilla en hurlant, son cœur cognant dans sa poitrine et son souffle haletant. La terreur emplissait son esprit ; un cauchemar de griffes l'entraînant sous terre, de boue fétide lui emplissant la bouche, de ténèbres étouffant à jamais sa lumière. Lux chassa les images, les ombres au coin de ses yeux. Elle avait sur la langue ce goût de lait rance qui désignait à coup sûr les vestiges magiques et elle laissa l'irradiation spectrale monter dans ses paumes. La lumière emplit la pièce et les derniers restes du cauchemar furent dissipés. La chaleur l'emplit et sa peau se mit à briller d'une irisation familière.
 
Elle entendit des voix à l'étage inférieur et serra les poings. La lumière s'éteignit aussitôt, ne laissant dans la chambre qu'un filet de la lumière du jour filtrée par les volets. Lux appuya des deux mains contre ses tempes, comme pour chasser de son esprit les horribles visions. Elle tenta de se remémorer des moments spécifiques de son rêve, mais il ne lui en restait que les relents méphitiques et les ténèbres sans visage qui l'écrasaient.
 
La bouche sèche, Lux s'habilla rapidement et prit son bâton dans l'angle de la chambre. Elle descendit dans la cuisine du temple et, en dépit de son faible appétit, se prépara un petit-déjeuner de pain et de fromage. La première bouchée eut un goût de terreau de cimetière et elle reposa le pain.
 
« Vous comprenez, à présent ? » demanda Pernille qui venait d'entrer et la rejoignit à la table. La peau, sous les yeux de la Porte-lumière, avait pris une couleur violette qui trahissait le manque de sommeil. Lux remarqua à ce moment seulement combien son hôte semblait épuisée.
 
« De quoi avez-vous rêvé ? » demanda Lux.
 
« Rien que j'ai envie de revivre en le racontant. »
 
Lux approuva lentement de la tête : « Il se passe quelque chose de terrible dans cette ville. »
Feu astral hennit en la voyant, ses oreilles tendues vers l'arrière du crâne et les yeux grands ouverts. Il la poussa du museau et elle flatta ses épaules d'un blanc de perle.
 
« Toi aussi ? » demanda-t-elle, et le cheval secoua sa crinière.
 
Lux prit la direction de la porte nord de Fossemont. L'aube était déjà levée depuis une heure, mais la ville n'était pas encore totalement éveillée. Aucune fumée ne montait des forges, aucune odeur de pain chaud ne s'échappait des fournils et seuls quelques marchands maussades ouvraient les portes de leur commerce. Les Demaciens étaient durs à la tâche, disciplinés, industrieux, et il était très étrange de voir un village frontalier peiner autant pour se mettre au travail. Mais si le peuple de Fossemont avait subi une nuit semblable à la sienne, elle ne pouvait pas leur reprocher leur difficulté à se lever.
 
Elle franchit la porte de la ville et lâcha la bride à Feu astral pour lui permettre de se dénouer les muscles sur la lande avant de revenir sur la route boueuse. L'étalon s'était brisé la patte, quelques années plus tôt, mais cela ne ralentissait en rien son galop.
 
« Tout doux, mon garçon », dit Lux tandis qu'ils s'enfonçaient dans la forêt.
 
L'odeur des pins et des fleurs sauvages alourdissait l'air et Lux savourait l'arôme naturel et capiteux des terres nordiques. La lumière du soleil perçait la canopée en rayons obliques et la senteur de la terre humide lui fit courir un frisson sur l'échine en réveillant brièvement le souvenir de son cauchemar. Elle s'enfonça plus profondément dans la forêt, suivant la piste du nord. Lux leva une main et la tendit vers un rayon de soleil scintillant ; elle sentit la magie qui l'habitait frémir en elle à ce contact. Elle ne s'y opposa pas et laissa sa lumière intérieure se répandre dans tout son corps comme un élixir.
 
Tout s'éclaira pour elle tandis que la magie saturait ses sens, les couleurs de la forêt soudain surnaturellement éclatantes et vivantes. La jeune femme perçut des particules scintillantes dériver dans l'air, le souffle des arbres et le soupir de la terre. C'était incroyable de voir le monde ainsi, vibrant de toutes les énergies vitales. Des simples herbages aux puissants hauts bouleaux dont on disait que les racines plongeaient jusqu'au cœur du monde.
 
Après avoir chevauché une heure dans cette forêt iridescente, Lux se trouva à un carrefour : l'une des routes conduisait à l'est, vers une communauté de bûcherons si ses souvenirs étaient bons, et l'autre menait vers la florissante mine d'argent à l'ouest. Son père possédait une part dans la mine et la fibule préférée de Lux était forgée dans le métal issu de ce filon. Entre les deux routes principales serpentait un petit chemin, presque invisible et à peine suffisant pour un cavalier solitaire ou un voyageur à pieds.
 
Sept ans plus tôt, elle avait déjà emprunté ce sentier et elle se demandait aujourd'hui pourquoi elle éprouvait une telle réticence à y engager Feu astral. Elle n'avait aucune raison d'emprunter cette route, car l'hommage à son arrière-grand-père n'était qu'un prétexte. Lux ferma les yeux et écarta les bras, laissant la magie couler de ses doigts et du sommet miroitant de son bâton. Elle emplit ses poumons d'air froid et laissa la lumière de la forêt parler pour elle.
 
Elle s'exprima en nuances contrastées de lumière et d'ombre, en couleurs scintillantes et en illuminations intenses. Lux sentit la lumière d'étoiles distantes couler comme de la brume, une lumière qui baignait d'autres mondes et d'autres peuples. Là où la lumière de Demacia tombait dans les ombres, la jeune femme frémissait. Mais si la lumière nourrissait la vie, Lux était apaisée. Elle se tourna sur sa selle, ses sens étirés bien au-delà de ceux des autres mortels, cherchant la puissance qui s'étendait sur cette terre comme une malédiction. Le soleil était presque à son zénith, et elle fronça les sourcils lorsqu'elle vit changer la lumière de la forêt. Les ombres s'emparaient de lieux où elles n'avaient pas leur place, des ténèbres étranges chassaient la lumière de sa place légitime. Son souffle s'épaissit dans sa poitrine, comme si une main serrait sa gorge, et une vague soudaine d'étourdissement la submergea. Ses paupières s'alourdirent, comme si elle était entraînée dans un assoupissement en plein jour.
 
Autour d'elle, la forêt était soudain silencieuse. Pas un souffle de vent n'agitait les feuilles des arbres, pas un brin d'herbe ne bougeait. Les griffons étaient silencieux, le jacassement des animaux s'était tu. Lux entendit le doux murmure d'un linceul que l'on serre.
 
Dormir...
 
« Non », dit-elle, agrippant son bâton – mais la fatigue artificielle continuait de l'envelopper, chaude, comme une couverture confortable. La tête de Lux tomba menton contre poitrine et elle ferma les yeux pour un très bref instant.
 
Le craquement d'une branche brisée et un frôlement de métal lui rouvrirent les yeux. Elle aspira beaucoup d'air, et le froid qui s'engouffra dans ses poumons la réveilla. Elle évacua les ténèbres qui embrumaient ses yeux et lâcha un soupir glacial en réveillant la magie qui s'assoupissait en elle. Elle entendit des cavaliers, le cliquetis des brides, le feulement du métal contre le métal. Des soldats en armure. Au moins quatre, peut-être davantage.
 
Lux n'avait pas peur. Pas encore, et sûrement pas de ces hommes. Quelle que fût la noirceur qui rôdait dans la forêt, c'était une menace bien plus effrayante. Il était difficile d'identifier sa force, ses compétences trahissaient un être éprouvant les limites de ce qu'il était capable de faire. Elle tira sur les rênes de Feu astral, lui faisant faire demi-tour pour affronter ce qui approchait. Des maraudeurs de Freljord ? Elle était trop loin dans les terres pour que ce fussent des pillards venus par la mer, et si un des forts de la grande montagne était tombé, le bruit en serait venu jusqu'à eux. Des hors-la-loi ? Peut-être. Rien de tout cela n'était dangereux pour Lux. Elle laissa la magie crépiter sous ses doigts, prête à déchaîner sa puissance dans de fracassantes boules de lumière.
 
La futaie s'ouvrit devant elle et cinq cavaliers firent leur apparition.
 
Des hommes massifs, intégralement revêtus de plaques d'armure rutilantes. Ils montaient des destriers à large poitrail, aucun plus petit que dix-sept mains, tous caparaçonnés de bleu cobalt. Quatre avaient tiré leur épée, le cinquième portait sa lame à poignée d'or dans un étui laqué de bleu en travers de son dos.
 
« Luxanna ? » demanda-t-il, la voix étouffée par son armet.
 
Lux soupira pendant que le chevalier ôtait son casque pour dévoiler des cheveux noirs et des traits minéraux qui symbolisaient si parfaitement Demacia qu'on se demandait pourquoi cet homme ne servait pas de modèle à l'hôtel des monnaies.
 
« Garen... »

Son frère était venu avec quatre membres du Détachement hardi.
 
Venus de n'importe quelle autre unité, quatre guerriers n'auraient pas signifié grand-chose, mais chaque combattant du Détachement hardi était un héros, une légende vivante dont l'épée était gravée des marques de ses exploits. On ne cessait de se répéter leurs accomplissements dans les tavernes et au coin du feu, partout dans Demacia.
 
Les mèches sombres et les yeux de même, Diadoro était l'épéiste à la barbe fournie qui avait, un jour durant, tenu les Portes du Deuil contre les innombrables armures de la Légion Trifarian. À ses côtés se tenait Sabator de Jandelle, le tueur de l'immonde guivre fouisseuse qui s'éveillait tous les cent ans pour faire bombance, mais qui dormait désormais d'un repos éternel. Ses crocs pendaient dans la salle du trône du roi Jarvan, à côté du crâne de dragon que venaient de lui apporter son fils et son énigmatique camarade.
 
Plus légère mais pas moins impressionnante, Varya avait mené la charge sur les ponts de la flotte des havsvargars, à Aubecastel. Elle avait mis le feu aux navires et, bien que gravement blessée, avait fauché la vie de leur chef enragé. Rodion, son frère jumeau, avait fait voile au nord jusqu'à Frostheld et avait rasé par le feu la ville portuaire, pour que plus aucune flotte n'ose déferler sur le sud.
 
Lux les connaissait tous, mais elle soupira intérieurement à l'idée de devoir supporter leurs histoires, ce soir, autour de la table. Oui, c'étaient des héros de Demacia et ils méritaient le respect, mais entendre pour la dixième fois les détails de leurs exploits épuisait Lux à l'avance.
 
Garen vint se ranger à ses côtés ; déjà, Fossemont apparaissait à l'horizon. Jusqu'à ce que la lumière décline, ils avaient arpenté toute la région, cherchant Luca ou un signe de malfaisance, mais ils n'avaient rien trouvé. Il est vrai qu'avec le bruit que faisaient Garen et ses camarades, n'importe quelle créature des ténèbres avait le temps de fuir bien avant leur arrivée. On aurait pu rêver plus furtif que cinq guerriers en armure et, sans sa magie pour l'aider, Lux était incapable de repérer la source de la puissance obscure dont elle avait senti la présence au début de la journée.
 
« Tu es vraiment là pour te rendre sur la tombe de Fossian ? »
 
« C'est ce que j'ai dit, non ? »
 
« Oui », répliqua Garen. « En effet. Mais cela me surprend. Mère semble croire que tu as détesté ta dernière visite. »
 
« Je suis étonnée qu'elle s'en souvienne. »
 
« Oh, elle s'en souvient très bien », dit Garen sans regarder sa sœur. « Quand la jeune Luxanna Crownguard ne prend pas plaisir à quelque chose, les cieux deviennent noirs, les nuages de pluie se déversent sur la terre et les prédateurs de la forêt courent se cacher. »
 
« Tu parles comme si j'avais été une enfant gâtée. »
 
« Avoue que ce n'est pas totalement faux », dit Garen, la pique à peine atténuée par son sourire. « On t'a passé des bêtises pour lesquelles j'aurais été dressé à coups de lanière. Mère me disait toujours de ne pas faire attention à ce que tu faisais. »
 
Les mots restèrent suspendus entre eux et Lux détourna les yeux, se souvenant qu'il ne fallait pas sous-estimer son frère. Tout le monde le savait honnête et franc, habile tacticien et fin stratège, mais rares ceux qui le savaient également subtil et rusé.
 
Lux savait que le sous-estimer était une grosse erreur. Oui, Garen n'était qu'un simple guerrier, mais simple n'a jamais voulu dire stupide.
 
« Que penses-tu qu'il soit arrivé à l'enfant ? » demanda Lux.
 
Garen fit passer ses doigts dans ses cheveux.
 
« Si je dois émettre une hypothèse, il a fait une fugue », dit-il. « Ou il a décidé de vivre une petite aventure et il s'est perdu dans la forêt. »
 
« Tu ne penses pas qu'un mage obscur s'est emparé de lui ? »
 
« C'est toujours possible, mais Varya et Rodion ont arpenté cette route il y a six mois et ils n'ont aperçu aucune trace de magie déviante. »
 
Lux approuva de la tête et demanda : « Tu as passé une nuit à Fossemont ? »
 
« Non », répondit Garen, alors qu'ils approchaient de la ville. « Pourquoi ? »
 
« Simple curiosité. »
 
« Il se passe quelque chose, par ici », interrompit Sabator face au soleil couchant, sa main en auvent au-dessus de ses yeux.
 
Garen regarda dans la même direction et perdit toute nonchalance. Sa posture changea, ses muscles se bandèrent, prêts à l'action, son regard se concentra. Les guerriers du Détachement hardi se mirent en formation à côté de lui, prêts à réagir.
 
« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda Lux.
 
Dans Fossemont, une foule en colère escortait un homme chancelant par une rue qui menait à la place du marché. Impossible d'entendre ce qu'elle hurlait, mais il n'était pas nécessaire d'entendre les mots pour comprendre la peur et la colère.
 
« En avant ! » lança Garen en donnant un coup d'éperons.

Feu astral était un cheval rapide, mais n'était pas de taille contre les destriers de guerre de Demacia. Lorsque Lux franchit les portes, les hurlements se répondaient d'un bout à l'autre de la cité. Les flancs de son cheval étaient couverts de sueur et ses sabots ferrés lançaient des étincelles sur les pavés. Lux arrêta Feu astral au bord du marché bondé et sauta à terre : devant elle se déroulait une scène qu'elle avait vue trop souvent à Demacia.
 
« Non, non, non... » murmura-t-elle en voyant deux gardes traîner un homme en larmes, comme s'il n'était que du bétail, sur la plateforme des ventes aux enchères. Les vêtements de l'homme étaient trempés de sang et il gémissait pitoyablement. Une femme portant la robe des magistrats demaciens, bordée d'hermine et décorée d'ailes de bronze, se tenait devant lui : Son Excellence Giselle, probablement. Des centaines de citoyens de Fossemont remplissaient la place, hurlant en tendant le poing vers l'homme. L'intensité de leur haine était palpable et Lux sentit sa magie remonter, comme attirée, jusqu'à la surface de sa peau. Elle maîtrisa la lumière qui montait et se fraya un passage dans la foule pour rejoindre Garen au pied des marches de la plateforme.
 
« Aldo Dayan », dit Son Excellence Giselle, le timbre tremblant d'émotion. « Je vous accuse d'être un meurtrier et le complice d'un mage obscur ! »
 
« Non ! » hurla l'homme. « Vous ne comprenez pas ! C'étaient des monstres ! J'ai vu leurs vrais visages ! Des ténèbres. Uniquement des ténèbres ! »
 
« C'est un aveu ! » cria Giselle.
 
La foule lui fit écho, chaque voix ivre de vengeance. Tout le monde semblait prêt à foncer vers la plateforme pour éviscérer Aldo Dayan et c'est peut-être ce qui serait survenu si quatre chevaliers du Détachement hardi n'avaient monté la garde, leurs épées bien en vue.
 
« Que se passe-t-il ? » demanda Lux en rejoignant Garen.
 
Son frère ne la regarda pas, il avait toujours les yeux fixés sur l'homme à genoux.
 
« Il a assassiné sa femme et ses enfants dans leur lit, puis s'est rué à l'extérieur et a attaqué ses voisins. Il a démembré trois personnes à la hache avant qu'on ne parvienne à le capturer. »
 
« Pourquoi a-t-il fait une chose pareille ? »
 
Enfin, Garen la regarda. « D'après toi ? Il doit y avoir un mage dans les parages. D'ignobles ténèbres vivent par ici. Seule l'influence néfaste d'un sorcier a pu mener un loyal sujet demacien à commettre de telles abominations. »
 
Lux ravala une réplique cinglante. Laissant Garen derrière elle, elle monta les marches de la plateforme et alla jusqu'à l'homme à genoux.
 
« Dame Crownguard ? Que faites-vous ? » demanda Giselle.
 
Lux l'ignora et prit la tête de l'homme par le menton pour la relever. Son visage était couvert d'hématomes, un œil gonflé et fermé. Sang et morve coulaient de son nez et il ne retenait pas la bave qui dégoulinait de ses lèvres fendues.
 
« Regardez-moi », dit-elle – et les yeux de l'homme cherchèrent à faire le point sur elle. Ils étaient injectés de sang et surmontaient des poches violacées : le regard d'un homme qui n'avait pas dormi depuis des jours.
 
« Dayan, dites-moi pourquoi vous avez tué votre famille », fit Lux. « Pourquoi avez-vous attaqué vos voisins ? »
 
« Pas eux. Non. J'ai vu. Ce n'étaient pas eux, c'étaient... des monstres... » sanglota l'homme. « Les ténèbres sous une peau humaine. Rôdant depuis toujours parmi nous ! Je me suis éveillé et j'ai vu leurs vrais visages ! Alors je les ai tués ! Il le fallait. Il le fallait ! »
 
Son Excellence Giselle s'approcha de Lux. Lux vit une souffrance à déchirer l'âme sur les traits du magistrat. Elle avait pris dix ans en deux jours. Elle regarda Aldo Dayan avec dégoût, ses poings serrés contre ses cuisses.
 
« As-tu tué mon Luca ? » demanda-t-elle, sa voix brisée par la peine. « As-tu tué mon fils ? Simplement parce qu'il était différent ? »
 
Des appels à la vengeance montèrent de la foule alors que le soleil disparaissait à l'ouest et que les ombres s'allongeaient. Boue et fumier furent jetés à pleines poignées sur Aldo Dayan ; ses anciens amis, ses voisins réclamaient sa mort. Il s'agita sous la poigne des gardes, la bouche écumante et crachant de la salive rouge.
 
« Il fallait que je les tue ! » hurla-t-il, fixant ses accusateurs avec un regard de défi. « Ce n'étaient pas eux. Ce n'étaient que les ténèbres. Vous auriez fait la même chose à ma place ! »
 
Lux se tourna vers Giselle.
 
« Que vouliez-vous dire en révélant que votre fils était différent ? »
 
La douleur du magistrat la dévorait, mais Lux repéra une honte cachée sous toute cette souffrance. Les yeux de Giselle étaient rouges et gonflés de fatigue, mais avaient néanmoins trahi le même regard que Lux avait surpris chez sa mère toute son enfance quand elle échouait à contrôler ses pouvoirs. C'était aussi le regard qu'elle observait chez son frère quand il croyait ne pas être vu.
 
« Que vouliez-vous dire ? » demanda-t-elle de nouveau.
 
« Rien », répondit Giselle. « Je ne voulais rien dire. »
 
« Différent en quoi ? »
 
« Différent, c'est tout. »
 
Lux avait déjà entendu ce genre d'esquives maladroites et elle comprit soudain en quoi le fils du magistrat était différent.
 
« J'en ai assez entendu », dit Garen en montant sur la plateforme, sa longue épée crissant en sortant de son fourreau. La lame scintilla dans la lumière du crépuscule, son fil fin comme une feuille.
 
« Garen, ne fais pas ça », dit Lux. « Cette histoire m'a l'air plus compliquée. Laisse-moi lui parler. »
 
« C'est un monstre », dit Garen, faisant tournoyer sa lame pour la poser sur son épaule. « Même s'il n'est pas un serviteur du mal, il reste un meurtrier. Il ne peut y avoir qu'une punition. Excellence ? »
 
Giselle détourna de Lux des yeux remplis de larmes. Elle approuva de la tête.
 
« Aldo Dayan, je vous déclare coupable et j'en appelle à Garen Crownguard du Détachement hardi pour exécuter la sentence de la justice demacienne. »
 
L'homme leva la tête et les sourcils de Lux se froncèrent lorsqu'elle sentit... quelque chose passer à travers lui. Le murmure d'une présence. La sensation disparut avant qu'elle n'ait eu le temps d'être sûre, mais un souffle d'air froid lui hérissa le poil.
 
Les membres de Dayan eurent un spasme de vagabond affligé par le mal sacré. Il murmura quelque chose, à peine audible, mais déjà Garen soulevait son épée pour lui porter un coup fatal. Les derniers mots de Dayan furent presque totalement noyés par le rugissement triomphal de la foule, mais Lux parvint à les saisir.
 
La lumière décline...
 
« Attends ! » cria-t-elle alors que la lame tombait.
 
La tête de l'homme roula au sol dans un hurlement titanesque de la foule. Le corps tomba sur la plateforme dans une mare de sang. La tête ne s'arrêta qu'aux pieds de Giselle ; de la fumée s'extirpait en tournoyant du cadavre d'Aldo Dayan comme de la bile noire crachée par une chair purulente. Le magistrat recula, sous le choc, tandis qu'une forme fantomatique aux longues griffes surgissait du crâne de l'homme mort.
 
L'ombre spectrale se précipita sur Giselle dans un sifflement furieux. La femme hurla quand la silhouette la traversa, avant de se dissiper comme des cendres emportées par le vent. Lux sentit le souffle de cette chose immonde, une énergie si vile, si inhumaine, si haineuse qu'elle défiait l'imagination. Giselle s'effondra, sa chair blême, pleurant de terreur.
 
Lux mit un genou à terre tandis qu'une myriade de visions d'horreur s'élevait en elle ; la peur d'être enterrée vivante, d'être chassée de Demacia par son frère, des mille manières dont une vie peut s'achever dans de terribles souffrances. Sa lumière intérieure lutta contre ces cauchemars et le souffle de Lux scintilla de fragments lumineux lorsqu'elle cracha pour chasser de sa bouche le goût de la mort.
 
« Lux... »
 
Garen murmurait, et il fallut un moment à la jeune femme pour comprendre pourquoi elle avait pu l'entendre dans les clameurs de la foule. Lux détourna les yeux du magistrat qui sanglotait et sentit la magie courir autour de son corps avec vigueur.
 
La foule s'était tue, totalement immobile.
 
« Lux, que se passe-t-il ? » demanda Garen.
 
Lux repoussa les images atroces qui encombraient encore son esprit et suivit le regard de Garen tandis que les guerriers du Détachement hardi venaient se placer aux côtés de leur chef.
 
Puis, l'un après l'autre, les citoyens de Fossemont tombèrent au sol, comme si la vie avait quitté leur corps.
 
Lux serra les dents et se remit sur pieds.
 
Le soleil avait disparu derrière le mur occidental de la cité et elle écarquilla les yeux en voyant de vaporeuses formes noires s'élever des corps inconscients des habitants. Il n'y en avait pas deux semblables et Lux vit s'assembler une armée de démons en armure noxienne, d'énormes araignées, de serpents aux têtes innombrables, de guerriers-démons géants aux haches de glace, de grands dragons aux crocs en lames d'obsidienne et tout un pullulement de choses qu'un esprit sain ne saurait décrire.
 
« Sorcellerie », dit Garen.

 Les créatures de l'ombre se dirigèrent vers la plateforme, glissant dans l'air sans un bruit. Un déferlement d'horreurs cauchemardesques.
 
« Qu'est-ce que c'est que ça ? » demanda Varya.
 
« Les pires cauchemars des habitants de Fossemont qui ont pris forme », dit Lux.
 
« Comment le sais-tu ? » demanda Sabator.
 
« Je le sais, c'est tout », répondit Lux, sachant qu'elle ne pouvait rester ici pour combattre. Ses talents seraient plus utiles ailleurs et le Détachement hardi était capable de se débrouiller seul. Elle plaça son pouce et son index sur sa lèvre inférieure et siffla une note d'appel avant de se tourner vers Garen.
 
« Je sais comment mettre fin à tout ceci », dit-elle.
 
« Comment ? » demanda Garen, sans détourner les yeux de la horde de démons qui approchaient.
 
« Peu importe. Essaie seulement... de ne pas mourir avant mon retour. »
 
Lux courut jusqu'à l'extrémité de la plateforme tandis que Feu astral galopait parmi les créatures. Le destrier passa sans encombre, ses rêves et ses cauchemars ne représentant aucun intérêt pour la puissance qui s'étendait sur la cité. Lux sauta de la plateforme, s'accrocha à la crinière du cheval pour se rétablir d'un geste sur la selle.
 
« Où vas-tu ? » demanda Garen.
 
Le cheval se cabra et Lux se tourna vers son frère.
 
« Tu le sais déjà. Je vais rendre hommage à l'arrière-grand-père Fossian ! »

 Garen regarda sa sœur s'enfoncer dans la foule démoniaque, zigzaguant entre les corps des habitants de la ville. Des griffes se tendirent vers elle, mais, maîtrisant son cheval, elle esquiva toutes les attaques. Lux passa la meute et ne s'arrêta que le temps de dresser son bâton.
 
« Pour Demacia ! » cria-t-elle.
 
Le Détachement hardi répondit en faisant retentir les épées contre les boucliers.
 
« Pour Demacia ! » répondirent-ils à l'unisson.
 
Lux s'éloigna de la ville au grand galop. Garen se redressa dans l'attente du corps à corps et leva son épée.
 
« En formation ! » cria-t-il pour inciter ses camarades à adopter la posture de combat. Varya et Rodion gardaient sa gauche, Sabator et Diadoro sa droite.
 
« Nous sommes le Détachement hardi », dit Garen, plaçant la garde de son épée sous ses yeux perçants. « Que le courage et un œil d'aigle guident nos lames. »
 
Les molosses démoniaques aux prunelles noires atteignirent les premiers la plateforme et sautèrent dessus, tous crocs dehors. Garen et ses camarades les accueillirent avec un mur de boucliers, leurs épées prêtes. La paroi de fer repoussa les agresseurs. Bien que les ennemis fussent composés d'ombre et de colère, ils combattaient avec puissance et habileté. Garen fit un pas et frappa l'une des bêtes là où sa colonne vertébrale aurait dû se trouver. Le monstre explosa dans un nuage de poussière noire avec un cri d'angoisse.
 
Garen releva sa lame et se retourna. Sa lame repoussa la mâchoire d'un autre démon. Il fit rouler ses poignets, fléchit son épaule et renvoya la bête au sol. Il prit appui du pied sur sa poitrine et la bête rugit en se disloquant. L'épée de Garen se redressa juste à temps pour bloquer le coup mortel d'une silhouette qui évoquait un immense guerrier de Freljord. L'impact le jeta à genoux.
 
« Je combattrai aussi longtemps que je tiendrai debout ! » dit-il entre ses dents – il bondit sur ses pieds en poussant un rugissement et il enfonça le pommeau de son arme dans le crâne cornu du guerrier. Ce dernier s'évapora dans une explosion de cendres et Garen pivota pour enfoncer son épée dans le ventre d'une autre bête.
 
Sabator décapita un molosse tandis que Diadoro tranchait de son bouclier un serpent. Varya, de la poignée de son épée, frappa les crocs d'un guerrier-démon sans visage pendant que Rodion plantait son arme dans l'ennemi de sa jumelle.
 
À chaque coup mortel, les créatures des ténèbres explosaient dans un tourbillon de cendres ambrées. L'épée de Garen brilla d'un éclat lunaire et la lame d'argent plongea dans le corps d'une sorte de scorpion.
 
Des serres sombres s'abattirent sur sa tête. Le bouclier de Sabator para l'attaque. Varya trancha la patte du monstre qui disparut. Une hideuse créature se jeta sur Rodion qui lui enfonça sa lame dans le crâne. Elle hurla en périssant. Mais à chaque ombre détruite, dix prenaient sa place.
 
« Dos à dos ! » hurla Garen, et les épaulières des cinq guerriers s'entrechoquèrent. Ils combattirent flanc à flanc dans un cercle d'acier, fanal de lumière dans les ténèbres.
 
« Montrez-leur la puissance de Demacia ! »

 Lux chevauchait à travers la forêt et les arbres disparaissaient derrière elle aussitôt aperçus. La lumière brillait au sommet de son bâton, éclairant son chemin de puissants rayons lumineux. Galoper ainsi dans la forêt n'était pas sans danger, même avec sa lumière pour guide, mais elle devait faire vite : les cauchemars qui assaillaient Garen et le Détachement hardi attaquaient sans discontinuer. L'imagination humaine était un puits sans fond de cauchemars : peur de la mort et de la souffrance, crainte des infirmités, hantise de perdre des êtres chers.
 
Elle reprit la route qu'elle avait empruntée le matin même, laissant la puissance de la magie se transmettre à Feu astral pour lui conférer une sûreté de vision surnaturelle. Lux et sa monture traversèrent la nuit jusqu'au croisement. Ignorant les routes de l'est et de l'ouest, Feu astral sauta par-dessus les fougères qui bloquaient le passage du nord.
 
Le sentier vers la tombe de l'arrière-grand-père Fossian.
 
En dépit de sa légèreté et de l'assurance de son cheval, Lux fut contrainte de ralentir sa course sur ce chemin de plus en plus escarpé et rocailleux. Plus elle approchait de la tombe, plus le paysage commençait à changer, prenant progressivement l'allure d'un décor de conte pour effrayer les enfants. Les arbres laissaient traîner jusqu'à terre des rameaux noirs, leurs branches tordues et noueuses comme des mains griffues s'accrochant à ses cheveux, à son manteau. Les trous qui crevassaient les troncs ressemblaient à des bouches hurlantes et des araignées venimeuses tournoyaient au bout de leurs fils dans les plus hautes branches. Le sol se fit de plus en plus spongieux, ses mares d'eau stagnante évoquant un bosquet abandonné par le petit peuple.
 
Feu astral s'arrêta à l'entrée d'une clairière plongée dans la pénombre et agita la tête, les naseaux palpitant de peur.
 
« Tout doux, mon garçon », fit Lux. « La tombe de Fossian n'est plus très loin. Encore un effort. »
 
Mais le cheval refusa obstinément de faire un pas de plus.
 
« Soit. Je me débrouillerai toute seule. »
 
Elle descendit de son destrier et entra dans la clairière en portant haut son bâton. Sa lumière vacillait comme une lanterne en pleine tempête, mais lui donnait juste assez de clarté pour lui permettre de poursuivre.
 
Le monticule de la tombe de Fossian semblait plus noir que l'obscurité et son sommet était couronné par un cairn. De la fumée noire montait dans un ciel où tourbillonnaient les images d'horreurs anciennes attendant leur heure pour s'emparer du monde. Des lignes noires serpentaient le long de la grande plaque qui narrait les exploits de Fossian.
 
Un jeune garçon de douze ou treize ans était assis devant, en tailleur, son corps mince agité comme par une transe. Des radicules de fumée noire s'élevaient de la tombe pour venir s'enrouler autour de son cou comme des vignes grimpantes.
 
« Luca ? » appela Lux.
 
Les mouvements du garçon cessèrent.
 
Il se tourna pour faire face à Lux et elle eut un haut-le-corps à la vue de ses yeux sans âme. Un sourire cruel fendit son visage.
 
« Plus maintenant », dit-il.

 Une araignée aux pattes hérissées de crochets attaqua Garen par-derrière, son ventre gonflé distendu par des myriades d'yeux et de mâchoires. Il fendit son thorax et fit basculer d'un coup de pied la créature en bas de la plateforme ; son corps se désintégra.
 
Garen sentit le froid s'immiscer dans les muscles de ses épaules : une griffe noire avait traversé son épaulière. Le métal ne se fendit pas. La griffe passa à travers sans résistance et Garen éprouva jusqu'à la nausée la révulsion qui s'empara de lui. Il sentit une odeur de terre tombale ; les relents fétides d'un sépulcre multiséculaire. Il tâcha de maîtriser la douleur, comme on lui avait appris à le faire.
 
Rodion chuta quand une lame courbe se glissa sous son plastron et plongea dans son flanc. Il hurla de douleur et son bouclier s'affaissa.
 
« Redresse-toi ! » hurla Garen. « Refuse la douleur. »
 
Rodion obéit, honteux de sa faiblesse ; les créatures semblaient se piétiner dans leur hâte à submerger le Détachement hardi.
 
« Il en vient toujours plus ! » cria Varya.
 
« Alors nous combattrons toujours plus ! » répondit Garen.

 Lux n'avait qu'une envie, fuir cette clairière maudite, mais elle marcha vers le jeune garçon. Ses yeux étaient striés de noir : des cauchemars prêts à se former, nourris du riche terreau de la fragilité humaine. Elle sentit une intelligence froide et calculatrice la jauger.
 
Luca fit un geste de la tête et se mit debout. Des ombres murmurantes s'assemblèrent au bord de la clairière, des monstres et des terreurs rôdant à l'extrémité du champ de vision de Lux et qui se déplaçaient pour l'encercler.
 
« Tes cauchemars sont innombrables », dit le jeune garçon. « Je pense que je vais te fendre le crâne avec une pierre pour les en extraire. »
 
« Luca, ce n'est pas toi », dit Lux.
 
« Dis-moi, qui crois-tu donc que je sois ? »
 
« Le démon qui gît dans cette tombe », dit Lux. « Tu n'étais sûrement pas aussi mort que les gens le croyaient quand ils ont enterré Fossian. »
 
Luca sourit, sa bouche si largement ouverte que la peau s'en déchira aux extrémités. Des filets de sang tombèrent sur son menton.
 
« Et même pas mort du tout », dit-il. « Endormi. En repos. En régénération. Je me préparais. »
 
« Tu te préparais à quoi ? » demanda Lux en se forçant à faire un pas de plus.
 
L'enfant leva un doigt réprobateur. Lux s'immobilisa, incapable de faire un pas de plus.
 
« Tout doux, tout doux », dit-il, se penchant pour prendre une pierre pointue. « Laisse-moi d'abord me découper un petit cauchemar. »
 
« Luca », dit Lux, incapable de bouger, mais pas privée de sa voix. « Tu dois le combattre. Je sais que tu le peux. Il y a de la magie en toi. Je sais que c'est le cas, que c'est pour ça que tu t'es enfui. C'est pour ça que tu es venu jusqu'ici, pour te tenir aux côtés de quelqu'un qui a battu un démon. »
 
Le monstre qui avait revêtu la peau du garçon ricana et l'herbe dépérit autour de lui à ce bruit.
 
« Ses larmes étaient comme de l'eau dans le désert », dit-il, avançant pour lui tourner autour, comme s'il cherchait le meilleur angle pour fendre le crâne de Lux. « Elles m'ont éveillé, elles m'ont nourri. J'avais dormi si longtemps que j'en avais oublié la saveur des souffrances mortelles. »
 
Le garçon tendit le bras et lui caressa la joue. Ce contact fit courir une décharge de terreur dans tout le corps de la jeune femme. L'adolescent retira son doigt et un fil de brume suivit le mouvement. Lux frissonna, remplie soudain de la peur de se noyer. Une larme coula sur sa joue.
 
« Je l'ai assoupi et ses rêves étaient gangrenés d'horreurs qu'il suffisait de rendre réelles », dit le garçon. « Sa puissance est faible, une simple braise comparée à la fournaise qui brûle à l'intérieur de toi. Il ne m'a guère fourni de substance réelle, mais les peurs enfantines sont un banquet pour qui est resté si longtemps à la diète. Demacia est un enfer pour ceux de son espèce. Pour ceux de ton espèce. »
 
Lux sentit sa magie battre en retraite devant cette créature, les ténèbres envahir la clairière, étouffer sa lumière jusqu'à n'en faire plus qu'une étincelle. Mais une étincelle pouvait suffire à enflammer toute une forêt.
 
« Tout le monde le haïssait. Luca le savait. Vous autres mortels êtes prompts à craindre ce que vous ne comprenez pas. Il fut très facile d'alimenter ces flammèches et d'en extirper les plus somptueuses visions de terreur. »
 
Lux bougea ses doigts. Ce fut douloureux ; mais la douleur signifiait qu'elle avait le contrôle. Elle s'en servit. Elle cajola l'étincelle qui croissait en elle, la protégea contre sa peur, la laissa se réinstaller lentement dans son corps.
 
« Luca, je t'en prie », dit-elle, luttant pour articuler chaque syllabe. « Tu dois le combattre. Ne le laisse pas se servir de toi. »
 
Le garçon éclata de rire. « Il ne peut pas t'entendre. Et même s'il le pouvait, tu sais pertinemment qu'il a raison d'avoir peur de ce qui lui arriverait si ses propres concitoyens découvraient la vérité sur lui. Il représente ce qu'ils haïssent le plus. Un mage. Tu es bien placée pour savoir ce que ça signifie. »
 
La douleur se propagea dans le bras de Lux avant de se répandre dans sa poitrine. Les yeux mangés de noir du garçon se rétrécirent lorsqu'il sentit cette magie se développer.
 
« Oui, je sais ce que cela signifie », dit Lux. « Mais je ne permets pas à la peur de me définir. »
 
La jeune femme abattit son bâton sur l'adolescent avec un hurlement de douleur. Ses membres la brûlaient et le coup fut maladroit. Le garçon sauta en arrière, mais trop lentement. L'extrémité du bâton effleura la peau de sa joue.
 
Ce contact fut éphémère, mais il suffit.

Le Détachement hardi tranchait à l'épée, écrasait au bouclier, mais nul ne peut combattre indéfiniment.
 
Au bout du compte, les guerriers allaient être submergés par les ombres.
 
Une meute de créatures informes attaqua sur la gauche, déviant les coups de Diadoro de tout leur corps. Un coup rebondit sur son bouclier pour s'abattre sur son épaulière. Il grogna et enfonça son épée dans le ventre d'une bête à la chair noire dont la tête évoquait les dragons.
 
« En avant ! » hurla Sabator. « Empêche-les de progresser ! »
 
Garen frappa l'ombre d'estoc, taille dans les entrailles, fente dans la poitrine. Jusqu'à la garde et pivot. Ne pas cesser de bouger. Un mouvement à droite, un crâne d'insecte hululant avec des crocs de dagues. Frapper aux yeux. La bête hurla et explosa dans un nuage de cendres et de fumée.
 
Deux autres. Plus assez de place pour un large mouvement d'épée. Un coup avec le pommeau, dans la poitrine du premier. La lame transperça l'autre de part en part. Le monstre battit en retraite. Garen fit un pas en arrière, à la hauteur de Varya et Rodion. Tous étaient couverts de cendres des pieds à la tête.
 
« Nous tenons », dit Garen.
 
« Mais combien de temps encore ? » demanda Diadoro.
 
Garen regarda vers le nord, où une lumière lointaine brillait dans la forêt.
 
« Aussi longtemps qu'il faudra à Lux. »
 
Les ombres marchaient toujours sur eux.

Lux déversa sa lumière dans Luca et une illumination aveuglante blanchit la clairière. Le monstre qui possédait le jeune garçon fut arraché à sa chair dans un crissement de fureur et de désespoir. Un feu immaculé s'emparait de toute chose autour d'eux. Les ténèbres fuyaient devant l'extraordinaire puissance de Lux et l'incandescence de sa lumière chassait les ombres. L'irradiation ne cessait de croître : bientôt, ni la forêt ni la tombe ne furent plus visibles, avalées par une extension permanente de néant lumineux. Devant Lux, un jeune garçon était assis, ses genoux relevés contre sa poitrine. Il redressa la tête et ses yeux étaient ceux d'un enfant effrayé.
 
« Peux-tu m'aider ? » demanda-t-il.
 
« Oui », dit Lux, qui alla s'asseoir à côté de lui. « Mais pour cela, tu dois revenir avec moi. »
 
Il secoua la tête. « Je ne peux pas. J'ai trop peur. L'homme-cauchemar est dans les parages. »
 
« C'est vrai, mais ensemble, nous pouvons le vaincre. Je vais t'aider. »
 
« C'est vrai ? »
 
« Si tu acceptes de me laisser faire », dit Lux avec un sourire. « Je sais ce que tu traverses, je sais que tu as peur de la réaction des gens s'ils apprennent ce que tu peux faire. Crois-moi, j'ai bien connu cela moi aussi. Mais tu n'as pas à avoir peur. Ce qu'il y a à l'intérieur de toi... Ce n'est pas maléfique. Ce ne sont pas des ténèbres. C'est la lumière. Une lumière que je peux t'aider à contrôler. »
 
Elle lui tendit la main.
 
« Tu me le promets ? »
 
« Je te le promets », dit Lux. « Tu n'es pas seul, Luca. »
 
L'enfant saisit sa main comme un homme qui se noie s'empare d'une corde qu'on lui lance.
 
La lumière grandit encore, d'une clarté insoutenable, et quand elle disparut, Lux vit la clairière telle qu'elle était dans les souvenirs de son pèlerinage sept ans plus tôt. De l'herbe verte, un tertre surmonté d'un cairn et d'une plaque narrant les exploits de Fossian. Les ténèbres qui avaient métamorphosé un temps la forêt avaient disparu. Les arbres griffus n'étaient plus que des arbres, le ciel une voûte parsemée d'étoiles. Les hululements des rapaces nocturnes se répondaient sous la canopée.
 
Luca tenait toujours sa main ; il sourit à Lux.
 
« Il est parti, l'homme-cauchemar ? »
 
« Je crois », dit-elle, captant l'arrière-goût amer des puissances obscures quand elles s'effacent. « Du moins pour l'instant. Je ne pense plus qu'il soit dans cette tombe désormais, il a quitté les lieux. Pour le moment, c'est tout ce qui compte. »
 
« On peut y aller, alors ? » demanda Luca.
 
« Oui. Rentrons. »

Le froid engourdissait Garen. Ses membres étaient de plomb, traversés de part en part par des griffes d'ombre. Ses veines étaient remplies de glace et le gelaient jusqu'au cœur ; ses prunelles tournaient à l'anthracite.
 
Sabator et Diadoro gisaient à terre et leur peau noircissait. Rodion était à genoux, une serre l'étranglait. Varya se battait toujours, le bouclier pendant invalide à son côté, mais l'épée toujours en mouvement.
 
Garen avait dans la bouche le goût des cendres et du désespoir. Il n'avait jamais été vaincu. Pas comme ça. Même le jour où il avait cru Jarvan mort, il avait trouvé le courage de continuer. Aujourd'hui, sa vie lui était arrachée à chaque inspiration.
 
Une immense silhouette se dressa devant lui, celle d'un démon cornu armé d'une hache des ténèbres. Il avait l'allure d'un guerrier sauvage que Garen avait tué des années plus tôt. Le Demacien leva son épée, prêt à mourir en hurlant le nom de sa patrie.
 
Un vent d'été se mit à souffler. La lumière, dans ce ciel du nord, prit l'intensité d'un soleil qui se lève.
 
Les créatures de l'ombre disparurent, balayées comme des feuilles dans un ouragan. Le vent et l'étrange luminosité se déversèrent sur la place comme une aube soudaine et les ombres fuirent devant eux.
 
Garen expira tout l'air de ses poumons, surpris d'en être encore capable. Rodion avala tout l'air qu'il put pendant que Sabator et Diadoro se remirent debout. Ils regardèrent autour d'eux, stupéfaits, tandis que les derniers vestiges de ténèbres étaient bannis et que les villageois revenaient à la vie.
 
« Que s'est-il passé ? » demanda Varya.
 
« Lux », répondit Garen.

Luca avait retrouvé une mère emplie de gratitude, et Dame Pernille des Porte-lumière avait reçu des instructions précises pour l'éducation du garçon : Lux et Garen pouvaient enfin quitter Fossemont par la porte sud à la tête du Détachement hardi. Les émotions de la cité s'étaient apaisées, mais la culpabilité flottait autour de chaque villageois que les chevaliers croisaient. Nul, dans la ville, ne se souvenait de ce qui s'était passé après l'exécution, mais tout le monde savait avoir joué un rôle dans la mort de leur concitoyen.
 
« Que la Dame Voilée t'accueille en son sein », dit Lux en voyant passer la procession funéraire d'Aldo Dayan.
 
« Penses-tu vraiment qu'il mérite une telle clémence ? » demanda Garen. « Il a tué des innocents. »
 
« C'est vrai », dit Lux, « mais comprends-tu pourquoi ? »
 
« Est-ce que ça compte ? Il était coupable de plusieurs crimes et il en a payé le prix. »
 
« Bien sûr que ça compte. Aldo Dayan était leur ami et leur voisin. Ils ont partagé avec lui leur bière à la taverne, échangé des plaisanteries dans la rue. Leurs fils et leurs filles ont joué avec ses enfants. Dans leur hâte à le juger, ils ont perdu toute chance de comprendre ce qui avait conduit à un tel massacre. »
 
Garen ne quittait pas la route des yeux.
 
« Ils ne veulent pas comprendre », dit-il enfin. « Ils n'ont pas besoin de ça. »
 
« Comment peux-tu dire une chose pareille ? »
 
« Nous vivons dans un monde qui n'autorise pas de telles nuances, Lux. Demacia est menacée de toutes parts par de terribles adversaires, les tribus sauvages du nord, un empire avide à l'est et la puissance des mages obscurs qui menacent le tissu même de notre réalité. Par nécessité, nous n'avons droit qu'à des jugements absolus. Permettre le doute nous affaiblit. Je ne peux pas permettre que nous soyons affaiblis. »
 
« Même si tel en est le prix ? »
 
« Oui. C'est pourquoi je fais ce que je fais. »
 
« Pour Demacia ? »
 
« Pour Demacia », dit Garen.
 
 
Galio Square 0 Galio - La chair et la roche
 
« L'ombre s'efface devant la lumière », répéta à voix basse la jeune fille.
 
Elle récitait souvent ce mantra lorsqu'elle se sentait sur le point de perdre le contrôle d'elle-même. Âgée seulement de treize ans, elle connaissait déjà différents subterfuges pour soulager les symptômes de son mal. Mais ce jour-là, ces mots ne l'aidaient guère. Ce jour-là, elle avait besoin d'être seule.
 
Elle luttait pour contenir ses larmes. Tout en évitant de croiser le regard des passants, elle marchait d'un pas vif en direction des sentinelles scrutatrices des portes de la ville. Si elle était arrêtée, elle craignait de craquer et de tout avouer. Au moins, je n'aurais plus à me cacher, pensa-t-elle.
 
Mais elles ne prêtèrent pas attention à elle au moment où elle franchit l'arche en direction des champs qui s'étendaient au-delà de la ville.
 
À bonne distance du grand chemin, la fille trouva un renfoncement discret sur la pente d'une colline boisée. Quand elle fut certaine de ne plus être vue, elle attrapa un mouchoir dans sa poche, le posa sur son visage et éclata en sanglots.
 
Les larmes coulaient abondamment sur ses joues. Si quelqu'un avait pu la voir dans cet état, il aurait sans doute été bien en peine de la reconnaître. Pour tous, elle était une jeune fille optimiste qui leur disait joyeusement bonjour ! et contente de vous voir ! chaque matin, quelles que soient les circonstances.
 
Cette autre facette d'elle-même, plus triste et certainement moins conforme à l'esprit demacien, elle ne la montrait à personne.
 
Alors qu'elle étanchait ses larmes à l'aide de son fin mouchoir de lin, elle reprit lentement ses esprits. Elle osa enfin repenser aux événements à l'origine de son chagrin. Elle se trouvait en classe avec ses camarades quand son regard s'était détourné vers une fenêtre ouverte. Les mouches nectarivores fuchsia qui volaient en nuée à l'extérieur étaient bien plus intéressantes que le cours de tactiques ennuyeux de leur instructeur. Leur danse, bien que désordonnée, donnait lieu à un chaos vivace d'une surprenante beauté. Absorbée par leurs arabesques, elle avait ressenti une joie intense qui lui avait réchauffé le cœur.
 
Cette chaleur lui était familière. Elle était le plus souvent capable de la contenir, comme on remet dans un matelas les plumes qui s'en échappent. Mais ce jour-là, la chaleur était si intense qu'elle semblait avoir pris vie. Elle la sentit brûler jusque derrière ses dents et menacer d'exploser devant tout le monde dans un éventail de teintes irisées, ce qui ne lui était jusque-là arrivé qu'en privé.
 
Un court instant, un mince filet de lumière blanche s'échappa de ses doigts.
 
Non ! Ils ne doivent pas voir ça ! se dit-elle, en espérant que cela dissipe la lueur.
 
Pour la première fois de sa vie, elle se sentit submergée. Elle n'avait qu'un seul moyen de se préserver. Elle devait partir. Elle se leva et rassembla ses affaires.
 
« Luxanna », dit l'instructeur. « Qu'est-ce que tu... »
 
« L'ombre s'efface devant la lumière », murmura-t-elle, avant de quitter précipitamment la pièce sans donner d'explication. « L'ombre s'efface devant la lumière. L'ombre s'efface devant la lumière. »
 
Elle acheva de sécher ses larmes, entourée du calme de la forêt, puis se mit à marcher en s'éloignant de plus en plus de la ville. Elle commença à réfléchir aux conséquences de cet incident. Bientôt, toute la citadelle allait savoir qu'une élève s'était échappée d'un cours sans permission. Quelle allait être sa punition pour un tel acte de désobéissance ?
 
Quelle qu'elle fût, elle la préférait de toute façon à l'autre possibilité. Si elle était restée, elle aurait fini par éclater et ainsi remplir le bâtiment tout entier d'une lumière aussi pure qu'aveuglante. Tout le monde aurait découvert que le mal qui la rongeait était la magie.
 
Et alors, les neutralisateurs seraient venus.
 
Une ou deux fois déjà, la jeune fille avait assisté dans la rue aux opérations des neutralisateurs qui, armés de leurs étranges instruments, débusquaient tous ceux qui pratiquaient la magie. Une fois les personnes affectées découvertes, elles étaient transportées de force dans des taudis, à l'extérieur du royaume, et n'avaient plus jamais le droit de participer à la noble société bien connue de la famille de Lux.
 
C'était ce qui la peinait le plus. L'idée que sa famille ait honte d'elle. Et son frère... Ah, son frère. Elle frissonna en pensant à ce que Garen dirait. Elle rêvait souvent de vivre dans d'autres endroits du monde, où ceux qui possèdent des dons ésotériques sont considérés comme des héros et célébrés par leur famille. Mais elle vivait à Demacia, où les gens ont conscience du pouvoir destructeur de la magie et le traitent en conséquence.
 
Alors qu'elle se sentait de plus en plus désespérée, Lux se rendit compte que le monument de Galio était à portée de vue. Cette statue gigantesque avait été construite dans un lointain passé pour servir d'étendard à l'armée et l'accompagner dans ses missions à l'étranger. Sculpté dans de la pétricite, Galio possédait des propriétés d'absorption de la magie qui avaient sauvé maintes vies des assauts des archimages. Les légendes racontaient qu'il venait même parfois à la vie, lorsqu'une grande quantité d'énergie mystique était déversée dans son mortier. Mais à cet instant-là, il se tenait aussi immobile qu'une montagne. Il enjambait la Route du souvenir, bien loin de la grande route et de son trafic dense.
 
Lux s'approcha prudemment de la statue. Depuis qu'elle était toute petite, elle imaginait le vieux titan veiller sur ceux qui passaient en dessous de lui. Elle avait l'impression qu'il regardait droit dans son esprit et qu'il la jugeait.
 
« Tu n'as rien à faire ici », dirait-il d'un ton accusateur.
 
Même si elle ne l'entendait que dans son imagination, elle savait qu'il disait la vérité. Elle était différente. C'était indéniable. Son sourire et son exubérance tranchaient absolument avec l'austérité qui était la marque de fabrique de Demacia.
 
Et puis il y avait la lueur. D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, Lux la sentait brûler dans son cœur, désireuse d'éclater au grand jour. Quand elle était petite, l'éclat était faible et pouvait facilement être dissimulé. Mais il était devenu bien trop puissant pour rester ainsi caché.
 
Écrasée par la culpabilité, Lux leva le regard vers le colosse.
 
« Ben vas-y, dis-le ! » cria-t-elle.
 
Cela ne ressemblait pas à Lux, mais la journée avait été difficile, et cela la soulageait de pouvoir l'exprimer. Elle se mit à respirer bruyamment en guise de soulagement, puis se sentit immédiatement gênée de s'être emportée. J'ai vraiment crié sur une statue ? s'étonna-t-elle, en regardant autour d'elle pour s'assurer qu'elle n'avait pas été vue. À certaines périodes de l'année, la Route du souvenir était couverte de voyageurs qui faisaient le pèlerinage jusqu'au colosse pour rendre hommage à ce symbole de la détermination demacienne. Mais à cet instant-là, elle était déserte.
 
Tout en guettant la présence de témoins, Lux entendit un fort bruit de rocaille juste au-dessus d'elle. Elle leva brutalement la tête. Le son venait de la partie supérieure du colosse. Les oiseaux venaient souvent faire leur nid sur la couronne de la statue, mais ça ne pouvait pas être eux. Le bruit ressemblait plutôt à celui d'un lourd pot d'argile que l'on aurait traîné sur les pavés.
 
Debout au milieu de l'herbe, Lux resta le regard longuement fixé sur la statue, mais elle était parfaitement immobile. Son esprit était peut-être encore agité par le traumatisme de sa journée. Pour autant, ses yeux ne se détournaient pas du colosse, comme pour mettre au défi ce qui venait de bouger de recommencer.
 
Et c'est ce qui arriva : les yeux de la statue se mirent à tourner. Les énormes orbes de pierre pivotèrent réellement dans leurs orbites pour se fixer sur Lux.
 
Son visage blêmit un court instant. Elle sentait l'énorme regard de pierre l'examiner. Cette fois, ce n'était pas le fruit de son imagination. Elle prit ses jambes à son cou et s'éloigna à toute vitesse de la statue.

Un peu plus tard, Lux franchit l'arche d'albâtre du manoir de sa famille. Elle avait arpenté la ville toute la journée dans l'espoir que ses parents seraient couchés au moment où elle rentrerait. Mais ce n'était pas le cas.
 
Sa mère, Augatha, était assise sur un fauteuil dans un coin du vestibule. Elle contemplait la porte d'un regard noir et gorgé d'impatience.
 
« Sais-tu quelle heure il est ? » demanda-t-elle.
 
Lux resta muette. Elle savait qu'il était minuit passé, bien au-delà de l'heure à laquelle sa famille se mettait généralement au lit.
 
« L'école a décidé de ne pas t'exclure », poursuivit-elle. « À l'issue de longues négociations. »
 
Lux voulait se mettre à pleurer, mais elle l'avait déjà fait toute la journée et n'avait plus aucune larme à verser. « Ils ont failli le voir », dit-elle.
 
« Je m'en doutais. C'est de pire en pire, n'est-ce pas ? »
 
« Que dois-je faire ? » se lamenta Lux, rongée par l'inquiétude.
 
« Ce qui doit être fait », répondit sa mère. « Tu en as perdu le contrôle. Un jour, quelqu'un sera blessé. »
 
Lux avait entendu parler de ces guerriers qui étaient morts des mains de sorciers. Leurs corps fondus étaient méconnaissables et leurs âmes, déchirées en deux. Elle était désespérée, bien consciente qu'elle abritait un pouvoir capable d'entraîner une semblable destruction. Elle avait envie de se haïr, mais elle était trop engourdie par l'avalanche d'émotions qui l'avait ensevelie.
 
« J'ai fait appel aux services d'un professionnel », dit Augatha.
 
Lux eut l'estomac retourné. Il n'existait qu'une seule profession capable de traiter son mal. « Un neutralisateur ? » fit-elle, à bout de souffle.
 
« C'est un ami. Quelqu'un à qui j'aurais dû faire appel il y a bien longtemps. Tu peux faire confiance à sa discrétion. »
 
Lux hocha la tête. Elle savait que la honte la gagnerait très bientôt. Même si cet homme ne disait rien, comme lui assurait sa mère, il le saurait.
 
Quant au remède, elle n'osait même pas y penser.
 
« Il viendra t'examiner demain matin », poursuivit Augatha en montant l'escalier en direction de sa chambre. « Ce sera notre secret. »
 
Mais cela ne la consola en rien. Lux n'était pas encore une femme, pourtant sa vie était déjà fichue. Elle voulait plus que tout se retirer à l'étage pour s'engoncer dans un profond sommeil qui étoufferait ses problèmes, mais elle savait que le problème ne disparaîtrait pas en une seule nuit. La lumière continuerait à croître en elle, menaçant de déborder à nouveau à tout moment. Le lendemain, le neutralisateur serait là pour mettre en œuvre son affreux traitement. Lux avait entendu d'horribles rumeurs parlant de pétricite moulue et versée dans des potions à avaler, qui provoquaient d'atroces accès de douleur. C'est vrai, elle voulait être débarrassée de son mal, mais aucune partie de son être ne voulait traverser cette épreuve.
 
N'y a-t-il pas un autre moyen ? se demanda-t-elle.
 
Bien sûr !
 
L'idée surgit dans sa tête comme un éclair. Elle était à la fois saisie par la peur et l'espoir, ignorant si ce qu'elle venait d'imaginer pouvait marcher, mais sachant qu'elle devait absolument essayer.

Sous le ciel de plus en plus noir de la nuit, Lux revint sur ses pas jusqu'à l'arche d'albâtre, descendit le boulevard, puis se faufila entre les gardes aux portes de la ville. Au sud, elle retrouva la Route du souvenir et la suivit sur plusieurs kilomètres jusqu'au sanctuaire de Galio. Son cœur battait la chamade.
 
« Bonsoir ? » fit-elle d'une voix tremblotante, comme si elle redoutait de recevoir une réponse.
 
Lux s'approcha du socle sur lequel se tenait le colosse, seul, au milieu de la nuit silencieuse. Elle posa la main sur sa fondation de pétricite glaciale. Je me demande quel goût ça a. C'est sûrement amer, se dit-elle. Elle se doutait qu'elle le saurait bien assez tôt, à moins que son idée ne fonctionne.
 
« Il paraît que tu détruis la magie. Alors vas-y. Je veux être une Demacienne. »
 
Elle leva les yeux vers le colosse. Il était aussi inerte et inflexible que le mode de vie demacien. Pas même les chauves-souris ne volaient autour de lui, cette nuit-là. Ce qu'elle avait entendu, ce qu'elle avait pensé voir, n'était peut-être que le fruit de son imagination, finalement. Elle souleva sa main du socle en se demandant vers qui d'autre elle pourrait se tourner.
 
« Petite humaine », fit une voix retentissante dans le ciel.
 
Lux leva la tête et découvrit la statue qui penchait sa tête gigantesque vers elle. Elle se mit à penser à toute vitesse. Maintenant, il sait. Et il ne va pas te guérir. Il va t'écraser comme un insecte.
 
« Tu pourrais... me gratter le pied ? » demanda le colosse.

Galio regarda avec émerveillement cette minuscule jeune fille qui s'enfuyait en criant des mots perçants qu'il ne comprenait pas. Cela faisait des années qu'il l'observait, mais il n'avait jamais imaginé qu'elle pouvait courir si vite, et surtout si bruyamment.
 
Galio connaissait la jeune fille depuis qu'elle était toute petite, quand elle venait le voir chaque année avec sa famille. Il l'étudiait avec fascination et faisait tout son possible pour ne pas la perdre de vue quand elle entrait dans son champ de vision. Parfois, alors qu'elle jouait, elle se souvenait soudainement qu'il se tenait juste devant elle et partait se réfugier derrière la jupe de sa mère. Quand le colosse était endormi, tout semblait se déplacer dans une sorte de brouillard déformant. Le monde était terne et les gens ne faisaient que vaciller devant ses yeux.
 
Cela, pourtant, n'empêchait pas Galio de sentir que cette petite fille était spéciale. Elle possédait une lueur qui n'avait rien d'un simple reflet. Avec elle, le temps ralentissait et le brouillard se dissipait. Quelque chose frémissait dans son corps de pierre.
 
Au début, c'était faible. Alors que la fille était encore toute petite, Galio sentait déjà sa curieuse chaleur lui chatouiller les orteils. À sa deuxième visite, Galio sentait la lueur lui tirer sur la jambe. Lorsqu'elle eut dix ans, la fille émettait une chaleur telle que Galio la sentait approcher à plus d'un kilomètre de distance et bouillait d'impatience à l'idée de la voir.
 
Et ce soir-là, elle était de retour, quand bien même ce n'était pas le jour habituel de sa venue. Son pouvoir était devenu si intense qu'il enveloppait ses entrailles gelées comme un feu de forêt. Elle lui avait donné vie !
 
Maintenant qu'il était réveillé, Galio pouvait voir sa lumière le plus clairement du monde. Elle brillait aussi fort que toutes les étoiles du ciel.
 
Et elle s'en allait une nouvelle fois.
 
À chaque nouveau pas de la fille, Galio sentait cette vie s'évaporer, le renvoyant à son état de statue inerte. S'il était resté immobile, il n'aurait eu aucune chance de la connaître. Il devait la suivre.
 
Ses jambes imposantes s'arrachèrent du socle dans un grondement. De ses pas amples, il n'eut aucune difficulté à la rattraper. Elle ouvrit grand les yeux et se retourna subitement vers le lourd colosse. De ses doigts jaillit un faisceau de lumière concentré qui frappa la jambe de Galio. La sensation étrange qui l'habitait se renforça à tel point qu'il se crut prêt à exploser et à recouvrir de ses miettes tout Demacia.
 
Mais il ne se brisa pas. Au contraire, il se sentait envahi par la chaleur. Il était plus vivant que jamais. Il se pencha et prit délicatement la jeune fille dans ses mains. Elle se couvrit le visage comme si elle craignait qu'il lui fasse du mal.
 
Le colosse se mit à rire, comme un enfant jouant dans une fontaine.
 
« Petite personne aux cheveux d'or », mugit-il. « Tu es amusante. Je t'en supplie, ne pars pas. »
 
Se remettant de ses émotions, la jeune fille finit par lui répondre : « Je... Je ne peux pas. Tu me retiens. »
 
Comprenant son outrage, Galio reposa en douceur la fille au sol.
 
« Je suis désolé. Je ne rencontre pas souvent des petites personnes. On me réveille surtout pour détruire des choses », expliqua-t-il. « Tu veux que je détruise des choses ? Des grosses choses ? »
 
« Non », répondit-elle humblement.
 
« Alors trouvons quelque chose à démolir. » Il fit quelques pas retentissants, puis se retourna et constata que la fille ne le suivait pas. « Tu ne viens pas, petite personne ? »
 
« Non », dit-elle en tremblant plus encore, craignant que la réponse contrarie le géant. « J'essaie de me faire remarquer le moins possible, ces temps-ci. »
 
« Oh. Excuse-moi, petite personne. »
 
« Bon. Il faut que je parte », dit Lux en pensant mettre un terme à leur conversation « J'étais contente de te rencontrer. »
 
Galio commença à la suivre. « Tu t'éloignes de ta ville », remarqua-t-il. « Où vas-tu ? »
 
« Je ne sais pas », répondit-elle. « Là où j'aurai ma place. »
 
Le colosse pencha la tête. « Tu es demacienne. Ta place est à Demacia. »
 
Pour la première fois, la fille sentit de l'empathie chez le géant et se trouva prête à se confier à lui.
 
« Tu ne comprendrais pas. Tu es un symbole pour ce royaume. Alors que moi... » Elle chercha un mot qui résumerait toute la situation sans trop en dire. « Je suis une ratée », dit-elle finalement.
 
« Une ratée ? Tu ne peux pas être une ratée. Tu m'as donné vie », gronda Galio en abaissant son énorme visage rocailleux à son niveau.
 
« C'est bien ça le problème », ajouta-t-elle. « Tu n'es pas censé te mettre à bouger. Je suis la raison pour laquelle tu peux bouger. »
 
Galio réagit par un long silence stupéfait, puis eut une soudaine illumination.
 
« Tu es une mage ! » tonna-t-il.
 
« Chuuut ! Moins fort ! » implora la jeune fille. « Les gens vont t'entendre. »
 
« J'écrase les mages ! » proclama-t-il, avant d'ajouter : « Mais pas toi. Toi, je t'aime bien. Tu es le premier mage que j'aime bien. »
 
La peur de Luxanna commença à s'estomper, faisant place à de l'agacement. « Écoute. Même si c'est vrai que tout ceci est magnifique et miraculeux, je préférerais rester seule. Et puis les gens vont se rendre compte que tu as disparu. »
 
« Ça m'est égal », insista Galio. « Qu'ils s'en rendent compte ! »
 
« Non ! » s'écria Lux avec un mouvement de recul. « Je t'en prie, retourne où tu étais. »
 
Galio s'interrompit pour réfléchir, puis se mit à sourire comme s'il venait de se remémorer quelque chose d'amusant. « Refais ce que tu m'as fait. Avec ta belle lumière stellaire ! » dit-il, mais un peu trop fort au goût de Lux.
 
« Chuuut ! Arrête de hurler ! » implora-t-elle. « Tu parles du mal qui me ronge ? »
 
« Oui », répondit-il d'un ton plus doux.
 
« Je suis désolée. Je ne peux pas le faire à volonté. Et puis je ne devrais pas. Il faut que tu partes », insista-t-elle.
 
« Je ne peux pas. Si je te laisse, je vais m'endormir. Et quand je me réveillerai, tu seras partie, petite personne. »
 
Lux resta songeuse. Elle était à fleur de peau à cause de la fatigue, mais les mots du titan avaient fini par la toucher.
 
« Si je le refais, tu me promets de partir ? » demanda-t-elle.
 
Le colosse resta pensif un instant, puis accepta la proposition.
 
« D'accord », poursuivit-elle. « Je vais essayer. »
 
Elle replia ses mains vers son corps puis les projeta en direction de Galio. Mais elle fut déçue de constater que seule une petite étincelle lumineuse jaillit du bout de ses doigts. Elle réessaya plusieurs fois, mais le résultat était plus faible à chaque nouvelle tentative.
 
« Je dois être fatiguée », conclut-elle.
 
« Repose-toi », lui conseilla Galio. « Quand tu auras un peu dormi, tu pourras me donner ta magie. »
 
« Hmm », fit Lux en réfléchissant à sa proposition. « Je ne peux pas me débarrasser de toi et je n'ai nulle part où aller. J'imagine que je n'ai pas tellement d'autre choix. »
 
Elle examina le sol autour d'elle pour trouver une parcelle d'herbe confortable. Lorsqu'elle trouva un endroit approprié, elle s'allongea et s'enroula confortablement dans sa cape.
 
« Bon, je vais dormir », dit-elle en bâillant. « Tu devrais faire de même. »
 
« Non. Je dors déjà assez », répondit Galio.
 
« Et tu ne peux pas... comment dire, te pétrifier pendant un temps, alors ? »
 
« Je ne fonctionne pas comme toi », dit le colosse.
 
« Alors reste figé et fais semblant de ne pas être en vie. »
 
« D'accord. Je vais rester ici et te surveiller, petite personne. »
 
« Je ne préfère pas », insista Lux. « Je n'arriverai pas à m'endormir si tu restes là à me regarder. Tu ne pourrais pas... te retourner ? »
 
Galio accéda à sa demande et se retourna en direction des lumières lointaines de la capitale demacienne. C'était moins intéressant que la jeune fille, mais cela ferait l'affaire.
 
Se contentant de ce semblant d'intimité, Lux ferma les yeux et s'assoupit.
 
Lorsqu'elle fut certaine que Galio ne se retournerait pas, elle se leva rapidement et s'enfuit dans la nuit.

Luxanna marchait d'un pas rapide, bien consciente que sa première mission était de s'éloigner le plus loin possible du colosse. Sans cela, sa magie continuerait à l'alimenter et il se lancerait certainement sur sa piste. Au lever du jour, toutes les patrouilles du royaume allaient sans doute partir à la recherche de la fille des Crownguard qui avait disparu pendant la nuit. Elles remarqueraient qu'elle était suivie par leur monument national et comprendraient bien vite qu'elle était la source de la magie qui l'avait réveillé.
 
Malgré la douleur qui lui traversait les jambes, Lux se mit à courir. Elle n'avait qu'une vague idée de là où elle se trouvait. À cette heure avancée de la nuit, elle peinait à repérer un lieu reconnaissable. Sa seule certitude était que le Bois céleste était proche. Elle distinguait la silhouette de ses grands arbres rouges et touffus au sud. L'endroit semblait idéal pour échapper aux groupes de recherche et pour trouver de quoi manger en guise de petit-déjeuner. Elle pouvait traverser la forêt en deux jours puis trouver refuge dans un village de bûcherons vaskasiens, où les habitants avaient peu de chances de la reconnaître. Ce n'était pas une idée brillante, mais c'était de loin la meilleure qu'elle pût avoir.
 
Lux commença à apercevoir l'orée de la forêt, dont les arbres de plus en plus élevés formaient comme une pyramide, les plus grands d'entre eux se trouvant au centre. En arrivant devant la forêt, elle s'interrompit un instant pour faire le deuil de tout ce qu'elle était en train d'abandonner. Son frère Garen lui manquerait, ainsi que son fidèle destrier Feu astral et même sa mère, mais elle n'avait pas d'autre choix.
 
L'ombre s'efface devant la lumière, pensa-t-elle pour se rassurer, avant de pénétrer dans l'obscurité de l'épaisse futaie des arbres à feuillage persistant.

Après une heure de marche et de bataille contre les branches couvertes d'épines et de résine, Lux commençait déjà à douter de ses intentions. Son estomac criait famine et le peu de confiance qui lui restait de trouver un chemin dégagé s'était dissipé en même temps que la lune derrière les nuages. Autour d'elle, elle n'entendait que les grognements et les bruissements des animaux nocturnes, qui la rendaient nerveuse.
 
Juste un peu de lumière, pensa-t-elle. Ça ne fera de mal à personne, surtout ici.
 
Elle commença à générer un orbe luminescent entre ses mains. Pendant un court instant, une étincelle de lumière dansa sur ses doigts, ce qui agita manifestement les créatures autour d'elle. Mais la lumière se tut aussi vite qu'elle était venue, la replongeant dans l'obscurité. Lux observa le contour de ses mains, à la recherche de ce qui n'allait pas. Elle se demandait ce qui l'empêchait de faire ce qui, jusque-là, lui venait si aisément et indépendamment de sa volonté.
 
Ça doit être le colosse, déduisit-elle. C'est même certain.
 
Elle distingua soudain des voix dans le murmure de la forêt. Des pas lents mais déterminés, et des chuchotements. Ils étaient...
 
Un bras saisit soudainement Lux par le cou. Elle pouvait sentir la présence d'au moins deux autres personnes de chaque côté.
 
« Où est-ce que tu vas comme ça, ma mignonne ? » demanda l'un des hommes.
 
Lux balbutia une réponse indistincte. L'homme qui la retenait serra son emprise.
 
« On n'est pas censé mettre les gens comme toi dans un taudis de neutralisation ? » dit-il.
 
« Non... » Lux avait le souffle coupé. Le bras de l'homme la retenait fermement juste sous le menton. « Je ne suis pas... »
 
« On n'est pas bête, petite », dit le troisième homme. « Allez, on va te ramener. »
Lux se débattit pendant que les hommes tentaient de lui attacher les bras avec une corde rugueuse. Elle eut beau se concentrer, elle ne parvint pas à faire appel à la magie qui avait pourtant jusque-là semblé faire partie d'elle-même. Elle libéra une main avec laquelle elle frappa l'un des hommes dans la mâchoire, puis elle entendit les branchages se plier sous sa chute. Furieux, les deux autres hommes se jetèrent sur elle.
 
« Tu n'aurais pas dû faire ça », dit l'un d'eux en lui jetant un regard noir. « Tu n'aurais vraiment pas dû faire ça. »
 
Ils resserrèrent ses liens. Alors qu'ils s'assuraient que le nœud était le plus rigide et le plus douloureux possible, le sol se mit à vibrer d'un grondement sourd. Les hommes s'interrompirent pour chercher l'origine du bruit, qui gagnait peu à peu en fréquence et en intensité.
 
Il ressemblait au vacarme d'un tremblement de terre, mais son battement étrangement régulier le rapprochait davantage de bruits de pas démesurés.
 
Et ils se rapprochaient de plus en plus.
 
« Qu'est-ce que c'est ? » demanda l'un des hommes, trop effrayé pour bouger.
 
Le sol tremblait toujours plus fort et le son était désormais accompagné par le craquement des arbres qui se faisaient broyer. Quelle que fût la source du bruit, elle se trouvait désormais dans la forêt et s'apprêtait à les atteindre.
 
« C'est... C'est... »
 
Ils levèrent tous la tête pour découvrir l'immense Galio qui se précipitait vers eux, laissant derrière lui une traînée d'arbres abattus. Les hommes se mirent à courir, mais ne purent faire que quelques pas avant d'être attrapés et soulevés par une main de pétricite géante. Galio lança un regard furieux à ces petites boules de chair tremblotantes qu'il tenait.
 
« L'heure du combat est arrivée ? » demanda-t-il en souriant. « Je vais vous battre ! »
 
Il desserra le poing et leva l'autre main comme pour s'apprêter à écraser les hommes entre ses paumes.
 
« Non ! » fit une petite voix. « Arrête ! »
 
Le colosse trouva Lux sur le sol, juste en dessous, en train de lui frapper la cheville de ses mains liées.
 
« Il ne faut pas faire ça ! » cria-t-elle.
 
Interloqué, Galio posa les hommes au sol et les libéra. Lux entendit le bruit de leurs pas affolés alors qu'ils la fuyaient avec la frénésie d'un élan acculé. Tout en gigotant pour s'extraire de ses liens, elle leva la tête vers le colosse.
 
« Quand je me suis retourné, tu étais partie, petite personne », lui dit-il. « Qu'est-ce que tu fais dans ce bois ? »
 
« Je... Je ne sais pas », bredouilla Luxanna.

Galio s'assit sur la pente d'une colline pour admirer les étoiles en compagnie de cette jeune fille aux cheveux blonds avec qui il avait sympathisé. Ils ne disaient rien. Tout juste soupiraient-ils de temps à autre, ce qui n'avait plus rien à voir avec les halètements inquiets que le géant inspirait auparavant à Lux. C'était le son de deux êtres qui avaient trouvé entière satisfaction dans la compagnie l'un de l'autre.
 
« D'habitude, je ne reste pas éveillé si longtemps », dit le colosse.
 
« Moi non plus », répondit la jeune fille en bâillant longuement.
 
« Que font les gens quand ils ne sont pas en train de se battre ? Est-ce qu'il faut qu'on discute ? »
 
« Non. C'est bien comme ça. Je me sens... apaisée. »
 
Galio fronça les sourcils. Quelque chose avait changé chez la fille. Quelque chose avait disparu. Elle ne brillait plus comme les étoiles.
 
« Pourquoi es-tu triste ? » demanda Lux. « Tu m'as guérie. Tant que tu seras près de moi, je pourrai rentrer chez moi et vivre normalement. »
 
Galio ne se dérida pas ni ne releva le regard. La fille continua à exprimer ses pensées.
 
« Ou alors, je peux juste venir te voir chaque jour pour contenir le mal et... »
 
« Non », fit le titan en posant enfin son regard sur elle.
 
« Pourquoi pas ? »
 
« Parce que tu es spéciale, petite personne. Avant même tes plus lointains souvenirs, je sentais déjà ton don. Pendant longtemps, je l'ai voulu auprès de moi. Mais maintenant, j'ai compris... Je détruis ton don. »
 
« Mais il te donne vie. »
 
Galio réfléchit, mais seulement un bref instant. Pour lui, il n'y avait plus de doute.
 
« Cette vie est précieuse pour moi », dit-il. « Mais ton don, il représente tout. Ne le perds jamais. »
 
Il se leva et posa avec précaution la fille sur son épaule. Ensemble, ils se mirent en route d'un pas lourd vers la cité pour y affronter ce qui les y attendait.

Le soleil commençait tout juste à poindre à l'horizon quand Lux fut de retour au manoir familial. Au-delà des murs de la ville, Galio retourna se figer sur le socle qui enjambait la Route du souvenir, laissant Lux seule face à ses problèmes.
 
L'ombre s'efface devant la lumière, pensa-t-elle au moment de soulever le loquet de la porte.
 
En entrant dans la maison, elle découvrit sa mère assise dans le salon, accompagnée d'un homme d'âge mûr au crâne dégarni qui tenait sur ses genoux un étui rempli de teintures médicales venues d'ailleurs.
 
« Luxanna, je suis contente que tu aies décidé de rentrer », dit Augatha en serrant les dents.
 
Lux posa sur l'homme un regard circonspect.
 
« C'est la personne dont je te parlais », murmura sa mère. « Celui qui va régler ton... problème. »
 
Lux se sentit étourdie, comme si son esprit était en train de quitter son corps pour mieux observer ce qui allait suivre.
 
« Tu sais quoi, maman ? » demanda-t-elle d'une voix tremblotante, impatiente de pouvoir enfin s'exprimer. « Je crois que je n'ai pas besoin de lui. En fait, j'aimerais même que tu le congédies. »
 
Le neutralisateur prit un air outré. Il se leva et passa son sac par-dessus son épaule.
 
« Non, restez », implora Augatha. Elle bloqua le passage à Lux et haussa le ton. « Tu ne sais pas ce que tu racontes. Cet homme a tout risqué pour t'aider. C'est le seul moyen pour toi de devenir une Demacienne. Aurais-tu oublié que tu souffres... »
 
« Je ne souffre d'aucun mal ! » s'écria Lux. « Je suis belle et précieuse, et un jour, je le prouverai à ce royaume ! Et si quelqu'un a un problème avec moi, je l'enverrai en discuter avec mon ami géant. »
 
Elle se précipita dans sa chambre, laissant sa mère seule avec le neutralisateur.
 
En s'écroulant sur son lit, elle poussa un long soupir de soulagement. Pour la première fois depuis des années, son esprit était aussi calme qu'un étang sous le soleil d'été. La lumière qui autrefois jaillissait sans son consentement était toujours là, mais elle en voyait désormais les limites, et elle savait qu'elle serait un jour capable de la maîtriser.
 
Tout en se laissant emporter par le sommeil, elle comprit que son mantra était faux depuis le début. Aucune lumière ne peut effacer les ombres.
 
L'ombre prospère aux côtés de la lumière, conclut-elle. Ça sonnait mieux ainsi.
 
 
Garen Square 0 Garen - Force de Demacia
 
Garen est un guerrier de Demacia qui consacre son existence à la défense de son royaume et de ses idéaux. Équipé d'une armure résistante à la magie et d'une épée large, Garen est toujours prêt à risquer sa vie pour son pays et ses camarades.
 
Garen est l'héritier des Crownguard, patronyme honorifique donné à la famille qui est chargée de protéger la couronne. Sa jeune sœur Lux et lui descendent d'une longue et noble lignée demacienne. Le père de Garen, Pieter, se dévoua toute sa vie à la protection du roi Jarvan III. Pour se préparer à lui succéder, Garen se forma à défendre le fils du roi, Jarvan IV, premier dans la ligne de succession. Sachant le rôle important qu'il jouerait à l'âge adulte, la famille de Garen nourrit en lui la fierté de Demacia et de tout ce que le royaume représentait.
 
Demacia fut fondée par les survivants épuisés des Guerres runiques, à la recherche d'un peu de paix après les destructions innommables engendrées par l'effroyable mésusage de la magie. Beaucoup se refusaient à évoquer cette époque, mais l'oncle de Garen en parlait très souvent. C'était l'un des meilleurs éclaireurs de Demacia. Ardemment désireux de protéger Demacia contre la magie, l'oncle de Garen bravait les terres sauvages, au-delà des murs de la ville, pour en chasser toute trace de menace magique. Il expliqua à Garen que le monde extérieur était riche en merveilles, mais que les dangers s'y cachaient aussi à chaque pas. Un jour, quelque chose viendrait attaquer leur murs, que ce soit des mages, des créatures du Néant ou quelque horreur inimaginable, car la paix n'est jamais faite pour durer. À moins bien sûr que l'on soit prêt à se battre pour la préserver le plus longtemps possible.
 
Sept mois plus tard, l'oncle de Garen mourut dans un tragique accident. Officiellement, il avait été tué au combat. Mais Garen entendit bientôt les rumeurs qui, au sein de sa famille, prétendaient que le sortilège sanguinaire d'un mage avait eu raison de lui. Cela confirma les pires terreurs de Garen concernant la magie et il jura de ne jamais la laisser pénétrer entre les murs de Demacia. Ce n'est qu'en suivant les idéaux de Demacia et en faisant étalage de sa puissance que le royaume pourrait se protéger de l'influence corruptrice de la magie.
 
Tout Demacia sembla faire bloc autour de Garen après la mort de son oncle. Dans la rue, de parfaits inconnus, et même des gens de la plus basse extraction, l'arrêtaient pour lui présenter leurs condoléances et lui témoigner respect et soutien. Il était entouré de compassion et la conviction lui vint que Demacia était un royaume soudé dans lequel les gens s'entraidaient, soignant les blessures des autres comme ils auraient soigné les leurs. Il avait en tête une Demacia idéale, où personne ne serait jamais seul.
 
Pourtant, la menace de la magie ne quittait jamais l'esprit de Garen, au point de tourner à l'obsession. Il en vint à suspecter sa sœur, Lux, de posséder des pouvoirs magiques, mais il sut toujours repousser cette idée. La pensée qu'un Crownguard pouvait utiliser les pouvoirs interdits qui avaient tué son oncle lui était insupportable.
 
À l'âge de douze ans, il quitta sa demeure pour s'engager dans les rangs du Détachement hardi. L'entraînement et l'art de la guerre occupaient ses jours et ses nuits, sans jamais laisser la moindre place à l'amitié ni à l'amour. Il consacra les moindres secondes de son existence à la maîtrise de l'épée, poursuivant l'exercice même après la fin des leçons. Souvent, la nuit, ses instructeurs devaient lui prendre son épée pour l'empêcher de se faufiler hors du dortoir et d'aller s'entraîner contre son ombre.
 
Alors qu'il poursuivait sa formation, Garen rencontra Jarvan IV, le jeune garçon destiné au trône de Demacia qu'il aurait bientôt le devoir de protéger. La présence de Jarvan convainquit Garen de multiplier encore ses efforts : malgré son jeune âge, il perçut immédiatement la future grandeur du prince. Rapidement, ils devinrent amis et ne manquaient jamais une occasion de s'entraîner l'un contre l'autre. Quand leur formation fut achevée, Garen offrit à Jarvan une fibule frappée de l'aigle demacienne afin de lui rappeler qu'il serait toujours là pour protéger celui qu'il considérait désormais comme un frère.
 
Lors des assauts de Noxus contre Demacia, Garen acquit la réputation d'un combattant sans peur, d'un guerrier sans égal, prêt à risquer sa vie et son âme pour protéger les autres soldats et vaincre l'ennemi. Il reçut en pleine poitrine un carreau d'arbalète pour sauver l'un de ses hommes lors d'une quête pour découvrir la coupe d'abondance de Freljord. Il traversa sans armure la Forêt silencieuse pour surprendre les serviteurs du Roi Infâme.
 
Malgré son courage et son talent, le plus grand échec de Garen eut lieu lors d'une offensive noxienne : il s'y montra incapable de protéger son prince. En dépit des avis de son conseiller, Jarvan IV et ses troupes se lancèrent à la poursuite d'un host de Noxiens qui battait en retraite. Le jeune Jarvan était déterminé à venger la mort de centaines de villageois massacrés et ne se rendit pas compte que son plan était bien trop risqué. La retraite noxienne était un piège et le prince fut capturé avec ses hommes.
 
Garen était furieux contre lui-même : il n'avait pas été là au moment où Jarvan avait le plus besoin de lui. Il savait que Jarvan était enclin à prendre des décisions irréfléchies dans le feu de l'action et il s'en voulait de ne pas avoir prévu l'impulsivité de son prince. Garen prit la tête d'un détachement de chevaliers et se lança à la recherche du prisonnier.
 
Garen et ses hommes découvrirent le camp noxien, mais ne trouvèrent que l'armure de Jarvan à côté d'un poteau d'exécution taché de sang. Les reflets d'une fibule frappée de l'aigle demacienne tranchaient dans une mare pourpre. Garen fouilla toute la région à la recherche de son prince, mais il savait, au fond de lui, que Jarvan était mort.
 
Il en resta inconsolable. Il n'en finissait plus de s'accuser de la mort du prince, alors que sa famille et ses camarades tentaient de le convaincre qu'il était innocent. Il se souvint de quelle manière le royaume l'avait entouré à la mort de son oncle et il souhaita pouvoir en faire autant pour les proches de ses soldats morts. Il s'installa à la caserne, parmi les combattants qui s'entraînaient, et il offrit tout ce qu'il gagnait aux familles des disparus.
 
Quand il l'apprit, le roi Jarvan III fut impressionné par la manière humble et pure qu'avait Garen de vivre les idéaux de Demacia. Le roi pleurait la mort de son fils mais le courage de Garen le frappa, ainsi que sa manière de considérer tous les Demaciens comme des membres de sa famille. Le roi honora Garen afin de rappeler à son peuple que les Demaciens ne sont jamais seuls, ni au combat, ni dans leur foyer.
 
Bien que Lux, la jeune sœur de Garen, l'eût rejoint dans la capitale pour suivre son exemple et servir la couronne, leur relation restait distante. Garen se refusait à croire les soupçons qu'il avait sur elle avant de quitter la maison pour sa formation. Mais, bien qu'il aimât sa sœur, une part de lui éprouvait toujours des difficultés pour se rapprocher d'elle. Il essayait de ne pas penser à ce que son devoir le contraindrait à faire si ses soupçons étaient confirmés un jour.
 
Aujourd'hui, Garen se tient prêt à défendre Demacia avec sa vie. Dans les rares occasions où un mage solitaire ou un espion noxien est découvert sur le territoire de Demacia, Garen est toujours le premier à proposer son épée. Il monte une garde résolue sur les murs de Demacia, prêt à défendre son foyer contre tous ses adversaires. Garen est bien plus que le soldat sans peur et sans reproche de Demacia, il est l'incarnation de ses valeurs : force, courage et unité.
 
 
La sorcière et le soldat
 
La vieille femme tira sur la cordelette qu'elle avait enroulée autour de la gorge du soldat demacien. Il avait essayé de parler, ce qui était interdit par les règles qu'elle avait édictées. Une infraction de plus et elle aurait le droit de détacher sa tête de son corps et d'utiliser son casque comme pot de chambre. Jusque-là, elle ne pouvait que resserrer sa prise, espérer et regarder les filaments de la mémoire passer de la tête du soldat dans la sienne.
 
Bien sûr, elle avait le pouvoir de le décapiter dès qu'elle le voulait, mais il fallait respecter les règles. On pouvait dire bien des choses de la prophétesse à la peau grise, mais pas qu'elle violait ses propres codes. Elle avait des principes. Sans principes, le monde irait à vau-l'eau. Plus rien ne fonctionnerait. C'était aussi simple que ça.
 
Jusqu'à ce que le soldat viole ces règles, elle resterait assise ici, à siphonner tout ce qu'il avait : ses souvenirs, son identité. Et quand elle en aurait fini : adieu. Et pot de chambre.
 
Une voix hurla de douleur à l'entrée de la grotte. Une de ses sentinelles, à l'évidence.
 
Il y eut un autre cri.
 
Et puis un autre encore.
 
La soirée, à l'évidence, allait être passionnante.
 
Elle entendait, sur le sol humide de la caverne, le pas énergique et volontaire d'un guerrier sûr de lui. Quand l'écho des bottes se tut enfin, un jeune homme aux épaules larges la regardait de l'autre bout de la grotte, un air de détermination féroce sur un visage illuminé par la maigre lueur des torches. Des entrelacs de sang dégoulinaient sur son plastron. Même depuis l'arrière de la pièce, elle pouvait sentir une odeur rance sur son armure, quelque chose d'acide qui bridait d'une façon déplaisante la magie courant dans ses veines.
 
Oui, une soirée passionnante.
 
Le chevalier, épée large en main, gravit les marches de pierre jusqu'à l'espèce de trône qu'occupait la vieille femme.
 
Elle sourit, attendant qu'il lève sa lame et se précipite vers elle en hurlant : qu'il essaie donc, elle avait une surprise pour lui.
 
Mais il rengaina son épée et s'assit sur le sol.
 
Il riva ses yeux en silence sur ceux de la prophétesse, soutenant son regard sans faillir. Il ne brisa pas cette connexion, pas une seconde, pas même pour jeter un coup d'œil dans la direction du soldat en laisse à son flanc.
 
Essayait-il de la déstabiliser ? Voulait-il l'impatienter, la contraindre à parler la première ?
 
Probablement.
 
En attendant, c'était d'un ennui profond.
 
« Sais-tu qui je suis ? » demanda-t-elle.
 
« Tu es celle qui se nourrit des souvenirs des perdus et des abandonnés. Les enfants disent que tu es aussi ancienne que la grotte que tu habites. Tu es la Dame des pierres », répondit-il avec assurance.
 
« Ha ! Ce n'est pas comme ça que l'on m'appelle, et tu le sais. La harpie des montagnes. Voilà ce qu'ils disent vraiment. Tu as eu peur que je te réduise en cendres si tu me disais la vérité, hein ? Tu essaies de me flatter ? »
 
« Non », répondit l'homme, « je trouve simplement ce surnom discourtois. Il ne faut pas insulter les gens dans leur propre demeure. »
 
La vieille femme ricana quand elle comprit que le chevalier ne plaisantait pas.
 
« Et toi ? » demanda-t-elle. « Comment t'appelle-t-on ? »
 
« Je suis Garen Crownguard de Demacia. »
 
« Ici, il y a des règles, Garen Crownguard de Demacia. Tu es venu sauver ton soldat perdu. N'est-ce pas ? »
 
L'homme approuva de la tête.
 
« As-tu l'intention de me tuer ? » demanda encore la prophétesse.
 
« Je ne vais pas te mentir. Il est fort probable en effet que l'un de nous deux meure ce soir », rétorqua-t-il.
 
La vieille femme rit de nouveau.
 
« Tu as hâte de verser mon sang, n'est-ce pas ? Avec cette armure, tu y arriveras peut-être. » Elle serra davantage la cordelette qui étranglait le soldat. « Mais si tu lèves ton épée contre moi avant que nous ayons réglé nos affaires, je tirerai sur ceci si vite que tu entendras les vertèbres de ce soldat craquer dans tes cauchemars jusqu'à la fin de ta vie. »
 
Elle serra la corde pour prouver sa résolution.
 
Le regard de Garen ne bougeait pas.
 
« Alors, voici les règles. Si tu arrives à me donner un seul souvenir que je trouve plus savoureux que la mémoire tout entière de celui-ci, je te le prendrai, et je te le donnerai, lui, en échange. » Elle observa attentivement les prunelles de Garen dans l'espoir d'y lire un doute. « Si tu n'y arrives pas, ma foi... » Elle ferma davantage encore son poing sur la cordelette. « Si l'un d'entre nous cherche à violer cet accord, l'autre aura droit à la rétribution de son choix, sans protestation ni résistance. Es-tu d'accord ? »
 
« Oui », répondit l'homme.
 
« Dans ce cas, j'écoute ta première offre. Que vaut pour toi la vie de ce soldat ? Pardonne mon impolitesse : j'utiliserais bien son nom, mais je l'ai déjà oublié. »
 
« Je ne le connais pas non plus. Il n'est pas dans mon régiment depuis très longtemps », répondit Garen.
 
Elle fronça les sourcils. L'homme ne savait visiblement pas dans quoi il mettait les pieds.
 
« J'offre un souvenir de mon enfance », dit-il. « Ma sœur et moi, à cheval sur le dos de mon oncle tandis qu'il aboyait comme un chien-dragon de Noxus. Nous en avons ri pendant des heures. C'est un excellent souvenir, vierge de toute souillure liée à ce qui allait arriver plus tard à mon oncle à cause de quelqu'un dans ton genre. »
 
La vieille femme gratta la pellicule gélatineuse de son œil.
 
« Tu me manques de respect. Crois-tu que je ne m'abreuve que de souvenirs joyeux ? » Elle plaça sa main sur la tête du soldat et savoura ce qui flottait de l'esprit du guerrier vers le sien. « Je veux... tout. La douleur, la confusion, la colère. C'est ce qui me permet de conserver mon teint de rose. » Elle se mit à rire, en se caressant du doigt une joue couverte de rides.
 
« J'offre ma douleur, alors, celle que j'ai ressentie à la mort de mon oncle », dit Garen.
 
« Insuffisant. Tu m'ennuies », répondit la Dame des pierres en tirant sur la laisse.
 
Garen bondit sur ses pieds et dégaina son épée. Le cœur de la sorcière s'emballa à l'idée de tuer le jeune chevalier impatient. Mais au lieu d'attaquer, il mit un genou à terre, courba la tête devant elle et plaça doucement le bout de sa lame sur les genoux de la harpie, pointant vers son estomac.
 
« Fouille dans mon esprit », dit-il. « Prends le souvenir qui te conviendra. Je suis jeune, mais j'ai vu bien des choses. J'ai vécu une vie de privilèges qui pourrait t'agréer. Bien sûr, si tu tentes de t'emparer de plus d'un souvenir, je te traverserai de mon épée, mais si tu en choisis un seul, il est à toi. »
 
La vieille femme ne put s'empêcher de ricaner. Ce garçon était d'une arrogance ! Il avait l'outrecuidance de croire qu'un seul de ses souvenirs pouvait compenser la mémoire de la vie complète du jeune soldat à ses pieds ?
 
Son courage, ou son ignorance, forçait l'admiration. On devait lui reconnaître ça.
 
Avec un petit bruit de lèvres, elle plaça sa paume sur la tête du jeune homme. Elle ferma les yeux et éplucha les couches de son esprit.
 
Elle vit le triomphe à la bataille d'Alberoc. Ses papilles goûtèrent le rôti de daim-lyre au banquet de noces de son lieutenant. Elle perçut la larme qui coulait devant le corps d'un camarade mort sur le champ de bataille de Brachemors.
 
Et puis elle vit sa sœur.
 
Elle ressentit l'amour immense qu'il avait pour elle... mélangé à quelque chose d'autre. La peur ? Le dégoût ? Un malaise ?
 
Elle s'enfonça plus profondément dans son esprit, au-delà de sa mémoire consciente. Ses doigts sondèrent ses pensées, repoussant tout ce qui ne concernait pas la fille aux cheveux d'or et au large sourire. Son armure compliquait ses recherches, mais la vieille femme continua jusqu'à...
 
Des enfants. Tous les deux, jouant avec des petits soldats. Les guerriers du garçon attaquent les mages de la fille, prêts à les étriper. Elle lui dit que ce n'est pas juste : ses mages possèdent la magie, ce devrait être un combat équilibré. Il rit et renverse ses sorciers d'argile avec ses croisés de métal. Furieuse, la fillette hurle et, soudain, de la lumière jaillit de ses doigts. Le garçon est aveuglé, perdu, apeuré. Sa mère emmène la fillette mais, avant de quitter la pièce, s'agenouille devant son fils et lui explique qu'il n'a pas vu ce qu'il vient de voir. Ce n'était pas réel. C'était juste un jeu. Le garçon approuve du menton. Juste un jeu. Sa sœur n'est pas un mage. Comment le pourrait-elle ? Il enfouit ce souvenir aussi profondément qu'il en est capable.
 
Écartant les doigts, la vieille femme exhume bien d'autres souvenirs de cette sorte dans l'enfance du chevalier, tous s'achevant dans un éclat de lumière aveuglant. Des souvenirs enterrés. Un mélange chaotique d'amour, de peur, de déni, de colère, de confiance trahie et d'instinct de protection.
 
Le chevalier avait raison : ce sont de bons souvenirs. Bien plus capiteux que ceux proposés par le soldat captif.
 
Elle sourit. Le chevalier avait été malin de placer son épée contre son estomac, mais pas assez malin. Une fois un de ses souvenirs ôtés, il oublierait l'avoir jamais eu et elle pourrait continuer à prendre ce qui lui plaisait.
 
Elle continua de fouiller dans ses souvenirs, à la recherche de ce qui impliquait la fille de lumière. Elle s'empara de tous ceux qu'elle pouvait trouver avant de quitter son esprit.
 
« Oui », dit-elle en ouvrant les yeux. « Cela fera l'affaire. » Elle désigna la sortie de la grotte.
 
« J'accepte l'échange. Un souvenir pour une vie. Prends ce garçon et partez immédiatement. »
 
Garen se leva et approcha du soldat en laisse. Il se baissa, aida le jeune homme à se relever et commença à reculer vers le fond de la grotte sans jamais perdre la sorcière des yeux.
 
Mignon. Il avait peur qu'elle ne rompe leur pacte. Le pauvre, il ignorait que c'était déjà fait.
 
Le chevalier s'arrêta.
 
Il posa son compagnon à terre et chargea, ses yeux toujours verrouillés aux siens.
 
La vieille femme eut un frisson de joie devant cette attaque impétueuse. Il était trop grand, trop lourd, trop lent pour avoir le temps de tirer son épée avant qu'elle ne lui règle son compte. Ses doigts crépitèrent d'énergie noire, avide de plonger de nouveau dans l'esprit du jeune homme, mais elle était incapable de détourner son regard du sien. Dans les yeux du chevalier, elle voyait les riches souvenirs dont elle allait s'abreuver jusqu'à ce qu'il n'en reste rien...
 
Elle ressentit quelque chose de froid à l'intérieur d'elle. Quelque chose de métallique. L'odeur acide de l'armure était plus forte que jamais et s'emparait avec âpreté de toute sa gorge.
 
La sorcière baissa les yeux et vit l'épée de Garen, enfoncée dans sa poitrine. Des taches rouges et noires coulaient de la blessure, dégoulinant sur les gantelets du chevalier. Lui ne quittait pas des yeux les pupilles mourantes de la vieille femme.
 
Il était plus rapide qu'elle ne croyait.
 
« Pourquoi ? » tenta-t-elle de demander. Mais elle ne put expectorer qu'un filet de bile noirâtre.
 
« Tu as menti », répondit-il néanmoins.
 
La sorcière sourit, un gargouillis acide et goudronneux dans la bouche. « Comment as-tu su ? »
 
« Je me suis senti... plus léger. Libéré d'un poids. »
 
Garen cligna des yeux.
 
« Quelque chose ne tournait pas rond. Rends-moi mes souvenirs. »
 
Elle réfléchit quelques secondes, alors que le sang se mêlait à la boue sur le sol froid de la grotte.
 
Les doigts de la sorcière s'engourdissaient, mais elle les plaça sur le crâne de Garen, réinjectant ses souvenirs dans son esprit. Il serra les mâchoires de douleur et, quand il ouvrit les yeux, la vieille femme put y lire qu'il avait récupéré tout ce qu'il voulait. Pauvre fou.
 
« Pourquoi as-tu accepté mon marché ? » demanda la Dame des pierres. « Tu n'avais pas besoin de ça, tu es plus fort que je ne pensais. Beaucoup plus fort. Laisse ou pas, tu aurais pu me découper en rondelles avant que je ne lève le petit doigt. Pourquoi m'avoir ouvert ton esprit ? »
 
« Verser le premier sang dans la maison d'un étranger sans lui laisser une chance serait... impoli. »
 
La sorcière ricana.
 
« C'est un principe, chez les Demaciens ? »
 
« Non, c'est un principe personnel », dit Garen avant de retirer son épée de la poitrine de la sorcière. Le sang jaillit de la blessure ouverte et la vieille femme s'écroula, morte.
 
Il ne lui jeta pas un autre regard et, soutenant le soldat, il se mit en marche vers Demacia.
 
Après tout, pensa-t-il, sans principes, le monde partirait à vau-l'eau.
 
 
JarvanIV Square 0 Jarvan IV - Exemple Demacien
 
Le prince Jarvan IV vient d'une longue lignée de rois et a pour destinée de mener Demacia vers la prochaine ère. Élevé pour devenir le parangon des plus hautes vertus de Demacia, Jarvan IV subit la pression des espoirs placés en lui. Sur le champ de bataille, son courage, sa détermination et son altruisme inspirent ses troupes et révèlent qu'il est un vrai meneur d'hommes.
 
Bien que le dirigeant de Demacia soit choisi par un Conseil supérieur parmi divers candidats considérés comme méritants, les trois derniers rois proviennent de la même lignée. Fils unique du roi Jarvan III, Jarvan IV a été élevé dès sa naissance dans la poursuite de cette tradition. Les intentions de sa famille se reflètent dans tous les aspects de sa vie, de son nom à sa maîtrise des règles de la cour. Éduqué par les meilleurs historiens et formé à régner, Jarvan IV a également appris l'art de la guerre.
 
Lors de ses entraînements martiaux, Jarvan s'exerçait souvent avec un jeune guerrier nommé Garen, qui se préparait à la fonction traditionnelle de protecteur de la famille royale. Jarvan admirait le courage de Garen qui en retour appréciait la vivacité d'esprit du prince. Tous deux étaient inséparables.
 
Quand Jarvan IV atteignit la majorité, son père lui accorda l'honneur de servir comme général dans l'armée demacienne. Bien que Jarvan IV eût étudié la théorie martiale et l'art de la guerre et bien qu'il fût capable de battre en duel son maître d'armes, il n'avait jamais connu de véritable champ de bataille ni tué d'homme.
 
Déterminé à prouver sa valeur au combat, Jarvan IV mena ses troupes contre des tribus guerrières, contre les rôdeurs de la Griffe hivernale et même contre des mages sans attache. Bien qu'il sût commander ses troupes avec distinction, Jarvan était toujours entouré de gardes ayant juré de le protéger et il regrettait de ne pas servir davantage comme guerrier.
 
Quand les détachements noxiens attaquèrent les terres arables proches de la frontière demacienne, Jarvan IV se porta à leur rencontre avec ses troupes. Ils chevauchèrent pendant des jours entiers sur la piste des Noxiens. Jarvan découvrit avec horreur que les atrocités de leurs ennemis étaient bien pires qu'il ne l'avait imaginé. Les Noxiens avaient rasé des villages et massacré des centaines de Demaciens, ne laissant que quelques blessés capables de raconter ce qu'ils avaient vu.
 
Ses officiers conseillèrent au prince de battre en retraite et d'attendre des renforts. Mais Jarvan était choqué par les monstruosités noxiennes et il refusa de tourner le dos aux survivants qui avaient besoin de lui. Il se devait de protéger les blessés tout en s'assurant que l'ennemi ne parviendrait pas à s'enfuir sans même avoir à combattre. De plus, se dit-il, les renforts demaciens ne seraient jamais là à temps pour faire face aux Noxiens. Il était convaincu que son devoir était d'agir sans plus tarder.
 
Jarvan divisa ses forces : il ordonna à une partie de ses hommes de rester sur place pour aider les civils blessés et il prit la tête des autres. Ils tendirent une embuscade aux Noxiens pendant la nuit, mais, dans le chaos du combat, Jarvan fut séparé de ses gardes. Il combattit férocement et tua de nombreux ennemis, mais il fut finalement submergé. Les Noxiens capturèrent Jarvan IV et se préparèrent à l'exhiber, couvert de chaînes, dans le Bastion immortel.
 
Pendant les semaines au cours desquelles Jarvan fut entraîné loin de Demacia, il ne pensa qu'à la honte d'avoir pris une décision irréfléchie qui avait mené à davantage de morts demaciennes. Il en vint à la conclusion qu'il ne méritait plus de vivre à Demacia, et encore moins d'hériter du trône.
 
Une nuit sans lune, Garen et un groupe d'intrépides soldats connus sous le nom de Détachement hardi attaquèrent le campement noxien. Les guerriers demaciens ne parvinrent pas jusqu'à Jarvan, mais le prince utilisa cette diversion pour échapper à ses ravisseurs. Tandis qu'il fuyait, un soldat noxien parvint à lui loger une flèche dans le flanc, mais Jarvan ne ralentit pas et disparut dans la nature.
 
Il courut jusqu'au bout de ses forces, puis il se cacha dans un arbre creux et banda sa blessure du mieux qu'il le put. Il resta là plusieurs jours, dans une demi-inconscience fiévreuse, convaincu que sa mort était proche. Ignorant s'il était éveillé ou s'il rêvait, Jarvan se souvint plus tard avoir vu une femme à la peau pourpre et aux yeux de feu le transporter jusqu'à un lointain village demacien. Là, les guérisseurs locaux s'occupèrent de lui et traitèrent sa blessure avec des herbes médicinales jusqu'à ce qu'il soit rétabli.
 
Reprenant peu à peu des forces, Jarvan guérit en éprouvant un sentiment de réconfort inconnu dans ce petit hameau aux confins de Demacia. Pour la première fois de sa vie, il était libre des pressions et des exigences de la cour. Il se sentait en paix dans le village qui l'avait accueilli si simplement, alors qu'il était un étranger. Jarvan apprit également que son étrange sauveur à la peau pourpre était également une nouvelle venue et qu'elle se faisait appeler Shyvana.
 
La sérénité du village fut soudain troublée par un monstrueux dragon qui terrorisait les communautés proches et réduisait en cendres champs et bâtiments. Jarvan comprit que le hameau ne survivrait pas à l'attaque d'un dragon. Il conduisit donc les villageois jusqu'à la forteresse la plus proche : le château de Grivemuraille.
 
Cette nuit-là, Jarvan surprit Shyvana qui quittait l'enceinte. Elle avoua qu'elle était un demi-dragon et que la créature qui semait la ruine sur la région était sa propre mère, Yvva, qui considérait Shyvana comme une tache impure sur sa lignée. Le monstre n'arrêterait pas tant que Shyvana ne serait pas morte. Comme tous les Demaciens, Jarvan avait été élevé dans la méfiance des êtres magiques, mais il sut voir la bonté et la force de Shyvana et il n'oubliait pas avoir une dette envers elle. Ils ne pouvaient vaincre cette créature qu'en restant solidaires.
 
Comme le dragon était une menace permanente, Jarvan entraîna les villageois demaciens à combattre aux côtés des soldats du château de Grivemuraille. Il choisit ensuite les anciennes ruines de pétricite, à l'ouest, comme terrain pour leur bataille. L'ancien temple avait été construit pendant le cataclysme des Guerres runiques, mais aujourd'hui les pierres antimagie allaient être leur meilleure défense contre le dragon. Les combattants taillèrent même leurs têtes de flèche dans de la pétricite, sachant que tuer une bête si puissante allait requérir l'effort absolu de tous.
 
Jarvan et les soldats se cachèrent à proximité tandis que Shyvana se tenait au centre de la cour en ruines. Jarvan la regarda, les yeux écarquillés, se transformer en dragon, rugissant des flammes vers les cieux pour défier sa mère. Les villageois terrifiés battirent en retraite, mais Jarvan leur rendit courage en leur rappelant que Shyvana allait les aider à détruire leur ennemi.
 
Soudain, une silhouette encore plus effrayante cacha le soleil et Yvva, le grand dragon, vint se poser au milieu d'eux. Sur ordre de Jarvan, les soldats tirèrent des nuées de flèches de pétricite sur le dos du dragon, affaiblissant ses pouvoirs à chaque coup au but. Le dragon recula sous la douleur en crachant des flammes. Les soldats étaient brûlés dans leur armure, mais les flèches jaillissaient toujours et la proximité des ruines antimagie ancrait toujours la bête au sol.
 
Jarvan vit alors, estomaqué, Shyvana et sa mère se heurter avec une force à faire trembler la terre. Les dragons colossaux se combattirent dans un tourbillon de terre et de poussière qui les indifférenciait et Jarvan ordonna à ses archers de suspendre leurs tirs, de peur que son amie ne soit blessée. Le désespoir se saisit de lui quand il vit Shyvana reprendre sa forme humaine tandis qu'un filet de sang coulait de son cou. Mais elle regarda sa mère droit dans les yeux et, les griffes enflammées, elle arracha son cœur de sa poitrine.
 
La menace ayant été vaincue, Jarvan IV se sentit à nouveau le droit de retourner chez lui. Il avait fini par comprendre que les vraies valeurs demaciennes n'étaient pas seulement la victoire, mais l'union de tous en dépit des différences. Pour récompenser Shyvana de sa bravoure, il promit qu'elle serait toujours chez elle en son royaume. Mais tous deux savaient qu'à Demacia la méfiance envers la magie restait omniprésente et Shyvana jura de ne pas révéler sa double nature tant qu'elle combattrait aux côtés de Jarvan. Ensemble, ils allèrent jusqu'à la capitale, avec dans leur besace le crâne du dragon Yvva.
 
Beaucoup furent ravis de voir leur prince revenir sain et sauf, mais d'autres émirent des doutes quant au recrutement de Shyvana dans la garde et se demandaient pourquoi le prince n'était pas revenu immédiatement après avoir vaincu les Noxiens. Quoi qu'en pensât le roi Jarvan III lui-même, il accueillit le retour de son fils à la cour avec chaleur. En reprenant sa place, Jarvan IV jura de défendre les idéaux demaciens en bâtissant une nation qui prendrait soin de chacun de ses citoyens et saurait les unir contre toutes les menaces.
 
 
Ivoire, ébène, jaspe
 
Le général Miesar fit glisser sur la carte un cône d'ivoire. Jarvan s'émerveilla de la simplicité de cette pièce blanche. Pas de tête, rien qui évoquât un visage. Une simple forme cylindrique, neutre et lisse, sans aucune ressemblance avec les cent soldats demaciens qu'elle représentait.« Si nous conduisons nos chevaliers jusqu'au sud maintenant, nous pourrons attaquer les argoth avant qu'ils n'atteignent Sorguefagne », dit le général Ibell, une femme corpulente aux yeux impérieux.
 
« Les argoth sont plus féroces en essaims », fit le général Miesar en marchant de long en large dans la tente. « Ils s'appuient sur leur supériorité numérique pour repousser les attaques directes. Si on ne peut pas les diviser, ils nous auront massacrés bien avant que nous n'ayons atteint leur reine. »
 
Jarvan alla relever l'étoffe de la tente pour observer la vallée. La vue était plaisante : la lumière du matin faisait étinceler la rosée sur le paysage verdoyant et le village de Sorguefagne avait l'air paisible, d'ici. Mais une terrible forme grise grouillait à l'horizon : la horde, au loin, tonitruante.
 
Les argoth n'étaient pas d'énormes créatures et, en combat singulier, on pouvait facilement les vaincre, mais la volonté autoritaire de leur reine savait les faire agir ensemble : quand ils étaient nombreux, ils devenaient redoutables. Cet essaim était plus vaste que tout ce que Jarvan avait pu voir à ce jour.
 
Miesar essuya la sueur de son front. « Ils seront là ce soir ? »
 
« Avant », dit Ibell. « Nous avons une heure, peut-être deux si nous avons de la chance, avant que les argoth ne submergent Sorguefagne. »
 
Jarvan regarda la carte. Dix cônes d'ébène représentant les argoth étaient placés aux confins de Sorguefagne, et l'unique cône demacien ne pesait pas lourd en comparaison. La reine était indiquée par une petite figurine de jaspe rouge, en plein milieu de la masse noire.
 
« Toute charge vers la reine nécessiterait de pénétrer le bouclier de centaines d'argoth », dit Jarvan en désignant la pierre rouge. « Que proposez-vous ? »
 
Miesar cessa de marcher. « Je doute que vous aimiez ça, monseigneur, mais nous pourrions battre en retraite. Abandonner Sorguefagne. Revenir à l'aube avec des forces suffisantes pour percer les défenses de la horde et tuer la reine. »
 
« Laisser le village aux argoth ? » demanda Ibell. « C'est condamner ses habitants à mort. Ils seront submergés en quelques heures. »
 
Jarvan fixa les figurines d'ébène et d'ivoire jusqu'à ce qu'elles ne fassent plus qu'un dans son esprit. Restait la pierre rouge de la reine.
 
Ibell souleva des sourcils interrogateurs. « Vous voyez quelque chose, monseigneur ? »
 
« Un plan désespéré, mais le seul que nous ayons. Nous camouflons nos meilleurs combattants dans Sorguefagne et nous préparons une embuscade. Ils ne s'attendront pas à une attaque d'une si petite unité. Et quand la reine sera à notre portée, nous frapperons rapidement et sans pitié. Si nous la tuons, l'essaim sera brisé. »
 
« En plein milieu des argoth, monseigneur ? » demanda Miesar. « Cela aussi risque d'être une condamnation à mort. »
 
« Mais nous donnons à Sorguefagne une chance de survivre à l'attaque », dit Ibell.
 
« Tout plan comporte des risques », dit Jarvan. « Je ne prendrai la tête que de ceux qui seront volontaires et je ne tenterai quelque chose que lorsque nous aurons les meilleures chances de victoire. Nous attendons jusqu'à ce que l'œil de la tempête soit sur nous, puis nous frappons de l'intérieur. Une fois la reine morte, il ne sera pas trop compliqué de nous frayer un chemin de sortie. »
 
Ibell fit glisser un simple cône d'ivoire sur le village de la carte, puis bougea le cercle de pièces d'ébène jusqu'à recouvrir intégralement Sorguefagne. La reine de jaspe était au centre. D'un mouvement du doigt, elle fit basculer la pierre rouge. Puis elle fit glisser deux cônes blancs supplémentaires en renforts.
 
« C'est notre plan », approuva Jarvan. « Ibell et Miesar, vous et vos troupes conduirez la deuxième vague. »
 
« À vos ordres », répondit Miesar.
 
« Et vous, monseigneur ? » demanda Ibell. « Où serez-vous ? »
 
« J'ai une reine à tuer », répondit Jarvan.
 
 
Lux Square 0  Lux - Dame de lumière
 
Luxanna Crownguard est une redoutable mage de la lumière originaire de Demacia, un État isolationniste où la magie inspire habituellement la peur et la méfiance. Contrainte de dissimuler son pouvoir pendant la plus grande partie de son enfance, elle a grandi dans la crainte d'être un jour exilée, avant de finalement apprendre à accepter ce don et à l'employer secrètement pour le bénéfice de sa patrie.
 
Luxanna, ou plutôt Lux comme elle préférait se faire appeler, grandit dans la ville demacienne de Haut-Lac-d'Argent. Elle était l'un des deux enfants de la prestigieuse lignée des Crownguard, nom honorifique accordé à la famille ayant pour tâche de défendre le roi. Son grand-père sauva la vie du souverain lors de la bataille du Croc de la Tempête et son père assura cette responsabilité durant l'assaut noxien connu sous le nom de Folie de Cyrus. Le frère aîné de Lux, Garen, devait être à son tour l'héritier de cette distinction.
 
Les arts de la guerre, de l'équitation et de la chasse furent enseignés à Lux et Garen dès leur plus jeune âge. Mais alors que Garen choisit de suivre la tradition familiale en intégrant le Détachement hardi, l'un des régiments d'élite de Demacia, Lux rêvait quant à elle de s'aventurer au-delà des frontières de son pays et de découvrir le monde extérieur. Ses parents ne goûtaient guère de telles lubies. Ils espéraient bien plus que leur deuxième enfant devienne la garante et la protectrice de leur domaine familial. Malgré l'importance de cette tâche, Lux était une jeune femme obstinée et idéaliste qui convoitait un tout autre avenir. Elle idolâtrait Garen, mais s'agaçait de l'insistance avec laquelle il l'incitait à mettre ses ambitions de côté et à accomplir ses obligations, comme le ferait tout bon Demacien.
 
Animée de grandes idées et de beaux rêves, la jeune Lux n'aimait guère qu'on lui donne des ordres. Pour le plus grand malheur des tuteurs qui pensaient la préparer à une vie entièrement dévouée à sa famille, Lux mettait en doute le moindre enseignement, préférant aborder des idées nouvelles, débattre de visions divergentes et, plus généralement, agacer ses professeurs. Il était pourtant difficile de lui en vouloir. Son entrain était la manifestation d'un éclat intérieur qui pouvait apaiser les plus tendues des situations. Tout cela semblait parfaitement normal pour Lux, mais avec le temps, elle commença à comprendre que cet « éclat » n'était pas qu'une simple tournure poétique. Sa signification lui apparut un jour pendant une promenade en solitaire dans les montagnes septentrionales de Demacia.
 
Alors que s'estompaient les dernières lueurs du jour, son cheval perdit l'équilibre sur une plaque de verglas et tomba, se brisant la patte avant. Elle était perdue au milieu de nulle part. Le village le plus proche était trop loin pour être atteint avant l'arrivée de la nuit noire et elle était trop désemparée devant la douleur de sa monture pour l'abandonner là. Elle savait bien ce que Garen lui dirait : il faut le tuer rapidement pour abréger sa souffrance. Mais elle ne pouvait se résoudre à donner la mort au cheval qu'elle montait depuis son enfance. Alors que Lux se préparait à passer la nuit seule dans la montagne, une meute de loups à dents de sabre affamés qui avait senti le sang du cheval quitta sa tanière à la recherche de cette viande fraîche.
 
Ne voyant pas sa fille revenir alors que la nuit tombait, le père de Lux décida de partir à sa recherche, accompagné de Garen. Ils la cherchèrent toute la nuit et la retrouvèrent finalement le lendemain, blottie et tremblotante auprès de sa monture apeurée. Elle était entourée par les corps de six loups à dents de sabre, dont la chair et la fourrure semblaient avoir été roussies. Lux refusa de raconter ce qui était arrivé et implora son père de secourir son cheval adoré. Il fut ramené à la maison familiale sur un chariot et eut la vie sauve grâce aux soins de sa maîtresse.
 
À la suite de cet incident, Lux comprit qu'elle possédait des capacités dépassant de loin celles de son entourage. Mais sa magie avait toutes les chances d'être vue avec défiance par les habitants de Demacia. Depuis sa toute petite enfance, on lui racontait que la magie avait bien failli entraîner la destruction totale de Runeterra. Son oncle lui-même avait été terrassé par un mage et les contes populaires de Demacia ne manquaient pas de sorciers au service du mal, qui étaient capables de corrompre les cœurs les plus purs grâce à la magie. Allait-elle devenir un serviteur du mal, elle aussi ? Était-elle une abomination qu'il fallait tuer ou exiler de l'autre côté du grand mur ? Lux commença à être rongée par la peur et le doute. Elle passait ses nuits les yeux fermés le plus fort possible, à serrer les poings pour empêcher la lumière d'irradier de sa peau.
 
L'idée terrifiante qu'elle n'était pas normale faillit la briser intérieurement. Mais après une nuit étrange à la capitale de Demacia alors que Lux n'avait que treize ans, nuit pendant laquelle un énorme colosse de pierre se mit en branle, elle rentra à Haut-Lac-d'Argent avec une compréhension nouvelle de ses pouvoirs.
 
Les Crownguard ordonnèrent à Garen de rester à la capitale pour qu'il s'entraîne avec le Détachement hardi. Lux ne voyait son frère que lors de ses rares visites à Haut-Lac-d'Argent et leur relation se faisait de plus en plus distante à chacune de ses venues. Lorsque Lux rentra chez elle, elle était déterminée à accepter pleinement ses pouvoirs, et non plus à les craindre. Elle parvenait régulièrement à échapper à l'attention de ses gardes du corps, pour leur plus grand désespoir, et à partir des heures durant à dos de cheval, loin des regards accusateurs. Seule, au milieu des forêts sauvages, elle pouvait laisser libre cours à sa magie, et ainsi apprendre à mieux la contrôler. Elle était enfin capable de déchaîner ses pouvoirs dans toute leur folle majesté. Elle pouvait courber la lumière pour aveugler et étourdir, faire surgir un éclat intense dans la paume de sa main ou encore matérialiser des silhouettes étincelantes à partir de rien. Elle savait même générer une lumière si intense qu'elle pouvait brûler et détruire. Ces pouvoirs qui autrefois la terrifiaient faisaient désormais son bonheur, alors qu'elle avait enfin la liberté de les laisser s'exprimer.
 
Quand bien même elle comprenait de mieux en mieux ce dont elle était capable, Lux savait qu'il lui restait beaucoup à apprendre. Au cours des années qui suivirent, Lux se retrouva plusieurs fois associée à de curieux phénomènes survenus dans le manoir des Crownguard : des lumières dansantes aux quatre coins de la bâtisse, des statues se mettant à déclamer des absurdités, ou des gloussements semblant venir de nulle part. Sa famille parvenait toujours à leur trouver des explications, fermant délibérément les yeux sur leur origine évidente. Admettre la source réelle de ces événements serait revenu à reconnaître une douloureuse vérité et à attirer sur la famille une attention indésirable. Bien décidée à confronter Lux aux réalités du monde, sa mère la faisait régulièrement voyager d'un domaine des Crownguard à l'autre pour lui présenter les nombreuses familles sous leur protection. Malgré ses réticences initiales, Lux fut peu à peu considérée comme une personne affable, prête à faire tout son possible pour aider les autres dans ces temps difficiles.
 
Quand Lux eut seize ans, elle et sa famille firent le déplacement à la capitale de Demacia pendant un mois afin d'assister à l'investiture de Garen dans les rangs du Détachement hardi. Elle continua à faire preuve d'altruisme à cette occasion, en prêtant main-forte aux gens dans le besoin pour le compte des Illuminateurs, un ordre religieux charitable. Dans la capitale, tout comme à Haut-Lac-d'Argent, le nom de Lux était désormais associé à celui d'une jeune femme aussi sage qu'attentionnée. Lors de son séjour, elle se lia d'amitié avec Kahina des Chevaliers rayonnants, membre de l'ordre guerrier des Illuminateurs. Elle prit pour habitude de s'entraîner avec elle entre deux bals et autres obligations officielles auxquels elle devait assister avec sa famille, et devint rapidement très proche de la jeune guerrière.
 
Mais tous les soirs, le naturel enthousiaste de Lux reprenait le dessus et elle utilisait ses pouvoirs pour s'échapper des murs de la ville. Demacia avait séduit Lux par sa beauté, mais lors d'une visite dans un village bordant une forêt vierge, elle découvrit que l'obscurité pouvait s'installer y compris dans le plus lumineux des jardins.
 
Lux tomba sur un nid de créatures carnivores qui tourmentaient les habitants du village et les traqua jusqu'à leur antre dans la forêt. Les bêtes vivaient dans un réseau de grottes dont les galeries étaient jonchées d'os rongés. Animée par un sentiment d'invulnérabilité juvénile et d'indignation exubérante, elle déchaîna sur eux des vagues de magie incandescente. Lux avait certes tué des dizaines de créatures mais, emportée par sa fougue, elle avait sous-estimé leur nombre et se trouva rapidement submergée. Alors qu'elle était sur le point de se faire égorger par les monstres, un peloton des Chevaliers rayonnants qui les traquait également lança l'assaut sur l'antre et les passa au fil de l'épée. Le chef de ces guerriers n'était autre que Kahina. Et elle avait vu ce dont Lux était capable.
 
La jeune fille fut escortée jusqu'à Demacia, où elle fut présentée aux principaux dignitaires des Illuminateurs. Ils lui proposèrent un choix draconien : employer ses pouvoirs pour enquêter sur les ennemis de Demacia au-delà de ses frontières, ou être exilée pour toujours, comme l'étaient tous les utilisateurs de magie. Lux fut médusée d'apprendre que l'un des ordres de Demacia ne rechignait pas à utiliser la magie, mais l'offre était trop séduisante pour qu'elle la refuse. Elle l'accepta volontiers. Ses parents rentrèrent à Haut-Lac-d'Argent, avertis que leur fille avait été mutée dans le but de servir la couronne et qu'elle allait rester à Demacia pour rejoindre les rangs des Chevaliers rayonnants. Ils étaient surpris mais ravis que Lux ait enfin trouvé sa place à Demacia.
 
Lux resta plusieurs années à la capitale, où elle s'entraîna auprès des Chevaliers rayonnants et suivit l'enseignement des Illuminateurs, avant de partir pour sa première mission. Elle consistait à infiltrer un territoire contesté entre la Demacia orientale et l'empire noxien pour enquêter sur la présence d'agents ennemis qui s'employaient à monter ces États tampons contre Demacia. La mission de Lux fut un succès total. Le complot échoua et les alliances fragiles négociées par les agents noxiens apparurent au grand jour comme les duperies qu'elles étaient. D'autres missions suivirent, chacune d'elle ne faisant qu'asseoir la réputation de Lux. Elle était vue comme quelqu'un de fiable, peu importe la difficulté de la tâche.
 
Au-delà des murs de Demacia, Lux développa sa connaissance du monde, découvrant de ses propres yeux sa grande diversité, son histoire bien remplie et sa myriade de peuples. Elle comprit ainsi que les mœurs demaciennes n'étaient pas les seules et commença à en voir les défauts en plus des bienfaits. Lorsqu'elle est loin de sa patrie, elle peut employer ses pouvoirs à volonté, mais elle fait en sorte de les dissimuler dès qu'elle revient rendre visite à ses parents et à Garen. Pour son frère et sa famille, elle est un serviteur loyal de Demacia... ce qui est vrai, mais pas comme ils se l'imaginent.
 
 
Dernière lumière
 
Le tremblement de terre avait frappé Terbisia à l'aube. Le sol avait tressailli tel un poulain indompté et s'était fissuré de plaies béantes. Lux chevaucha Feu astral parmi les restes d'une barbacane dont les murs de pierre de 10 mètres de haut, blanchis par le soleil, donnaient l'impression d'avoir été bombardés des semaines durant par des engins de siège noxiens. Elle guida son cheval avec précaution entre les blocs effondrés, en direction d'une infirmerie improvisée installée sous une grande tente bleue et blanche.
 
Lux n'avait jamais assisté à un tel spectacle de désolation. Les bâtiments de Terbisia étaient des ouvrages imposants construits par la ferveur de ses habitants à partir du granit des montagnes et de chênes demaciens. Presque tous, pourtant, avaient été entièrement détruits. Des hommes et des femmes couverts de poussière creusaient les ruines à coups de pelles et de pioches dans l'espoir d'y trouver des survivants, mais n'en extrayaient rien de plus que des cadavres. Des rues entières avaient sombré dans les crevasses fumantes qui scindaient désormais les quartiers de la ville.
 
Lux mit pied à terre en arrivant devant la tente et y pénétra. Elle n'était pas guérisseuse, mais elle pouvait tout de même apporter son aide aux blessés ou simplement les consoler. Elle pensait que constater l'ampleur des dégâts l'avait préparée aux souffrances qui l'attendaient sous la tente.
 
Elle se trompait.
 
Des centaines de survivants arrachés aux décombres gisaient sur des couvertures de laine. Lux voyait les parents pleurer leurs enfants portés disparus, les femmes et les maris enlacer leurs êtres chers défunts et, pire encore, les orphelins désorientés, hagards, errant au milieu de l'agitation. Elle reconnut l'un des médecins, qui portait un tablier couvert de sang séché et se lavait les mains dans un bol en étain. Elle s'approcha de lui.
 
« Alzar. Dites-moi comment je peux me rendre utile. »
 
Il se retourna, le regard lourd et imbibé de larmes. Il lui fallut un court instant pour émerger des brumes de son chagrin.
 
« Dame Crownguard », dit Alzar en faisant une rapide révérence.
 
« Lux », le reprit-elle. « Dites-moi, je vous en prie. »
 
Le médecin soupira. « Votre présence est une bénédiction, madame, mais j'aimerais autant vous épargner l'horreur de ce spectacle. »
 
« Ne m'épargnez rien », répondit sèchement Lux. « Je suis demacienne et je me dois d'aider les Demaciens. »
 
« Bien sûr. Je vous prie de m'excuser, madame », dit Alzar dans un soupir d'épuisement. « Votre présence apportera un grand réconfort aux victimes. »
 
Alzar l'accompagna jusqu'à un jeune homme qui était allongé sur un grabat à l'arrière de la tente. Lux eut le souffle coupé en découvrant l'horreur de ses blessures. Son corps avait été brisé par les débris et ses yeux étaient couverts de bandages ensanglantés. En constatant qu'il refusait de montrer des signes de douleur, elle devina qu'il s'agissait d'un soldat.
 
« Il a extirpé une famille des décombres de sa maison », dit Alzar. « Après les avoir sauvés, il est retourné chercher d'autres survivants. Mais une réplique s'est produite et un autre bâtiment s'est effondré sur lui. Ça lui a écrasé les poumons et des éclats de verre se sont fichés dans ses yeux. »
 
« Combien de temps lui reste-t-il ? » demanda Lux à voix basse.
 
« Les dieux seuls le savent, mais son temps est compté », répondit Alzar. « Si vous pouviez rester à ses côtés, cela apaiserait son passage entre les mains de la Dame Voilée. »
 
Lux hocha la tête et s'assit auprès du jeune mourant. Elle prit sa main et sentit son cœur se fendre pour lui. Alzar lui fit un sourire, reconnaissant, puis retourna aider ceux qui pouvaient encore être sauvés.
 
« Tout est si sombre », dit l'homme, qui s'était éveillé en sentant la main de Lux. « Je ne vois plus rien !»
 
« Calmez-vous, soldat. Dites-moi votre nom », fit Lux.
 
« Dothan », répondit-il dans un râle pénible.
 
« Comme le héros d'Aubecastel ? »
 
« Oui. Vous connaissez cette histoire ? C'est une vieille victoire contre les sauvages. »
 
« Croyez-moi, je la connais très bien », dit-elle en arborant un sourire triste. « Mon frère me la racontait en permanence quand nous étions enfants. Il me forçait à jouer les corsaires de Freljord pendant que lui incarnait Dothan, défendant à lui seul le port contre les changelins. »
 
« J'ai essayé d'être comme lui », dit le jeune homme de sa voix de plus en plus épuisée. Du sang se mit à ruisseler sous son bandage, tel une larme rouge. « J'ai essayé d'être digne de son nom. »
 
Lux tenait de ses deux mains la sienne.
 
« Vous l'êtes. Alzar m'a raconté ce qu'il s'est passé. Vous êtes un véritable héros de Demacia. »
 
Le visage de Dothan s'apaisa timidement, alors que son souffle rocailleux trahissait son agonie.
 
« Pourquoi ne puis-je rien voir ? »
 
« C'est parce que vos yeux... » répondit lentement Lux. « Je suis désolée. »
 
« Que... Qu'est-ce qu'ils ont ? »
 
« Le chirurgien, Alzar, m'a dit que des bouts de verre se sont plantés dedans. »
 
Il se mit à haleter.
 
« Je vais mourir... Je le sais, mais... J'aurais tant aimé voir la lumière de Demacia... une dernière fois. »
 
Lux sentit sa magie intérieure frémir, mais murmura le mantra que lui avaient appris les Illuminateurs pour l'empêcher d'émerger. Avec les années, elle avait compris comment mieux contrôler son pouvoir, mais elle était parfois saisie par des émotions si vives qu'elle peinait à contenir ses énergies. Elle regarda autour d'elle et, constatant que personne ne l'observait, plaça le bout de ses doigts sur le bandage ensanglanté qui couvrait les yeux de Dothan. Puis elle laissa s'écouler le rayonnement mystique de sa magie dans le crâne du jeune homme jusqu'à atteindre les parties intactes de ses yeux.
 
« Je ne peux pas vous guérir, mais je peux au moins vous donner cela. »
 
Il serra sa main et ouvrit la bouche comme pour s'émerveiller de cette lumière de Demacia qui brillait maintenant en lui.
 
« C'est si beau... » murmura-t-il.
 
 
Shyvana Square 0 Shyvana - Demi-dragon
 
Shyvana est un demi-dragon dont le cœur palpite au rythme brûlant d'un éclat de rune magique. Bien qu'elle paraisse humanoïde la plupart du temps, elle peut se transformer à volonté en un terrifiant dragon. Ne sachant pas si elle est fondamentalement humaine ou bestiale, Shyvana combat pour garder la maîtrise de ses pouvoirs pendant qu'elle oscille entre les deux formes.
 
Les insondables mystères des dragons défient toutes les théories. Ceux qui étudient la question parlent d'anciennes runes élémentaires partagées entre les lignées draconiques et transmises par les femelles à leurs filles par ordre de primogéniture. Ces fragments infusent dans les dragons qui les portent une puissante magie du vent, de la terre, de l'eau ou du feu.
 
Un œuf de dragon fut ainsi pondu au cœur d'un volcan équatorial, vibrant de la lointaine pulsation d'une rune de feu. Attiré par sa puissance, un mage audacieux essaya d'en extraire la force runique, mais il fut interrompu par le retour de la mère du dragon. Le mage s'enfuit, sans se rendre compte qu'il avait diffusé sa propre magie mortelle dans l'œuf. La mère du dragon, Yvva, s'émerveilla de l'énergie flamboyante qui dansait en volutes sous la coquille, ignorant que c'était le signe d'une magie mêlée. Avec son compagnon, elle envisagea de nommer sa progéniture Shyvana, pour honorer l'héritage d'Yvva.
 
La lune de sang de l'automne laissa place à l'hiver et l'œuf finit par éclore, révélant un bébé humain à la peau pourpre. Tandis que l'enfant inspirait pour la première fois et commençait à pleurer, son corps se transforma et prit la forme d'un dragon. Yvva eut un geste de recul devant cette abomination hybride et tenta de tuer l'enfant : elle ne pouvait accepter que cette créature contre-nature pollue sa lignée. Mais son compagnon ne pouvait accepter le meurtre de Shyvana et, à l'issue d'un féroce combat, il s'enfuit en emportant sa fille.
 
Pendant des années, Shyvana et son père se cachèrent, sans cesse en mouvement, pour échapper à la colère d'Yvva. En grandissant, Shyvana éprouvait du mal à contrôler ses vigoureuses émotions et sa puissance instable. Son père l'aidait à tempérer le côté draconique qu'elle tenait de sa mère et qui frôlait sans cesse la plus brutale des fureurs. Quand elle était sous forme humaine, Shyvana s'infligea de nombreuses brûlures en apprenant peu à peu que la vie était chose fragile et qu'on ne pouvait tout enflammer sans conséquence. De temps à autre, son feu draconique activait l'écho runique à l'intérieur d'elle-même, un écho qui était intrinsèquement lié à sa mère.
 
Au fur et à mesure que la puissance de Shyvana grandissait, Yvva parvenait à mieux sentir, de loin, la présence de sa fille. Elle finit par la retrouver et l'accabla de moqueries sur son origine, lui révélant que son vrai père n'était qu'un humain qui avait corrompu une noble lignée de dragons et l'avait pervertie de façon immonde. Son devoir était de mettre un terme à ce qui n'aurait jamais dû exister, expliqua-t-elle, avant de l'attaquer férocement. La jeune Shyvana se défendit, mais subit de nombreuses blessures avant que son père ne surgisse pour la sauver. Il combattit avec une ardeur sauvage pour donner à Shyvana le temps de s'enfuir, ne montrant aucune pitié, aucune retenue contre son ancienne compagne. Mais il finit par succomber sous le feu ardent d'Yvva et il mourut.
 
Affligée par la peine, Shyvana s'enfuit ; elle cherchait une terre étrange dont parlaient les histoires de son père, un lieu riche en pétricite, cette roche qui étouffait la magie. Quand elle atteignit les territoires extérieurs de Demacia, elle comprit qu'elle avait trouvé ce qu'elle cherchait. La terre elle-même avait l'air lourde, oppressante, rendant difficile l'utilisation de ses pouvoirs runiques, et Shyvana constata qu'il lui était plus facile de rester sous forme humaine. Ici, elle espérait pouvoir masquer suffisamment sa magie pour se cacher de sa mère.
 
Alors qu'elle chassait, à la recherche de viande fraîche, Shyvana suivit une odeur de sang et tomba sur un guerrier blessé qui attendait la mort au creux d'un arbre ; son nom était Jarvan. Même si ses instincts de prédateur lui soufflaient de l'achever, son côté humain comprit que l'homme avait besoin de son aide. Il était peu probable que quelqu'un le trouve dans les collines excentrées des confins de Demacia et, sans aide, il allait mourir.
 
Shyvana porta un Jarvan à demi-conscient jusqu'à la ville la plus proche, en dépit de sa crainte qu'on la reçoive avec le même dédain que partout ailleurs depuis sa naissance. À sa grande surprise, les villageois l'accueillirent dans leur hameau et la remercièrent d'avoir porté secours au soldat. Elle vit les efforts communs de ces gens simples pour soigner Jarvan alors même que nul ne le connaissait et Shyvana découvrit une chose qui lui était inconnue : la camaraderie. Les Demaciens prenaient soin les uns des autres, apprit-elle, et plus elle observait la communauté, plus elle avait envie d'en faire partie.
 
Pendant des mois, Shyvana vécut en paix, chassant le jour des sangliers sauvages et des élans blancs, retournant le soir partager son butin avec le village. Elle apprit que Jarvan avait été fait prisonnier par un royaume voisin et avait réussi à s'échapper, mais ne se sentait pas digne de retourner chez lui.
 
Un soir, Shyvana entendit le bruit de vastes ailes dans le lointain, et elle sut que sa mère l'avait de nouveau retrouvée. Le grand dragon ravagea le pays, cherchant partout Shyvana, brûlant les villes et les champs de son souffle incandescent. Jarvan mena les villageois paniqués jusqu'au château de Grivemuraille, une forteresse aux murs élevés où ils pourraient se retrancher.
 
Sachant que sa présence ne pouvait que nuire à ceux qu'elle avait appris à aimer, Shyvana décida de s'en aller loin d'eux. Jarvan l'arrêta au moment où elle allait partir ; elle finit par admettre qu'elle était un demi-dragon et que c'était à cause d'elle que sa mère mettait le pays à feu et à sang. Jarvan refusa de la laisser fuir : elle lui avait sauvé la vie et il avait l'intention de payer sa dette. Jarvan proposa qu'ils combattent Yvva ensemble. Avec l'aide des villageois et des soldats de Grivemuraille, il était sûr que le monstre pouvait être battu. Émue par sa compassion, Shyvana accepta son offre.
 
Jarvan entraîna les paysans à combattre aux côtés des soldats et, quand ils furent prêts, Shyvana se plaça au centre d'anciennes ruines de pétricite, frissonnant de sentir la pierre annuler ses pouvoirs. Les soldats et les villageois se cachèrent à proximité tandis que des cornes poussaient sur le front de Shyvana, avant qu'elle ne se transforme en un grandiose dragon aux ailes pourpres. Elle rugit, crachant des flammes pour attirer sa mère jusqu'au sol.
 
Shyvana entendit le froissement des ailes d'Yvva qui approchait. Les soldats lâchèrent des volées de flèches à tête de pétricite pour l'affaiblir. Le grand dragon riposta de toutes ses griffes, crachant des torrents de flammes qui rôtissaient les soldats dans leurs armures. Sur ordre de Jarvan, les villageois continuèrent leurs tirs et d'autres flèches percèrent la chair d'Yvva, l'emprisonnant dans les ruines.
 
Shyvana se dressa avec orgueil devant sa mère, mais cette dernière ne fit que rire ; elle avait toujours sous-estimé la colère de sa fille. Griffes et crocs lacéraient chairs et os tandis que les deux dragons s'affrontaient dans un combat de titans, réduisant les vestiges des ruines en poussière. Shyvana arracha les ailes d'Yvva, mais sa mère coinça sa gorge entre ses dents taillées comme des coutelas. Le sang s'échappait de la clavicule de Shyvana et elle s'effondra, reprenant sa forme humaine.
 
Yvva se pencha sur sa fille, prête à mettre fin à sa vie, mais Shyvana canalisa toute sa fureur et toute sa peine pour invoquer la rune de feu qui irriguait son sang. Elle enfonça ses griffes dans la chair de sa mère et lui arracha le cœur. Alors que le sang d'Yvva coulait au sol, Shyvana, ne ressentant aucune pitié, rugit de triomphe.
 
Devant tout le village, Jarvan loua la bravoure de Shyvana et déclara qu'elle serait toujours chez elle à Demacia. Pour la première fois, Shyvana sentit qu'elle faisait partie de quelque chose qui la dépassait et, grâce à Jarvan, comprit que la force de Demacia était son unité. En retour, impressionnée, elle jura de servir Jarvan, lui offrant de combattre à ses côtés, quelle que soit la voie qu'il choisirait d'emprunter.
 
Une fois le grand dragon détruit, la foi de Jarvan dans sa capacité à commander ressuscita et il comprit qu'il pouvait retourner dans sa ville natale. Shyvana l'accompagna jusqu'à la capitale : ils apportaient le crâne d'Yvva en preuve de leur incroyable triomphe. Shyvana savait que Demacia pouvait être dangereuse pour quelqu'un d'aussi imprégnée de magie qu'elle, mais elle n'avait jamais eu autant l'impression d'être à sa place.
 
Dans la capitale, Shyvana reste sous forme humanoïde et défend de son mieux sa patrie d'adoption, mais, aussi souvent que possible, elle s'échappe dans la campagne pour s'ébattre sous forme de dragon. Elle sert Demacia avec fierté, mais elle sait qu'un jour elle devra répondre à l'appel runique qui brûle dans son cœur.
 
 
La bête ailée
 
La tour de garde était vide.
 
Shyvana savait que son gardien à la barbe grise, Thomme, se serait coupé la main plutôt que d'abandonner son poste. Elle avait senti l'odeur du sang humain en patrouillant dans les collines au nord de Demacia et en avait suivi la trace jusqu'à la tour.
 
À l'intérieur, les effluves étaient insoutenables, mais aucune tache de sang n'était visible. Soldat de Demacia, Shyvana conservait la plupart du temps sa forme humaine pour cacher sa véritable nature, mais ses instincts draconiques n'en étaient pas diminués. Elle se mordit la langue pour couper court à la faim que l'odeur du sang faisait monter en elle. Shyvana grimpa au sommet de la tour d'où elle pouvait mieux surveiller l'environnement, et elle fixa son regard sur l'épaisse canopée : les feuilles bougeaient au rebord d'une clairière.
 
Shyvana sauta par la fenêtre de la tour de garde et atterrit sur ses pieds, cinq étages plus bas. Elle détecta du sang dans le vent et fonça à l'ouest de la forêt, esquivant les branches sur son passage. Au bord de la clairière, un grand félin à la fourrure dorée était en train de se repaître du cadavre de Thomme. Des ailes aux plumes noires sortaient des épaules du monstre et sa queue serpentine se tordait comme si elle était une créature indépendante.
 
L'odeur du sang frais était enivrante, mais Shyvana se força à ne penser qu'à la chasse. Elle avait rejoint les rangs de Demacia pour participer à quelque chose de grand, pas pour succomber à ses pulsions animales.
 
Elle avança lentement vers la bête et sentit le feu draconique palpiter dans sa main tandis qu'elle s'apprêtait à frapper. Mais avant qu'elle n'ait eu le temps d'attaquer, la créature releva la tête. Son visage était glabre et ridé comme celui d'un vieillard. Il sourit à Shyvana, découvrant des crocs ensanglantés.
 
« Il est à toi », dit-il.
 
Shyvana avait entendu parler de la férocité des vellox, de leur goût pour la chair humaine, de leur agilité. Mais rien ne l'avait préparée au visage effroyablement humain du prédateur, à ces yeux imperturbables qui ne la lâchèrent pas jusqu'à ce qu'il ait disparu dans les buissons. Le cœur de Shyvana se mit à battre tandis qu'elle s'élançait pour rattraper et tuer la bête. La fourrure du vellox se fondait dans la lumière du soleil, camouflant son corps alors qu'il bondissait au-dessus des troncs morts et des rivières en crue. Mais il ne pouvait pas camoufler son haleine ensanglantée et Shyvana suivait la piste odorante.
 
Devant, un rocher bloquait le passage. Les griffes du vellox laissèrent des sillons quand il sauta dessus avant de disparaître. Shyvana enfonça ses talons au sommet du rocher pour stopper son élan : le roc donnait sur une large crevasse qui dégringolait à pic.
 
De l'autre côté, la forêt continuait sans fin et le vellox s'enfonçait déjà dans ses profondeurs. Shyvana soupira : il n'y avait qu'une manière de traverser le ravin et elle aurait préféré ne pas en arriver là.
 
Elle vérifia autour d'elle que personne ne regardait et aspira tout l'air que pouvait contenir ses poumons ; elle sentit son souffle brûler dans sa poitrine. Même de l'autre côté du ravin, elle parvenait à sentir l'odeur de Thomme sur les crocs du vellox. Elle laissa libre cours à sa faim jusqu'à ce qu'elle suffise à embraser la fournaise sous sa peau. Exhalant un jet de flammes, Shyvana prit sa forme draconique et rugit. Le ravin sembla trembler dans l'écho de son puissant appel. Elle ouvrit ses ailes veloutées et franchit la crevasse jusqu'à l'autre pan de la forêt.
 
Elle n'avait plus besoin de se faufiler entre les arbres. Elle fonçait désormais à travers les branches, abattant tout sur son passage. Elle accéléra et la forêt ne fut plus qu'un tourbillon flou de bruns et de verts. Ours sylvains, élans argentés, une multitude d'animaux forestiers s'enfuyaient devant elle et Shyvana se délecta de la puissance qu'elle ressentait devant leur peur. Elle souffla un torrent de feu, transformant un bosquet en cendres.
 
Elle repéra devant elle la trace d'une fourrure dorée et sauta sur le dos du vellox. Les crocs de l'animal raclèrent ses flancs mais elle ressentit à peine la douleur.
 
« Je te connais », dit le vellox en se débattant pour s'échapper. « Tu es celle qu'on appelle l'Enchaînée. »
 
Le prédateur doré sauta, frappant de ses serres et écorchant la gorge du dragon de ses crocs. Shyvana enfonça ses griffes dans son dos et savoura le plaisir de la chair qui se déchirait.
 
« Pourquoi me traques-tu ? » demanda le vellox. « Nous ne sommes pas ennemis. »
 
« Tu as tué un soldat de l'armée demacienne », dit Shyvana. « Thomme. »
 
Le vellox fit couler le sang sur son cou, mais elle souffla des bouffées de feu et il s'écarta pour éviter les flammes.
 
« C'était ton ami ? »
 
« Non. »
 
« Et pourtant, tu veux venger sa mort. Les rumeurs sont donc vraies. Tu n'es qu'un animal domestique. »
 
Shyvana gronda.
 
« Au moins ne suis-je pas un tueur d'hommes », dit-elle.
 
« Vraiment ? » sourit le vellox. « Tu n'éprouves jamais de désir pour le sang humain ? »
 
Shyvana fit un cercle autour du vellox.
 
« Je vois la faim dans tes yeux », dit-il. « Le désir de viande fraîche. Tu as besoin de la chasse, autant que moi. Après tout, où est le plaisir du repas si la traque ne le précède pas ? »
 
Shyvana souriait, à présent.
 
« Ce qui nous ramène à la situation présente », dit-elle.
 
Shyvana chargea. En un seul mouvement, elle plaqua le corps du vellox sur le sol de la forêt et happa sa gorge. Le vellox cracha un venin brûlant et s'agrippa à sa poitrine, arrachant des écailles. Le poison brûlait les yeux de Shyvana et ses blessures lui faisaient mal, mais elle tint bon.
 
La fourrure du vellox était poisseuse, entièrement couverte de sang. Ses yeux humains, noyés de larmes, se fixèrent sur Shyvana tandis qu'il sentait avec horreur la vie le quitter.
 
Malgré sa faim, Shyvana se retint de dévorer sa chair. Elle souffla pour chasser de ses poumons le feu draconique et elle reprit forme humaine. Le plaisir qu'elle avait pris à cette tuerie la perturbait. Tremblante, elle souleva le cadavre du vellox et le traîna jusqu'à la crevasse. Il reposerait là, désormais, preuve de la faim inhumaine de Shyvana, caché dans les ténèbres sous les rocs.
 
 
Vayne Square Vayne - Chasseur nocturne
 
Shauna Vayne est une impitoyable chasseuse de monstres qui a voué sa vie à la traque et à l'élimination du démon qui a massacré sa famille. Armée d'une arbalète-gantelet et obsédée par sa vengeance, Vayne n'est heureuse que lorsqu'elle tue les pratiquants des arts obscurs ou leurs créations.
 
Fille unique d'un riche couple demacien, Vayne bénéficia d'une éducation privilégiée. Elle consacra la majeure partie de son enfance à des activités solitaires ; lire, apprendre à jouer d'un instrument et collectionner les différents insectes que l'on trouvait aux abords de son manoir. Quand ils étaient jeunes, ses parents avaient parcouru Runeterra en long et en large, mais ils avaient décidé de s'installer à Demacia à la naissance de Shauna, car les Demaciens étaient les gens les plus altruistes qu'ils eussent rencontrés.
 
Le jour de son seizième anniversaire, Vayne rentra chez elle après un banquet estival et fut témoin d'une scène qu'elle ne pourrait jamais oublier.
 
Une femme cornue à la beauté indescriptible se tenait devant les corps ensanglantés de ses parents.
 
Vayne hurla de terreur. Avant de disparaître, le démon jeta un coup d'œil à la jeune fille et esquissa un sourire.
 
Vayne essaya d'écarter les cheveux rouge sang qui couvraient les yeux de sa mère, mais cet effroyable sourire ne voulait pas quitter son esprit et commença petit à petit à la ronger. Alors même qu'elle fermait délicatement les paupières de son père, dont la bouche restait grande ouverte, figée dans la confusion de ses derniers instants, le sourire du démon s'insinuait dans ses pensées.
 
Ce sourire allait attiser la haine de Shauna jusqu'à la fin de ses jours.
 
Vayne tenta d'expliquer ce qui était arrivé, mais personne ne la crut. Il était bien trop difficile de croire en la présence d'un démon à Demacia, un royaume particulièrement bien protégé contre la magie.
 
Mais Vayne savait ce qu'elle avait vu. Elle savait que le démon frapperait à nouveau ; son sourire l'en convainquait. Pas même les hauts murs de Demacia ne pouvaient empêcher la magie noire de s'infiltrer par les fissures. Les créatures occultes se déguisaient parfois habilement ou restaient tapies dans les ombres, mais elles étaient bien là et Vayne le savait.
 
Et elle ne voulait plus avoir peur.
 
Vayne avait le cœur plein de haine et des coffres remplis d'or, suffisamment pour monter une petite armée, mais aucune armée n'oserait la suivre sur la route qu'elle avait choisie. Elle voulait apprendre tout ce qu'il y avait à savoir sur la magie noire : comment la traquer. Comment la contrer. Comment tuer ses pratiquants.
 
Elle avait besoin d'un professeur.
 
Ses parents lui avaient raconté des histoires sur les Sublimés, ces guerriers qui avaient affronté une Sorcière de glace dans les contrées du nord. Pendant des générations, ils avaient repoussé ses mystérieuses troupes et ses serviteurs. Vayne était persuadée que c'était là-bas qu'elle trouverait son instructeur. Elle échappa à ses tuteurs et acheta un billet pour le prochain bateau en partance pour Freljord.
 
Peu de temps après son arrivée, Vayne se mit à la recherche d'un chasseur de monstres. Elle trouva ce qu'elle cherchait, mais d'une manière inattendue. Alors qu'elle traversait un canyon gelé, Vayne tomba dans un piège astucieusement taillé dans la glace et fut précipitée dans un puits cristallin. En relevant la tête, Vayne croisa le regard d'un troll des neiges qui se pourléchait les babines en observant sa prise.
 
Sa gigantesque langue bleue s'arrêta net lorsqu'une lance siffla dans les airs et se planta dans la tête du troll. Le géant bascula à son tour dans le puits et Vayne eut tout juste le temps de rouler sur le côté pour éviter de se faire écraser. Une marre poisseuse de bave et de sang se forma à ses bottes.
 
Vayne avait été sauvée par une femme aux cheveux grisonnants du nom de Frey. Celle-ci alluma un feu de camp, dont les flammes peinaient à survivre dans le froid du canyon, puis elle pansa les blessures de Vayne. Frey lui raconta qu'elle avait passé sa vie à combattre les serviteurs de la Sorcière de glace, lesquels avaient assassiné ses enfants. Apprenant cela, Vayne implora la femme de bien vouloir la prendre sous son aile et de lui apprendre à chasser les créatures occultes, mais la Freljordienne refusa. Vayne empestait les privilèges et les pièces d'or, et ni les uns ni les autres ne permettaient d'avoir du cran dans l'anarchie du combat.
 
Vayne n'accepta pas la réponse de Frey et la défia en duel : si elle gagnait, Frey l'entraînerait. Si elle perdait, elle aiderait Frey à tendre une embuscade aux serviteurs de la Sorcière de glace en servant d'appât. Vayne n'avait aucune raison de penser qu'elle gagnerait : son entraînement se résumait à un après-midi d'escrime pendant lequel elle s'était rapidement lassée de combattre avec une main dans le dos. Néanmoins, elle ne voulait pas abandonner. Pour récompenser le courage de Vayne, Frey lui jeta une poignée de neige dans les yeux et lui apprit la première règle de la chasse aux monstres : ne jamais se battre à la loyale.
 
Frey entrevit en Vayne une détermination qui forçait le respect. La jeune fille avait un long chemin à parcourir avant de devenir une guerrière, mais chaque fois que Vayne se relevait pour continuer le combat, le corps toujours plus contusionné, Frey voyait la chasseuse implacable qu'elle pourrait devenir. Clairement plus faible, mais pas moins déterminée, Vayne supplia une dernière fois Frey : leurs deux familles avaient été tuées. Frey pouvait passer le restant de ses jours à traquer des trolls jusqu'à ce que l'un d'eux lui fracasse le crâne, ou alors elle pouvait apprendre à Vayne à être une chasseuse. Ensemble, elles pourraient éliminer deux fois plus de monstres. Ensemble, elles pourraient sauver deux fois plus de familles. Les yeux de Vayne brûlaient d'une haine qui n'avait rien à envier à celle qui animait Frey depuis des années.
 
Frey accepta de suivre Vayne jusqu'à Demacia.
 
Elles partirent toutes les deux pour le sud, déguisant grossièrement Frey pour duper les gardes-frontière demaciens. De retour au manoir de Vayne, elles s'entraînèrent pendant des années. Malgré le cortège de soupirants qui cherchaient la compagnie de Vayne, Shauna ne s'intéressait à rien d'autre qu'à ses entraînements avec Frey. Toutes deux finirent par devenir incroyablement proches.
 
Frey apprit à Vayne les fondamentaux de la magie noire, des bêtes invoquées et des sorts néfastes. Vayne suivait attentivement tous les enseignements de Frey, mais trouvait tout de même troublant qu'elle n'expliquât jamais comment elle en savait autant sur ces pratiques maléfiques.
 
Grâce à la vigilance de ses soldats et à l'existence d'arbres antimagie, le royaume de Demacia n'avait que très peu de créatures des ténèbres sur ses terres, c'est pourquoi, la nuit, Frey et Vayne devaient se rendre dans les forêts frontalières pour chasser. Vayne tua sa première proie (une créature assoiffée de sang qui s'attaquait aux marchands itinérants) à l'âge de dix-huit ans.
 
Recouverte des viscères de la bête, elle sentit quelque chose s'éveiller en elle : le plaisir. Un flot brûlant de vengeance et de violence coulait dans ses veines, et elle savourait cette sensation.
 
Pendant des années, Vayne et Frey traquèrent les créatures occultes, le respect qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre allant croissant à chaque élimination. Un jour, Vayne comprit qu'elle aimait Frey comme une mère, mais les souvenirs de sa famille étaient si douloureux que Vayne lutta pour refouler ses émotions avec la même force que lorsqu'elle luttait contre un monstre.
 
Vayne et Frey voyagèrent dans tout Valoran, jusqu'à ce qu'une rumeur attire leur attention dans les hautes terres rocailleuses ; un démon cornu à la beauté hypnotique avait été aperçu. À ce que l'on racontait à la taverne, la créature n'avait pas chômé : elle avait fondé une secte pour attirer des fidèles susceptibles d'accomplir sa volonté. Des gens se rendaient dans les collines et ne revenaient plus jamais. On racontait aussi que les hauts prêtres de la secte avaient un domaine sacré près de la falaise, où ils préparaient les sacrifices offerts au démon. Vayne et Frey se mirent immédiatement en chasse.
 
La nuit, tandis qu'elles exploraient les collines, Vayne se montra préoccupée. Pour la première fois depuis que leur alliance avait été conclue, elle s'inquiétait pour Frey ; elle craignait de perdre sa seconde mère. Avant que Vayne ait pu confier sa peur à Frey, l'un des prêtres du démon surgit des fourrés. La massue qu'il agitait vint s'écraser contre l'épaule de Vayne.
 
Elle était gravement blessée. Frey eut un bref moment d'hésitation, mais son regard retrouva vite sa détermination : elle présenta ses excuses à son amie et se transforma en un monstrueux loup freljordien. Pétrifiée par le choc, Vayne vit les puissants crocs de Frey arracher la jugulaire du prêtre.
 
Une fois le corps sans vie aux pieds de Vayne, Frey reprit sa forme humaine, mais dans ses yeux se lisait une crainte tout animale. Après la mort de sa famille, expliqua-t-elle, elle était devenue une chamane. Elle s'était maudite elle-même afin d'obtenir le pouvoir de se transformer et de combattre la Sorcière de glace. Il avait fallu recourir à la magie noire pour cela, mais elle avait accepté ce sacrifice pour protéger...
 
...Vayne planta un carreau d'arbalète dans le cœur de Frey sans la laisser finir sa phrase. L'affection qu'elle avait pour Frey jusque-là s'était évaporée à la découverte de sa vraie nature. Une larme coula sur la joue de Frey tandis qu'elle s'effondrait, mais Vayne ne le remarqua pas. Les sentiments qu'elles avaient pu partager étaient morts avec Frey.
 
Il restait encore plusieurs heures avant l'aube, ce qui signifiait que la chasse n'était pas finie. Vayne ne pensait plus qu'au démon. À l'exécution qu'elle allait savourer. Et à toutes les exécutions qui suivraient. Les ténèbres de Runeterra allaient apprendre à la craindre, tout comme elle les avait craintes autrefois.
 
Pour la première fois depuis le meurtre de ses parents, Vayne sourit.
 
 
Monstres
 
Il ne restait plus qu'un carreau dans l'arbalète-gantelet de Vayne. Trois blessures distinctes la faisaient saigner. Le métamorphe qu'elle avait passé la nuit à traquer venait de la mettre à terre et s'apprêtait à lui arracher la tête.
 
Les choses se passaient mieux que prévu.
 
De la bave coulait de la gueule de la créature, qui gémissait de plaisir à l'idée de tuer sa proie. Vayne balaya l'obscurité du regard à l'aide de ses lunettes de vision nocturne, mais ne trouva ni armes, ni couvert. Elle avait poursuivi la bête jusqu'à cette prairie découverte précisément pour l'empêcher de se dissimuler dans les aulnaies de Demacia, mais cela signifiait qu'elle était à découvert elle aussi.
 
Cela, pourtant, était loin de la déranger. Tuer n'était pas amusant sans un peu de difficulté.
 
La bête attrapa Vayne par les épaules et ouvrit la mâchoire, révélant plusieurs rangées de dents acérées. Si elle ne mourait pas décapitée, elle avait toutes les chances de succomber à son haleine fétide.
 
Vayne examina rapidement les possibilités qui s'offraient à elles. Elle pouvait essayer d'éviter la morsure de la bête, mais cela ne serait qu'une solution de court terme. Elle pouvait frapper ses dents innombrables d'un coup de pied pour la repousser et tenter de décocher son dernier carreau dans son front, mais elle craignait de ne pas réussir à viser à travers la broussaille formée par ses crocs grinçants. Ou, sinon, elle pouvait se lancer dans quelque chose d'aussi audacieux et violent que parfaitement déraisonnable.
 
Vayne opta pour ce dernier choix.
 
Elle précipita son bras tout entier dans la gueule de la créature. Quand bien même les dents pointues arrachèrent quelques lambeaux de peau de ses doigts et de ses bras, Vayne souriait. Elle tenait la bête exactement comme elle le souhaitait. Elle la sentit contracter ses mâchoires, se préparant à les refermer sur son membre pour l'arracher. Elle ne lui en laissa pas l'occasion.
 
Elle plia le bras de façon à orienter son arbalète-gantelet vers l'intérieur de la bouche béante de la créature, jusqu'à ce que le bout du carreau pointe vers le palais de la bête. D'un mouvement sec du poignet, elle tira le projectile à travers son crâne, réduisant son cerveau en charpie.
 
Le gémissement cessa aussi soudainement qu'il avait commencé et le corps de la créature s'effondra telle une masse sur l'herbe. Vayne s'en extirpa et essaya de retirer son bras de son emprise sans se blesser plus qu'elle ne l'était déjà, mais comprit rapidement que son poing était bloqué à l'intérieur de la gueule du métamorphe.
 
Deux choix s'offraient à elle : elle pouvait essayer de faire glisser son bras hors de la bouche, au risque d'y perdre un ou deux doigts, ou bien l'enfoncer plus profondément encore pour atteindre le sommet de la tête et briser sa mâchoire comme on brise les os d'une volaille.
 
Comme toujours, Vayne choisit la seconde solution.

L'étape la plus difficile n'était pas de tuer la maudite bestiole. C'était de la ramener à sa jeune épouse.
 
Ou plutôt, à sa veuve.
 
La veuve en question, Selina, était d'une beauté exceptionnelle. Ses cheveux renvoyaient les rayons du soleil, y compris dans l'obscurité de sa cabane éclairée au feu de bois. Les balafres qui traversaient son visage, et même les larmes qui coulaient sur ses joues, n'altéraient en rien sa splendeur.
 
Vayne déposa la carcasse aux pieds de la femme avec autant de précautions que possible. La chair de la bête était monstrueusement transformée et traversée de blessures, dont certaines étaient auto-infligées. En réalité, elle ressemblait davantage à un amas de membres et de viande qu'à une personne.
 
« Était-ce rapide ? » demanda la veuve, entre deux sanglots.
 
Ça ne l'avait pas été. Vayne avait pisté le métamorphe jusque dans son antre, dans les forêts à la lisière est de Demacia. Elle avait réussi à l'interrompre au beau milieu de sa transformation. Ses yeux s'étaient agrandis et multipliés, des mandibules avaient poussé sur sa bouche et son bras gauche avait pris la forme d'une pince tranchante. Le monstre était furieux.
 
Vayne secoua le poignet pour faire tomber un lambeau de cerveau visqueux, reste de sa tentative de désincarcération du crâne de la bête.
 
« Hum », fit-elle.
 
« Oh, mon amour », s'exclama Selina en tombant à genoux et en enveloppant ses bras autour du corps affreusement déformé. « Qu'est-ce qui a pu provoquer une telle tragédie ? »
 
Vayne s'agenouilla auprès du couple. La veuve posa ce qu'il restait de la tête de son mari sur sa poitrine, sans se soucier du sang qui coulait sur sa robe.
 
« Certaines personnes se changent d'elles-mêmes en monstre. D'autres sont transformées contre leur volonté », répondit Vayne.
 
Elle saisit la main boursouflée du cadavre pour l'examiner distraitement. « Il appartient à la seconde catégorie. »
 
Une vive colère emplit le regard de la veuve.
 
« Quelqu'un lui a fait ça ? Mais qui aurait bien pu... et pourquoi... »
 
Elle s'effondra en sanglots sur son corps, incapable de trouver les mots.
 
« Parfois, les thérianthropes, aussi appelés métamorphes, cherchent juste un compagnon. D'autres fois, ils s'en prennent aux autres simplement parce qu'ils sont en colère ou totalement déboussolés. J'en ai aussi croisé qui s'ennuyaient Et qui trouvaient ça amusant », expliqua Vayne en posant sa main sur la tête de la femme. « Et puis il y a ceux qui cherchent simplement à se nourrir. »
 
La veuve leva la tête en reniflant.
 
« Je... Je ne comprends pas. »
 
Vayne lui adressa un sourire empreint de compassion.
 
« Ils veulent manger quelqu'un, mais ce quelqu'un réussit à s'échapper. Et ils transmettent accidentellement leur état à celui qu'ils ont essayé de dévorer. La victime finit par se transformer à son tour. »
 
La veuve lança un regard noir à Vayne. L'arbalète-gantelet fit un léger tintement alors que Vayne écartait les cheveux de la femme pour révéler ses yeux pleins de larmes.
 
« Le dernier thérianthrope que j'ai tué m'a dit que ses victimes avaient meilleur goût si elles étaient amoureuses de lui. Une histoire de saveur plus tendre qu'elles prenaient en rougissant. J'imagine que l'effet doit être des plus prononcés pendant une lune de miel, hmm ? » Vayne réfléchit.
 
La femme ne pleurait plus. Ses yeux étaient sévères.
 
« Il vous aimait, vous savez », dit Vayne.
 
La veuve tenta de se lever, mais Vayne resserra sa prise sur ses cheveux pour la retenir.
 
« Il a dû être sacrément surpris, quand vous l'avez mordu. Les gens font des choses imprévisibles quand ils ont peur. Et il n'y a rien de plus effrayant que d'être trahi par la personne qu'on aime. »
 
Vayne fit un geste du poignet pour armer l'arbalète-gantelet sur son avant-bras.
 
« Alors dis-moi, qui t'a transformée ? »
 
La femme la regardait avec rage. Ses yeux s'assombrirent au point de devenir pourpres.
 
« Personne », répondit-elle d'une voix qui crissait comme un rocher que l'on raclerait avec un couteau. « J'ai choisi d'être ce que je suis. »
 
Vayne sourit.
 
« Comment avez-vous su ? » poursuivit-elle, en glissant une main derrière son dos.
 
« Les traces de morsure sur l'avant du cou, et non pas à l'arrière, ainsi que l'absence de cicatrices ailleurs sur le corps m'ont permis de conclure qu'il avait été attaqué par quelqu'un à qui il faisait confiance. Vas-y. Essaie donc. »
 
La veuve s'immobilisa.
 
« Que j'essaie quoi ? »
 
« La pince que tu es en train de matérialiser dans ton dos. Lacère-moi avec. Voyons si tu es capable de me couper la main avant que je te plante un carreau en plein front », dit Vayne.
 
Elle rétracta la pince derrière son dos, découragée. La chasse était terminée.
 
« Pourquoi ? » demanda-t-elle.
 
« Pourquoi quoi ? » répondit Vayne sans sourciller.
 
« Pourquoi ne pas être entrée ici et m'avoir tuée directement? Pourquoi tout ce petit… cérémonial ? »
 
Vayne sourit. C'était un sourire haineux et satisfait.
 
« Parce que je voulais être sûre d'avoir raison. Parce que je voulais que tu aies peur, que tu ressentes ce qu'a ressenti ton amant. Mais surtout... »
 
Vayne contracta le poignet. Dans un bruit métallique de détente, un carreau d'argent glacial de 15 centimètres transperça le cerveau de la métamorphe. Les yeux de la veuve se révulsèrent. Elle s'effondra au sol comme un sac de pierres.
 
« Parce que c'est amusant. »
 
 
Quinn Square 0 Quinn - Ailes de Demacia
 
Quinn est un chevalier-éclaireur d'élite de Demacia qui se spécialise dans les missions d'infiltration en territoire ennemi aux côtés de son aigle de légende, Valor. Ils partagent un lien aussi indéfectible qu'il est meurtrier, tant leurs proies rendent l'âme avant même de comprendre qu'elles affrontaient non pas un, mais deux héros demaciens.
 
Quinn et son frère jumeau Caleb sont nés à Alpeval, un hameau de montagne isolé dans l'arrière-pays au nord-est de Demacia. Élevés dans le respect de la noblesse et de la rectitude des valeurs de leur patrie, ils étaient inséparables. Alpeval était un village de chasseurs et de fermiers prospère, défendu par des traqueurs montagnards experts du braconnage des monstres qui descendaient des hauts sommets pour se nourrir.
 
Un jour, alors que les jumeaux étaient encore enfants, le roi Jarvan III s'arrêta à Alpeval lors d'une visite d'inspection de la Muraille de l'est, la barrière qui protégeait Demacia des États tribaux anarchiques situés de l'autre côté. Assise sur les épaules de son père, Quinn découvrit avec émerveillement le spectacle du roi et de ses guerriers qui arboraient des plastrons en acier solaire étincelant. Fascinés, Quinn et Caleb jurèrent de devenir un jour des chevaliers de Demacia pour partir combattre aux côtés du roi. Dans leurs jeux d'enfants, ils se prenaient pour des guerriers héroïques défendant leur patrie contre les monstres ignobles, les Freljordiens barbares et les Noxiens impitoyables.
 
Ils passaient le plus clair de leur temps libre dans la nature sauvage qui bordait Alpeval. Leur mère, qui était l'un des traqueurs les plus importants du village, leur apprit à pister les bêtes dans la forêt, à survivre en milieu hostile et, surtout, à se battre. Au fil des ans, Quinn et Caleb commencèrent à former une équipe redoutable en associant leurs qualités respectives. Elle avait l'œil pour repérer les traces de leurs proies, là où lui savait les appâter. Elle maîtrisait l'arc à la perfection, et lui, la lance de chasseur.
 
Mais une de leurs excursions dans les montagnes au nord d'Alpeval se solda par une tragédie, lorsque les jumeaux croisèrent la route de nobles de la famille Buvelle qui traquaient un eborivore géant, une créature meurtrière connue pour son cuir épais, ses longues cornes tranchantes et son tempérament féroce. Les nobles n'avaient pas réussi à l'achever du premier coup, et la bête blessée se retourna contre eux. Elle encorna plusieurs des jeunes enfants de la famille, les tuant sur le coup. Quinn et Caleb intervinrent promptement. Ils chassèrent l'eborivore en constellant son crâne de flèches, mais pas avant que la créature n'encorne à son tour Caleb, le tuant alors qu'il tentait de sauver la vie de la matriarche des Buvelle. Les nobles remercièrent abondement Quinn et l'aidèrent à enterrer son frère avant de réunir leurs héritiers défunts et de rentrer chez eux pour faire leur deuil.
 
La mort de Caleb plongea Quinn dans un profond désespoir. En l'absence de son frère jumeau, avec qui elle avait rêvé de combattre côte à côte, elle ne trouvait plus tellement d'intérêt à devenir chevalier. Elle remplissait ses fonctions pour le village, comme le devait toute fille de Demacia, mais le cœur n'y était plus. La joie qui l'animait auparavant s'était estompée comme les dernières lueurs de l'été. Sans son frère, elle n'était plus capable des mêmes prouesses de chasse et elle commença à faire des erreurs. Aucune d'elles ne mettait sa vie en danger, mais elle passait à côté de traces pourtant évidentes, elle manquait ses cibles et elle était de plus en plus renfrognée.
 
Quinn se rendait régulièrement sur la tombe de Caleb, là où ils avaient affronté l'eborivore. Incapable de tourner la page, elle revivait sans cesse cet instant tragique. Un an jour pour jour après sa mort, elle retourna dans la clairière où elle s'était déjà rendue à maintes reprises. Submergée par la peine et perdue dans ses pensées, elle n'entendit pas l'eborivore qui s'approchait d'elle. Parmi les cornes qui surmontaient son crâne se trouvaient encore les hampes brisées des flèches que Caleb et elle avaient tirées lors de leur précédent combat contre la bête.
 
Le monstre chargea, forçant Quinn à se battre pour sa propre survie. Elle tira bien une dizaine de nouvelles flèches, mais aucune d'elles n'était assez précise pour atteindre les points faibles de sa peau épaisse. Exténuée par le combat, Quinn trébucha et la bête se jeta sur elle. Elle plongea pour l'éviter mais, par manque de réflexe, fut balafrée de la hanche jusqu'à la clavicule par une corne. Elle s'effondra, grièvement blessée, et le monstre se mit à lui tourner autour pour se préparer à l'achever.
 
Quinn regarda la bête les yeux dans les yeux, bien consciente qu'elle allait mourir. À l'instant précis où elle tendit le bras pour attraper la dernière flèche de son carquois, un éclair bleu fendit l'air. Un oiseau magnifique aux ailes indigo venait de surgir et de planter ses serres dans la gueule de l'eborivore. C'était un aigle azuré, l'animal qui avait inspiré l'emblème ailé de Demacia et que l'on pensait disparu depuis longtemps. Il fondit plusieurs fois sur la créature en poussant des cris stridents, utilisant ses serres et son bec pour creuser des entailles dans son crâne quand bien même les cornes tranchantes lacéraient son corps et ses ailes.
 
Quinn ralentit son souffle et apprêta sa dernière flèche alors que le monstre la chargeait dans un mugissement furieux. Elle la décocha avec une telle force que le bois de son arc claqua. Mais elle avait visé juste et la flèche s'abattit en plein dans la gueule béante de la créature, transperçant sa cervelle. L'eborivore s'abattit au sol en labourant un impressionnant sillon ; il était mort. Quinn laissa échapper un profond soupir de soulagement. Elle rampa jusqu'à l'aigle, dont une aile était brisée, et lut dans son regard un profond sentiment d'amitié et de fraternité.
 
Elle attacha les pennes imposantes mais blessées de l'oiseau et fit route jusqu'à Alpeval, non sans emporter les cornes de l'eborivore en guise de trophée. Perché sur son épaule pendant toute la durée du trajet, l'aigle refusa de la quitter. Quinn lui donna le nom de Valor et prit soin de lui jusqu'à ce qu'il retrouve ses forces. Le lien qui s'était forgé entre eux lui redonna du baume au cœur, si bien qu'elle envisagea à nouveau d'aller servir Demacia. Avec l'aide de son père, elle utilisa les cornes de l'eborivore pour fabriquer une nouvelle arme, une arbalète à répétition en métal finement forgé capable de tirer plusieurs carreaux à la fois.
 
Avec la bénédiction de ses parents, Quinn voyagea jusqu'à la capitale en compagnie de Valor et posa sa candidature auprès des instructeurs de l'armée demacienne dans l'espoir de rejoindre ses rangs en tant que chevalier-éclaireur. D'habitude, des années d'entraînement étaient nécessaires avant de pouvoir servir dans l'armée extrêmement hiérarchisée de Demacia. Quinn n'en eut guère besoin. Elle réussit aisément chacune des épreuves imposées par les chevaliers-éclaireurs.
 
Pourtant, n'ayant aucune idée de la façon dont ils pouvaient intégrer une chasseuse individualiste et son aigle dans leur structure de commandement rigide, les instructeurs se préparèrent à refuser sa candidature. Alors qu'ils s'apprêtaient à rendre leur verdict, Dame Lestara Buvelle, la noble qui devait sa survie à Caleb, intervint et se porta garante du talent et de la bienveillance de Quinn.
 
Quinn fut immédiatement incorporée dans l'armée demacienne et, bien qu'elle remplît à merveille ses fonctions de chevalier-éclaireur, elle éprouva des difficultés à subir cette hiérarchie inflexible et des règles qu'elle considérait inutilement normatives. Ses compagnons reconnaissaient volontiers ses compétences, mais la considéraient comme un électron libre, comme une Demacienne qui préférait agir en dehors de l'ordre établi en choisissant ses propres missions et en allant et venant à sa guise. Elle ne restait jamais longtemps dans l'enceinte de la ville, préférant les virées en pleine nature à la compagnie des autres soldats. Seul le fait qu'elle parvenait à mettre au jour des menaces tout juste naissantes et à révéler des ennemis cachés lui permit de conserver une certaine marge de manœuvre dans les rangs demaciens.
 
Lorsqu'un assassin noxien abattit le commandant du château de Jandelle le Jour de la lumière perdue, Quinn fit une nouvelle fois montre de ses talents. Le meurtrier avait réussi à échapper aux bataillons entiers de chevaliers qui étaient à ses trousses, mais Quinn et Valor parvinrent à le retrouver et à le tuer après une nuit entière de traquenards mortels, de contre-attaques et d'embuscades. Elle rentra en possession de l'épée de l'assassin, ce qui lui valut de gagner son surnom d'Ailes de Demacia. Quinn resta à Jandelle le temps de recevoir sa décoration, puis quitta une nouvelle fois la ville aux côtés de Valor pour retourner en pleine nature, où ils se sentaient le plus à l'aise.
 
Depuis lors, Quinn a traversé le monde au service de Demacia, bravant le danger depuis les terres de Freljord dans le grand nord jusqu'au plus profond de l'empire de Noxus. À chaque fois, Quinn et Valor revenaient à Demacia avec des informations cruciales pour la défense des frontières du pays. S'il est certain que ses méthodes s'intègrent mal à la structure extrêmement codifiée de Demacia, nul ne peut douter de l'excellence quasi surnaturelle de ce remarquable duo.
 
 
Les règles de la survie
 
Quinn attendit que les Noxiens allument un feu de camp dans la clairière et commencent leurs libations. Les actions de soldats ivres étaient plus faciles à prédire. Mais elle les voulait juste assez soûls pour être stupides, pas pour être incontrôlables. Dans la nature sauvage, chaque erreur peut vous tuer, et ces hommes-là venaient de commettre deux grosses erreurs. Allumer un feu témoignait d'une trop grande confiance en eux, le vin qu'ils buvaient prouvait qu'ils ne se savaient pas poursuivis.
 
Règle N°1 : toujours présumer que quelqu'un vous traque.
 
Elle progressa dans la boue sur le ventre, utilisant ses coudes pour se glisser jusqu'à un tronc creux juste au bord de la clairière. La pluie avait transformé la forêt en un véritable bourbier et elle passa les heures suivantes à enlever insectes et vers de ses vêtements.
 
Règle N°2 : la survie a toujours la priorité sur la dignité.
 
En faisant attention de ne pas regarder directement le foyer, ce qui aurait fait disparaître son adaptation visuelle à l'obscurité ambiante, elle compta cinq hommes : un de moins que prévu. Où était le sixième homme ? Quinn fit un geste pour s'extraire, mais s'immobilisa en sentant ses cheveux se dresser sur sa nuque en avertissement.
 
Une forme se détacha derrière un arbre. Un guerrier. Dans une armure de cuir noir bouilli. Se déplaçant avec habileté. L'homme fit une pause, scrutant l'obscurité, la main jamais très éloignée du pommeau de son épée.
 
L'avait-il vue ? Elle ne le pensait pas.
 
« Hé, Vurdin », appela un homme assis près du feu. « Tu ferais mieux de te dépêcher si tu veux un peu de vin. Olmedo est en train de tout boire ! »
 
Règle N°3 : rester silencieux.
 
L'homme jura et Quinn sourit à son évidente frustration.
 
« Silence », siffla-t-il. « On a dû t'entendre jusqu'à Noxus. »
 
« Allons, il n'y a personne ici, Vurdin. Les Demaciens sont sans doute trop occupés à astiquer leur armure pour s'embêter à venir jusqu'ici. Allez, viens boire un coup ! »
 
L'homme soupira et alla jusqu'au feu en haussant les épaules. Quinn souffla lentement. Celui-ci avait un certain talent, mais lui aussi se croyait seul dans la forêt.
 
Règle N°4 : ne pas laisser les imbéciles vous abaisser à leur niveau.
 
Quinn sourit et jeta un regard vers le bleu nuit de son compagnon qui se détachait sur la voûte de nuages noirs. Valor abaissa les ailes et Quinn approuva du menton : ils communiquaient depuis longtemps sans avoir besoin de parler. Elle esquissa un cercle du poing droit et leva trois doigts, sachant que Valor la voyait et la comprenait parfaitement.
 
Règle N°5 : quand l'heure d'agir est venue, agir sans hésitation.
 
La sécurité exigeait d'éliminer ces hommes en silence et sans éclat, mais l'affront de cette présence noxienne si loin en territoire demacien était insupportable à Quinn. Elle voulait faire savoir à ces soldats qui les avait vaincus, elle voulait qu'ils comprennent que Demacia n'était pas une tribu de sauvages que Noxus pouvait écraser sous sa botte. Sa décision prise, elle se mit sur pied et elle avança vers le feu de camp comme si sa présence ici était la chose la plus naturelle au monde. Elle se tint juste en bordure de la lumière du feu, sa capuche relevée et son manteau serré sur sa silhouette.
 
« Donnez-moi ce que vous avez volé et personne n'aura besoin de mourir ce soir », dit Quinn, montrant de la tête une sacoche sur laquelle apparaissait le symbole de l'épée ailée de Demacia.
 
Les Noxiens sautèrent sur leurs pieds, cherchant désespérément à apercevoir quelque chose à l'orée de la forêt. Ils dégainèrent gauchement leur épée et Quinn faillit éclater de rire devant tant de surprise et de maladresse. Celui qui avait presque découvert sa cachette camoufla mieux sa stupeur, mais se détendit visiblement quand il vit qu'elle était seule.
 
« Tu es loin de chez toi, fillette », dit-il en levant son épée.
 
« Pas aussi loin que toi, Vurdin. »
 
Il fronça les sourcils en voyant qu'elle connaissait son nom. Quinn vit qu'il essayait de deviner ce qu'elle pouvait bien savoir d'autre. Les hommes s'écartèrent pour l'encercler sans qu'elle ne bouge.
 
« Donnez-moi la sacoche », dit Quinn, une once d'ennui dans le timbre de sa voix.
 
« Attrapez-la ! » hurla Vurdin.
 
Il ne put rien dire d'autre.
 
Quinn repoussa son manteau derrière elle par-dessus son épaule et leva son bras gauche. Un carreau de son arbalète à répétition s'enfonça dans l'œil de Vurdin et il tomba sans un son. Un deuxième carreau ouvrit la poitrine de l'homme à sa gauche. Les quatre soldats restants foncèrent vers elle.
 
Un hurlement strident déchira la nuit tandis que Valor tombait du ciel comme la foudre. Il écarta les ailes bruyamment et il vira brusquement, comme la lame d'une faux qui tranche l'air. Ses serres déchirèrent le visage d'un Noxien et, d'un coup de bec, il fendit le crâne du soldat le plus proche. Le troisième Noxien réussit à lever son arme, mais Valor enfonça ses serres dans son épaule et le fit chuter au sol. Le bec de l'aigle frappa encore et l'homme cessa aussitôt de bouger.
 
Le dernier Noxien fit demi-tour et fonça vers les arbres.
 
Règle N°6 : si vous devez combattre, tuez rapidement.
 
Quinn mit un genou en terre et tira deux fois de plus. Les carreaux frappèrent le Noxien dans le dos et ressortirent par sa poitrine. Il parvint à atteindre la ligne des arbres avant de s'effondrer pour ne plus bouger. Quinn resta immobile, écoutant les bruits de la nature, s'assurant qu'il n'y avait pas d'autre ennemi à portée. Les seuls sons qu'elle entendit furent ceux de la forêt nocturne.
 
Elle se releva et Valor vola jusqu'à elle, la sacoche d'ordres militaires que les Noxiens avaient volée entre ses serres. Il la laissa tomber et Quinn s'en saisit de sa main libre avant de la mettre à l'épaule d'un mouvement fluide. Valor se percha sur son bras, son corps encore frémissant de l'excitation de la chasse. Ses griffes et son bec étaient rouges de sang. La tête de l'aigle s'inclina sur le côté et ses yeux aux reflets d'or brillèrent d'amusement. Elle sourit : son lien avec le rapace était tel qu'elle avait déjà compris ses pensées.
 
« Je me posais la même question », dit-elle. « Comment ces Noxiens ont-ils pu aller si loin dans Demacia ? »
 
L'aigle poussa un cri et elle approuva d'un mouvement du menton.
 
« Oui, c'est ce que je me suis dit », dit Quinn. « Le sud. »
 
Règle N°7 : avoir confiance en son partenaire.
Mise à jour sur le PBE (27/03)
Le programme du MSI 2017
 
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    Malcolm Graves · 7 years ago
    Pourquoi n'y a t-il pas Sona et Xin ?
    Je trouve ça ultra discriminatoire. (Surtout pour Sona)
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      TheFab
      • Tipeur
      · 7 years ago
      Et Fiora
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      Tsuba-Nezumi
      • Rédacteur/Modérateur
      · 7 years ago
      Il n'y pas les histoires de Sona, Lucian, Fiora, Poppy et Xin Zhao qui ont été mises à jour avec la région de Demacia. Généralement il les font bloc par bloc donc je suppose qu'elles viendront un peu plus tard.... Mais ce n'est qu'une supposition x)
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      Lux, Gardienne des Etoiles · 7 years ago
      Quand on y pense, Lucian avait eu une histoire pendant l'event de la brume noire, et Poppy en avait eu une au moment de son rework. Ils ne devaient pas être prioritaires pour Riot. Et Xin et Sona auront peut être des histoires liées à leur enfance à Ionia lorsque ce sera cette région mise en avant. N'oubliez pas que Riot voudrait rework Irelia, et ils profitent beaucoup de ces rework pour retravailler l'univers des régions associés.
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    Nedra · 7 years ago
    Je préférais l'ancienne histoire de Shyvana perso. Par contre j'aime bien l'histoire liée entre Galio et Lux, elle est bien écrite et très sympa. La bromance J4/Garen reste un peu clichée médiéval-fantastique mais on peut pas non plus espérer des chefs d'oeuvres xD
    Sinon ouais, comme dit un peu plus haut, j'suis assez déçu de pas avoir une histoire sur Xin, et dommage également de ne pas avoir de mention de personnages de Noxus, c'est un peu les ennemis ancestraux mais faut croire que les "gros" sortent que de temps en temps...
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    Urgot · 7 years ago
    Bientôt, mon lore aussi sera retapé entièrement! Attendez mon tour et vous verrez la surprise du chef.
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      urgotaprèslarefonte · 7 years ago
      à chaque fois que je vois un commentaire de toi sur urgot j'ai l'impression de voir un hypocrite >< du genre à toujours rabâcher oui urgot si urgot cela alors que tu ne le joue pas et ne l’apprécie mais tu fait sa pour avoir de l'attention et que une fois la réfonte arriver tu va nous rabâcher des truc du genre enfin? vous allez voir sur la faille!!! je vais tout détruire soon!! alors qu'en faite tu le jouera pas (sauf si broken) >< (je ne dit pas que c'est vrai mais c'est l'impression que j'ai (désolé lol))
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      Viktor · 7 years ago
      Mais non ! Il est très gentil mon Urgot !!
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      TheFab
      • Tipeur
      · 7 years ago
      Oh non t'as changé ton pseudo, pourquoi ?
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      Urgot · 7 years ago
      Et ho là! Ton sel tu le déverses ailleurs que sur Loltracker mon garçon xD


      Plus sérieusement, pour ma défense je suis Maîtrise 7 sur moi même, donc je me joue et je connais les faiblesses et les frustrations que je peux causer aux invocateurs.
      Il faut être fou pour ne pas dire que mon gameplay est binaire as fuck:
      J'ai touché mon E => youpi
      Je l'ai loupé => Merde j'attend, voire je meurt dans mon huile d'olive en me maudissant d'avoir une grenade avec une range aussi courte.

      Et oui après la refonte je vais rabâcher des trucs du genre "OUI enfin! Enfin je vais pouvoir m'éclater sur les champs de justice! Car j'aurai ENFIN une identité portée à plein potentiel!"
      Bon si on part du fait que la refonte est bonne bien entendu x)
    • This commment is unpublished.
      urgot2 · 7 years ago
      j'ai jamais dit que t'était pas un main c'était un peu l'impression que sa donne avec le forcing >< après j'ai jamais dit que le perso n'était pas binaire ou quoi moi même qui l'ai jouer que quelque fois je connais ces force/faiblesse '-' j'en connais des gens qui font les chevalier blanc pour des perso qu'il on jamais jouer '-'
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