By Philidia on jeudi 26 avril 2018
Category: News

Accusés. Exilés. Brisés.

 
Riot a publié une nouvelle histoire, concernant Yasuo et Riven. Deux destins entrecroisés.
 
Confessions d'une lame brisée : Partie 1
 
- I -
Le soc tranchait dans la terre dure, retournant le ventre de l'hiver vers le ciel printanier. Riven traversait le petit champ derrière le bœuf. Elle s'efforçait de maintenir droites les grosses poignées de la charrue, mais les mots étrangers n'en finissaient pas de la hanter.

« Emai. Fair. Svasa. Anar. »

À chaque pas, l'odeur de la terre réveillée s'élevait dans l'air. Riven était solidement agrippée au bois. Au cours de ces derniers jours, les poignées avaient réveillé ses vieux cals et des souvenirs lointains.

Riven se mordit les lèvres, secouant la tête pour chasser ces pensées. « Mère. Père. Sœur. Frère. »

Le bœuf efflanqué remua l'oreille tandis qu'il tirait dans un sillage de mottes de terre et de petits cailloux. Riven n'y prêta aucune attention. Elle portait une chemise d'étoffe grossière dont elle avait relevé en bandes épaisses les manches couvertes de poussière. Ses braies de même tissu étaient jaunies par une teinture couleur terre. On les avait coupées, et elles auraient été bien trop courtes désormais pour l'homme qui les avait naguère portées, mais elles retombaient sur les chevilles nues de Riven et sur ses souliers crottés.

« Emai. Fair. Svasa. Anar. » Riven continuait de réciter cette litanie, mémorisant les mots. « Erzai, fils. Dyeda… »

Sans ralentir, elle chassa d'un mouvement de bras la mèche moite qui lui tombait sur les sourcils. Ses bras étaient musclés et elle savait maintenir d'une main la trajectoire de la charrue. Le fermier était retourné à la maison pour manger. Le vieil homme lui avait conseillé d'arrêter et de se rafraîchir à l'ombre de la forêt, mais Riven avait insisté pour finir.

Une brise fraîche glissa sur l'arrière de sa nuque. Elle regarda autour d'elle. L'empire noxien avait tenté de faire plier Ionia. Ionia avait refusé de plier, et Noxus avait tenté de la briser. Riven continuait de méditer dans son sillon de terre fraîche. Quelle que fût la puissance de l'empire, cette terre allait de nouveau connaître le printemps. Noxus avait été chassé depuis plus d'un an, et, enfin, les marrons et les gris de la pluie et de la boue cédaient aux nuances de vert. L'air lui-même avait la saveur du renouveau. De l'espoir.Riven soupira tandis que les mèches abruptement taillées de ses cheveux retombaient sur son menton.

« Dyeda. Fille. » Elle reprenait l'invocation, déterminée. Elle referma plus fermement les deux mains sur les poignées de bois. « Emai. Fair. »

« Ça se prononce fa-ir », fit une voix depuis l'ombre de la forêt.

Riven s'arrêta brusquement. La charrue cahota entre ses mains tandis que les rênes de cuir stoppaient net le bœuf squelettique. La lame projeta des fragments de terre dans un nuage de poussière et résonna en touchant une pierre.

La voix n'était pas celle du fermier.

Riven essaya de stabiliser son souffle en expirant lentement. Elle n'avait entendu qu'une voix, mais l'homme n'était pas forcément seul. Elle repoussa le réflexe né d'années d'entraînement qui lui intimait de se mettre en position de défense. Elle s'immobilisa derrière la charrue et l'animal. Elle se sentait trop légère. Elle serrait les manches de bois de toutes ses forces. Elle aurait voulu sentir le poids à son côté, un poids de métal lourd comme une ancre. Mais tout ce qu'elle sentait, c'était la légèreté du petit couteau à sa hanche droite. Cette petite lame incurvée était parfaite pour éplucher des pommes et arracher les mauvaises herbes, rien de plus.

« Ce mot, il se prononce fa-ir. »

L'homme apparut au bord du champ, là où la terre cultivée rencontrait le mur épais des pins.

« Il y a une diphtongue », reprit le nouveau venu en avançant. Son épaisse crinière de cheveux noirs était tirée en arrière. Un manteau recouvrait ses épaules. Riven remarqua qu'il ne cachait pas totalement l'épaulette de métal sur son épaule gauche, ni la lame sans fourreau à son côté. C'était un guerrier, mais il ne servait aucune maison ni aucun district. C'était un vagabond.

Dangereux, décida la jeune femme.

« Fa-ir », dit-il encore.

Riven ne répondait rien, non que les mots lui manquassent, mais parce qu'elle savait ne pas pouvoir camoufler son accent. Elle se déplaça autour de la charrue, pour la mettre entre elle et l'étranger. Elle rangea une mèche de ses cheveux derrière son oreille et commença à examiner le soc, comme pour s'assurer que la pierre ne l'avait pas faussé. Aiguisée pour s'enfoncer dans la terre et l'argile, cette lame serait plus utile que celle de son couteau. Elle avait vu le fermier l'attacher à la fourche de bois et elle savait comment la libérer.

« Je ne me souviens pas t'avoir vue au village la dernière fois que je suis venu, mais voilà un moment que je n'étais pas revenu », poursuivit l'homme. Sa voix trahissait l'indifférence rauque de ceux qui passent le plus clair de leur temps sur la route.

Le bourdonnement incessant des insectes parut plus fort : Riven refusait de remplir le silence.

« J'ai entendu dire que des magistrats avaient été appelés pour étudier de nouvelles preuves dans l'affaire de la mort de l'Ancien Souma. »

Riven l'ignora. Elle caressa le bœuf. Elle fit courir ses doigts sur les liens de cuir, comme quelqu'un qui est familiarisé avec les lanières des chevaux et des animaux de la ferme. Elle chassa un moucheron des grands yeux noirs du bœuf.

« Cela dit, si tu es nouvelle dans la région, tu ne sais peut-être rien de ce meurtre. »

La jeune femme leva les yeux, croisant le regard de l'étranger, la bête innocente toujours entre eux. L'arête du nez de l'homme était traversée par une cicatrice. Riven se demandait si celui qui avait laissé cette marque était toujours en vie. Il y avait de la dureté dans les yeux de l'étranger, mais aussi de la curiosité. Riven sentit le sol trembler sous la fine semelle de ses souliers. Il y eut comme un roulement de tonnerre, alors que le ciel était vierge de nuages.

« Quelqu'un arrive », dit l'homme avec un sourire.

Riven regarda par-dessus son épaule la colline qui menait à la ferme. Six cavaliers armés apparurent sur la crête et descendirent vers le champ.

« La voilà », dit l'un d'eux. Il parlait avec un accent marqué et Riven dut faire un effort pour comprendre cette langue qu'elle maîtrisait encore mal.

« Mais… il y a quelqu'un avec elle ? » demanda un autre en regardant les ombres projetées par les arbres.

Un souffle de vent enveloppa Riven et la charrue avant de s'effacer dans la forêt. Riven regarda là où l'étranger se tenait une seconde plus tôt, mais il n'y avait plus personne.

« Peut-être un fantôme », dit le chef des cavaliers en riant. « Quelqu'un qui revient d'entre les morts pour se venger. »

Les cavaliers se mirent au trot, encerclant Riven et détruisant les sillons réguliers qu'elle avait creusés le matin même. Le chef portait un paquet rigide enveloppé d'étoffe sur la croupe de son cheval. Les yeux de Riven suivaient ce cheval tandis que tous tournaient autour d'elle en compactant la terre.

Elle jeta un dernier regard au soc de sa charrue. Deux des cavaliers portaient des arbalètes. Avant d'en toucher un, elle serait abattue. Toucher son arme potentielle lui démangeait les doigts, mais elle parvint à rester immobile.

Ses muscles se durcirent. Un corps longuement entraîné au combat ne pouvait pas si facilement se résoudre à la paix. Le sang battait, assourdissant, à ses oreilles. Tu vas mourir, rugissait-il, mais eux aussi.

Les doigts de Riven avancèrent vers le soc.

« Laissez-la ! » La voix de la femme du fermier était assez puissante pour rappeler les vaches errantes dans les champs. Elle interrompit la tentation autodestructrice de Riven. « Asa, dépêche-toi. Tu dois faire quelque chose. »

Les cavaliers cessèrent de tourner autour de Riven tandis que le fermier et sa femme se détachaient en haut de la colline. Riven se mordit la joue. La douleur aiguë l'aida à se concentrer, dissipant son désir de se battre. Elle ne ferait pas couler le sang ionien sur la terre de leur champ.

« Je vous ai dit de rester dans votre maison jusqu'à ce que nous en ayons fini », leur dit le chef.

Le fermier, Asa, clopina dans la poussière. « Elle n'a rien fait de mal. C'est moi qui l'ai apportée », dit-il en faisant un geste vers le paquet enveloppé. « J'en répondrai. »

« Maître Konte. O-fa », dit le chef. Un sourire condescendant apparut au coin de ses lèvres. « Vous savez ce qu'elle est. Elle a commis d'innombrablescrimes. Si cela ne tenait qu'à moi, on la couperait en morceaux là où elle se tient. » Il jeta un coup d'œil à Riven et plissa le nez de répugnance. « Malheureusement, vieillard, vous aurez l'occasion de dire ce que vous avez à dire à l'audience. »

Tandis que le chef parlait, les pieds de Riven s'étaient enfoncés dans la terre meuble, paralysant sa position. Le sentiment d'embourbement la submergea. Elle essaya de se libérer. Ses pulsations cardiaques accélérèrent et une sueur froide coula entre ses omoplates. Une autre époque, un autre champ remuaient dans son esprit. Les chevaux y piétinaient une poussière teintée de sang.

Riven ferma les yeux avant que le souvenir d'autres horreurs ne l'anéantissent. Elle inspira profondément. C'est une pluie de printemps qui imbibe ce sol, pas le sang des morts, se dit-elle. Lorsque j'ouvrirai les yeux, il n'y aura que les vivants.

Quand elle ouvrit les yeux, le champ était un champ, fraîchement labouré, et pas un charnier. Le chef des cavaliers descendit de cheval et approcha d'elle. Il tenait dans ses mains des fers de métal ionien, beaucoup plus beaux que ce avec quoi on enchaînait les criminels dans le pays natal de Riven.

« Tu n'échapperas pas à ton passé, Noxienne », dit l'homme en camouflant mal son air de triomphe.

Riven leva les yeux vers le vieux couple. Leurs traits exprimaient déjà tant de souffrance. Elle ne leur en infligerait pas davantage. Elle ne le pouvait pas. Riven essaya de s'accrocher à cette image de deux êtres si proches, chacun soutenant l'autre. C'était un moment de défi fragile, avant qu'on leur ôte inéluctablement quelque chose. Quand le vieil homme essuya avec sa manche sa joue mouillée, Riven fut obligée de détourner les yeux.

Riven tendit ses poignets au chef des cavaliers. Elle opposa à son sourire sardonique un regard froid et elle laissa le fer se fermer sur sa peau.

« Ne t'en fais pas, dyeda », lança la fermière. Riven entendait l'espoir tendu dans sa voix. Il y en avait trop. Trop d'espoir. Le vent transportait les syllabes avec l'odeur de la terre labourée, alors que les cavaliers s'éloignaient en emportant Riven. « Dyeda », murmurait-il. « Nous leur expliquerons qui tu es. »

« Dyeda », murmura Riven en retour. « Fille. »




Pendant les deux journées qui suivirent, Shava Konte n'eut rien d'autre à faire qu'aider son mari à réparer les dégâts que les chevaux avaient causés dans leurs plantations. Le travail préalable de Riven facilitait cette tâche. Pourtant, si leurs fils avaient vécu, c'était une corvée que ni elle ni Asa n'auraient été contraints d'assumer.

Le jour de l'audience, sachant qu'à leur âge il leur faudrait plus de temps pour remonter la longue route jusqu'à la ville, le couple partit avant l'aube.

« Ils savent qu'elle est noxienne. »

« Tu te fais trop de soucis », dit Shava en ponctuant sa phrase d'un claquement de langue. Comprenant que son ton convenait mieux au rassemblement des poulets qu'à une discussion avec son mari, elle sourit.

« Noxienne. C'est tout ce dont ils ont besoin pour la décréter coupable. » Asa grommela dans son écharpe de laine.

Shava, qui avait passé le plus clair de son existence à guider des animaux réticents et têtus vers le couteau du boucher, pila net pour se tourner vers son mari.

« Ils ne la connaissent pas comme nous la connaissons », dit-elle en lui enfonçant l'index dans la poitrine dans un geste d'exaspération. « C'est pour cela que tu devras parler en son nom, vieux corbeau. »

Asa connaissait sa femme et savait que rien ne pouvait la faire changer d'avis. Il hocha doucement la tête. Shava poussa un grognement de mécontentement et reprit la route. Ils marchèrent en silence jusqu'au tribunal. L'hôtel de ville commençait déjà à se remplir. En voyant la foule, la fermière se dépêcha d'avancer entre les bancs serrés pour trouver une place plus près de la barre… et elle trébucha sur une jambe.

La vieille femme tomba vers l'avant tandis que s'élevait le grognement d'un homme soudain arraché à son sommeil. Comme un éclair, une main à la poigne d'acier jaillit et rattrapa la femme avant qu'elle ne s'effondre sur le sol de pierre.

« Faites attention où vous allez, O-ma », dit l'étranger avec déférence, encore alourdi de sommeil, mais la diction claire. Il retira sa main dès que la vieille femme fut sur ses pieds.

La fermière plissa les yeux pour mieux jauger son sauveur inattendu. Sous son regard inquisiteur, l'homme s'enfonça dans la pénombre de la capuche qui couvrait ses épaules et son visage ; la cicatrice qui tailladait son nez busqué disparut dans le noir.

« L'hôtel de ville n'est pas l'endroit adéquat pour récupérer d'une nuit de beuverie, jeune homme. » Shava épousseta sa robe avec dédain. « C'est de la vie d'une femme qu'on va décider aujourd'hui. Vous feriez mieux de partir avant qu'on vous demande de rendre compte de vos propres méconduites. »

« Shava. » Le fermier arrivait à leur hauteur. Il posa la main sur le bras de sa femme. « Tu vas devoir maîtriser ton sale caractère si tu veux aider Riven aujourd'hui. Cet homme ne te voulait pas de mal. Laisse-le tranquille. »

L'étranger leva deux doigts en offrande de paix, mais son visage resta camouflé. « Vous frappez juste et fort, O-ma », dit-il avec un brin d'humour dans la voix.

Shava repartit sans cesser d'afficher son indignation. En passant, le fermier eut un geste du menton.

« Ne la jugez pas trop vite, mon garçon. Elle s'inquiète qu'une innocente soit déclarée coupable avant que la vérité n'ait éclaté. »

L'étranger encapuchonné grommela son assentiment tandis que le fermier poursuivait derrière sa femme. « Sur ce point, nous sommes d'accord, O-fa. »

Le vieillard, à ces mots murmurés, lança un regard derrière lui. Le siège était vide, et un souffle de vent bruissait encore dans les robes d'un couple proche plongé dans sa conversation. L'étranger disparaissait déjà dans un recoin discret de la grande salle.




Shava choisit un siège devant la foule. Le banc de bois aurait dû être confortable, ayant été conçu par les tisseurs de bois pour faciliter l'équilibre et les discussions harmonieuses de la vie publique, mais la fermière ne parvenait pas à trouver une position adéquate. Elle lança un regard à son mari, qui attendait patiemment qu'on l'appelle sur un tabouret. À côté d'Asa, un huissier se curait les dents avec un petit bout de bois. La vieille femme reconnut Melker, le chef des cavaliers qui étaient venus chercher Riven. Elle darda sur lui un regard dur, mais Melker ne remarqua rien. Il regardait les portes au fond de la salle. Quand elles s'ouvrirent pour laisser passer trois silhouettes en robe noire, il se redressa rapidement en crachant son morceau de bois.

Les magistrats prirent place dans le bruissement de leurs vêtements et regardèrent le tribunal bondé. Le brouhaha se transforma en silence relatif. L'un des trois juges, une femme mince au nez en bec d'aigle, se leva solennellement.

« Ce tribunal a été constitué pour entendre de nouvelles attestations concernant la mort de l'Ancien Souma. »

Un murmure s'éleva quelque part au milieu de la foule. Certains avaient entendu parler des nouvelles preuves dont parlait la présidente de la cour, mais la plupart étaient venus ce jour-là pour voir la Noxienne. Les rumeurs ne changeaient rien à ce qu'ils savaient tous, de toute façon : la mort de l'Ancien Souma n'était un mystère pour personne. La technique du vent, la magie qui imprégnait son cabinet de méditation : nul n'avait besoin d'autre preuve. En dehors de Souma, une seule personne était capable d'une telle manœuvre.

Une blessure mal suturée se rouvrit. L'esprit collectif de la foule communia dans un moment de douleur. Si l'Ancien n'était pas mort, se disaient-ils les uns aux autres, le village n'aurait pas subi de telles pertes. Peu après ce meurtre, une unité noxienne avait fait un massacre sur le chemin de Navori. Tant de fils et de filles étaient morts en luttant contre Noxus, et ces morts pesaient sur la balance où l'on jugeait la mort de Souma. Bien pire, le village en rendait responsable l'un des siens.

Une voix se détacha sur le brouhaha.

« Nous savons déjà qui a assassiné l'Ancien Souma », disait Shava. « C'est ce traître de Yasuo. »

La foule approuva.

« Qui connaissait les techniques du vent de l'Ancien Souma ? Yasuo ! » ajouta Shava. « Et comme tous ceux qui se sont lancés à sa poursuite, c'est maintenant son frère Yone qui ne rentre plus. Ce lâche de Yasuo en est sûrement coupable aussi. »

Le grognement de la foule s'intensifia, réclamant le sang de Yasuo. Shava se sentit plus à l'aise sur son banc, heureuse que la question de la culpabilité soit orientée vers la bonne personne.

La juge à bec d'aigle était issue d'une longue lignée de tisseurs de bois, célèbres pour l'art avec lequel ils savaient aplanir les nœuds les plus bosselés. Elle leva une boule parfaitement ronde de bois de châtaigner et en frappa durement son support. Le son net réduisit la foule au silence et l'ordre revint dans le tribunal.

« Cette cour cherche à connaître avec exactitude les faits concernant la mort de l'Ancien Souma. Souhaitez-vous vous opposer à cette recherche, madame…? »

La fermière jeta un regard à son mari et sentit le rouge lui monter au front. « Konte. Shava Konte », répondit-elle avec moins d'assurance. Elle baissa la tête. Le fermier essuya la sueur qui s'accumulait sur sa calvitie.

« Comme je le disais, nous sommes ici pour statuer sur de nouvelles preuves. » La présidente embrassa la foule du regard, comme pour couper court à toute autre interruption, et fit un geste du menton en direction de l'huissier Melker. « Faites entrer l'accusée. »


 

- II -
Le ciel couvert s'était dégagé depuis l'entrée des magistrats. Quand les grandes portes se rouvrirent à l'arrière, Riven regarda la salle remplie de villageois que la lumière du jour aveuglait soudain. Elle franchit le seuil et ce déplacement remua l'air immobile de la pièce comme si quelqu'un cessait soudain de retenir son souffle.

Les portes se refermèrent. Deux prêtres guerriers l'escortèrent le long de l'allée centrale. Le tribunal fut de nouveau plongé dans une pénombre à peine troublée par les fenêtres placées haut et par les lanternes cylindriques qui pendaient du plafond sculpté. Riven regarda Shava Konte déglutir sur son passage.

Elle savait ce que la foule voyait. Une femme dont les cheveux blancs étaient mêlés de paille après une nuit difficile dans une cellule de pierre. Une étrangère. Une ennemie. Une fille de Noxus.

La fatigue collait aux os de Riven comme la boue de la ferme à ses vêtements. Son âme lui paraissait courbaturée et mal en point, mais lorsque Riven croisa le regard du vieil homme sur le tabouret, elle trouva la force de se redresser.

Elle regarda les trois juges devant elle. La présidente, au milieu, ordonna qu'on assoie la prisonnière, jusque-là debout dans ses chaînes.

Riven refusa la chaise de bois formée par magie. Elle reconnut dans l'huissier le chef des cavaliers qui l'avaient capturée dans le champ du vieux couple. Un sourire arrogant se dessinait toujours sur ses lèvres minces.

« Comme tu voudras, mais ça n'en sera que plus dur pour toi. »

L'huissier s'assit avec un air de satisfaction. La présidente lui jeta un regard sévère et s'adressa à Riven.

« Je sais que vous n'êtes pas d'ici. Notre dialecte peut être difficile à saisir. Je parlerai donc la langue commune, pour que nous puissions mieux nous comprendre. »

Comme la plupart des Noxiens, Riven maîtrisait suffisamment la langue commune d'Ionia pour tenir des conversations courantes, mais l'accent de chaque village avait, comme la terre, une personnalité unique qui se reflétait dans ses habitants. Elle hocha la tête et attendit.

« Quel est votre nom ? »

« Riven. » Sa voix était rauque et s'étouffait dans sa gorge sèche.

« Apportez-lui de l'eau. »

L'huissier se leva et lui tendit une outre d'eau. Riven la regarda sans la prendre.

« Ce n'est qu'un peu d'eau, mon enfant », dit l'un des juges en se penchant en avant. « Vous avez peur que nous vous empoisonnions ? »

Riven secoua la tête, sans cesser de refuser l'offre. Elle s'éclaircit la gorge, décidée à s'exprimer clairement sans l'aide de personne. L'huissier avala une longue gorgée d'eau, dont une partie coula à la commissure de ses lèvres. Il adressa à la jeune femme un sourire triomphant de mépris.

« Vous avez été conduite devant ce tribunal parce que nous voulons entendre ce que vous avez à dire », interrompit la présidente, rappelant les trois silhouettes magistrales et la foule à l'attention de Riven.

« Je ne suis pas encore condamnée ? »

La juge maîtrisa sa surprise.

« Je ne sais pas comment on rend la justice là d'où vous venez, mais nous pensons ici que la vérité doit être son fondement. » La femme parlait à Riven comme si elle n'était qu'un enfant. « Nous pensons que vous savez des choses sur un événement qui a beaucoup d'importance pour cette communauté. Si ce que vous savez révèle que vous avez commis un crime, vous serez punie en conséquence. »

Riven jeta un coup d'œil à Asa et se tourna de nouveau vers la présidente. À Noxus, c'était souvent le combat qui décidait de la justice. La chance d'un homme était déterminée rapidement, à la pointe aiguisée d'une lame. Riven jeta à la présidente un regard prudent. « Que voulez-vous savoir ? »

La juge se cala dans son fauteuil. « D'où venez-vous, Riven ? »

« Je n'ai aucune terre d'attache. »

Les yeux plissés de la présidente dirent à Riven que ses mots avaient été reçus comme une preuve de méfiance. Elle fit une pause, le temps de réfléchir à sa réponse. « Vous êtes bien née quelque part. »

« Dans une ferme de Trevale. » Riven regarda le vieil homme. « À Noxus », admit-elle.

La foule, qui avait retenu son souffle pour entendre la prisonnière, frémit comme un seul homme.

« Je vois », reprit la juge. « Et pour vous, cet endroit n'est plus un foyer ? »

« Quand on cherche à vous tuer quelque part, ce n'est plus votre foyer. »

« Vous êtes une exilée, alors ? »

« Cela signifierait que j'ai le désir de rentrer. »

« Et ce n'est pas le cas ? »

« Noxus n'est plus ce qu'elle était autrefois. » L'impatience était perceptible dans la voix de Riven. « Peut-on passer à la suite ? »

« Comme vous voulez », dit la présidente avec un calme qui irrita Riven davantage que les fers à ses poignets. « Vous êtes venue avec la flotte noxienne, n'est-ce pas ? »

« Je suppose. »

« Vous n'en êtes pas sûre ? » La surprise marquait les traits de la juge.

« Je ne me souviens pas », répondit Riven. Elle regarda la foule, saisissant le regard de Shava du coin de l'œil. La vieille femme lui avait posé une question similaire. Riven secoua la tête. « Est-ce que c'est important ? Il y a eu un combat. Beaucoup de gens sont morts. C'est tout ce que je sais. »

Les souvenirs douloureux de la guerre qui couvaient chez tous les habitants reprirent vie aux mots de Riven. Ils essayèrent de se lever tous ensemble, se bousculant en hurlant.

Quelqu'un vociféra : « Ordure noxienne ! Mon fils est mort à cause de vous ! »

Un fruit pourri fendit l'air et frappa Riven en pleine nuque. Le jus et la pulpe descendirent lentement entre son dos et sa chemise. L'odeur de pourriture s'éleva dans l'air, mais Riven n'allait pas laisser l'odeur de la mort la ramener à cet instant lointain… Elle ferma les yeux et expira lentement entre ses lèvres entrouvertes.

La foule rugissait. Riven savait qu'elle donnait l'impression de ne pas se soucier de ce qu'avait souffert ce peuple. « S'il vous plaît », murmura-t-elle, sans savoir si elle les implorait d'arrêter ou si elle encourageait leur colère mal contenue.

En réponse, d'autres fruits explosèrent sur le sol de pierre. L'un d'eux frappa Riven derrière le genou. Elle tituba ; il était difficile de retrouver son équilibre avec les mains liées.

La présidente se leva de toute sa taille, surplombant autant Riven que les villageois. Sa robe de magistrat gonfla comme une voile tandis qu'elle frappait de nouveau le socle avec la boule de châtaigner. Les bancs de bois grincèrent sous le poids de la foule qui se rasseyait.

« L'équilibre sera restauré dans cette salle ! »

Les villageois réprimandés se turent.

« Oui, Riven, le tribunal se souvient de cette époque », continua la juge avec plus de calme. « De nombreux Ioniens… et de nombreux Noxiens… sont morts. Et vous ? »

C'était une question qui taraudait Riven. Pourquoi avait-elle été épargnée plutôt que d'autres ? Elle n'avait aucune réponse. « J'ai survécu. »

« En effet. » Le juge sourit froidement.

Riven savait qu'elle ne pouvait pas dire grand-chose pour calmer la foule. Elle leur devait la vérité, mais même cela, elle ne le pouvait pas. Ses souvenirs de cette époque étaient brisés. Elle baissa la tête.

« Je ne me souviens pas. »

Le juge continua de la questionner. Riven savait que cela ne ferait qu'alimenter la colère qui grandissait dans la salle.

« Depuis combien de temps êtes-vous sur cette terre ? »

« Je ne me souviens pas. »

« Comment êtes-vous arrivée dans ce village ? »

« Je ne me souviens pas. »

« Étiez-vous déjà venue ? »

« Je… » Riven hésita, mais ne trouva pas en elle de réponse claire. « Je ne me souviens pas. »

« Avez-vous rencontré l'Ancien Souma ? »

Le nom évoqua quelque chose au fond de sa mémoire. Le souvenir d'un souvenir, à la fois flou et précis, la traversa. La colère envahit l'emplacement vide où son passé avait naguère résidé. On l'avait trahie. Elle avait trahi.

« Je ne me souviens pas ! » lança Riven dans un hurlement de frustration. Les fers sonnèrent à ses poignets.

« La guerre brise bien des choses », dit la juge en se radoucissant. « Y compris des choses qu'on ne voit pas. »

Devant tant d'empathie, Riven sentit une part de sa colère la quitter. « Je ne me souviens pas », reprit-elle avec plus de calme.

La présidente eut un geste d'approbation. « Il y a peut-être des gens capables de parler de ce dont vous ne vous souvenez pas. »




Riven regarda le vieux fermier s'avancer jusqu'à la barre des témoins. Il lissa ses épais sourcils d'un geste tremblant.

« Asa Konte », fit la juge patiemment. « O-fa, merci de partager votre sagesse avec nous aujourd'hui. »

Le fermier hocha la tête.

« Est-ce que vous connaissez cette femme, la dénommée Riven ? »

« Oui. Elle s'est présentée à nous au début de la saison pluvieuse qui s'achève. »

« À nous ? »

« Moi et Shava, ma femme. »

Le juge regarda madame Konte, qui s'agitait toujours sur son banc. La présidente fit un geste vers Riven.

« Elle s'est présentée à vous ? »

« Eh bien, je l'ai trouvée dans notre champ », corrigea l'homme timidement. « Un veau avait filé dans la nuit. À l'aube, je suis parti à sa recherche. Mais c'est elle que j'ai trouvée. »

Des murmures de surprise et d'inquiétude agitèrent la foule.

« Une espionne ! »

« Il en viendra d'autres ! »

« Nous devons nous protéger ! »

La juge posa la main sur la lourde boule de bois. La salle se tut. « Que voulait-elle, Maître Konte ? »

Le vieillard lissa de nouveau ses sourcils avant de jeter un coup d'œil à Riven. Il implorait silencieusement son pardon.

« Elle voulait mourir, madame », dit-il faiblement.

La présidente se pencha en avant.

« C'était le début de la saison des pluies », continua Asa. « Elle était trempée jusqu'aux os, elle était couverte de boue et elle tremblait de froid, elle ne tenait plus qu'à force d'obstination noxienne. »

« Vous saviez qu'elle était noxienne ? »

« Elle était armée d'une épée et le fourreau portait les signes de sa langue maternelle. Aucun Ionien ne porterait une arme de ce genre. »

« Maître Konte, vous avez subi de lourdes pertes pendant l'invasion ? »

« Oui, madame », répondit le fermier. Il regarda sa femme. « J'ai perdu deux fils. »

« Qu'avez-vous fait de la femme que vous avez trouvée ? »

Le fermier inspira beaucoup d'air.

« Je l'ai ramenée à la maison pour la présenter à Shava. »

De nouveau, un murmure s'éleva dans la salle. On ne comprenait pas la pitié du vieil homme pour un ennemi qui s'était montré implacable. Sur tous les visages présents, on devinait l'ombre d'un mort aimé. Personne, dans la communauté, n'avait été épargné par le conflit. Le vieillard leva la tête et se tourna vers la foule, apostrophant la dureté de leur cœur.

« Mes enfants… Mes garçons… Leurs ossements ont depuis longtemps été nettoyés par le ciel. Ceux que nous avons perdus souhaiteraient-ils que nous nous enterrions dans le deuil ? »

Riven vit le vieil homme échanger avec sa femme un regard entendu. Les yeux de Shava étaient mouillés et grands ouverts.

« Nous n'étions pas prêts à faire notre deuil, mais… » La voix du vieillard frémit. « Mais cela ne sert à rien de nous pétrifier dans le passé alors que notre vie poursuit son cours. »

Shava se mordit la lèvre inférieure et se redressa sur son banc, défiant ceux qui l'entouraient de critiquer son choix. Asa se détourna du regard de la foule. Il s'assit face aux magistrats, le tabouret grinçant sous lui.

« Il y a eu tant de morts, je ne supportais pas l'idée d'en faire une de plus. Nous l'avons nettoyée et nous lui avons offert ce que nous avions, en paix. »

La juge approuva de la tête, sans émotion. Son regard se posa sur les vêtements de Riven. Cette dernière savait très bien ce que se disait la présidente, car elle s'était elle-même fait cette réflexion quand la fermière lui avait présenté ces vêtements. C'était la tenue d'un jeune homme d'une tête plus grand qu'elle, quelqu'un qui avait sans doute le sourire de Shava ou les yeux doux d'Asa.

Pour Riven, c'était le rappel constant de sa propre faiblesse. Elle avait vécu des années au rythme de la vie et de la mort dispensées par la puissance de Noxus, et elle avait finalement accepté cette fragile offre d'espoir. Elle s'était laissé vêtir par cette famille.

« Quand elle a repris des forces, elle a voulu travailler dans nos champs. Ma femme et moi sommes vieux. Nous avons accepté cette aide avec reconnaissance. »

« Vous et votre femme n'avez pas craint pour votre vie ? »

« Cette jeune fille s'est totalement détachée de Noxus. Elle hait Noxus. »

« C'est elle qui vous l'a dit ? »

« Non. Elle ne parle pas de son passé. Shava l'a interrogée une fois, et elle n'a pas répondu. Nous avons vu que cela la peinait et nous n'avons plus posé de question. »

« Si elle n'a rien dit, comment pouvez-vous savoir ce qu'elle pense de sa terre natale ? »

Maître Konte s'essuya les yeux. Riven regarda le trouble qui marquait son visage, comme s'il ne lui appartenait pas de répondre. Il reprit rapidement, comme soudain conscient de la foule qui l'entourait.

« Des cauchemars fiévreux, madame. La nuit du jour où je l'ai trouvée. Quelque chose qui lui appartenait, quelque chose à quoi elle tenait énormément, a été brisé. Pour cela, elle a maudit Noxus. »

« Vous savez de quoi il s'agissait ? »

« Je crois, madame », dit le vieil homme avec un geste lent du menton. « Le pommeau de son arme était ligoté au fourreau. Il y a quatre jours, je l'ai vue dénouer les liens. Et j'ai vu que la lame était brisée. »

Riven pensait n'avoir été vue que par le chat, ce jour-là, dans la grange.
Quelques commentaires narquois furent échangés dans la foule sur la qualité des armes noxiennes.

« Et qu'en avez-vous conclu, maître Konte ? »

« J'ai apporté la lame au temple. »

La juge pencha la tête sur le côté, sans perdre des yeux le vieux fermier. « Dans quel but ? »

« J'espérais que les prêtres pourraient ressouder l'arme. J'espérais que cela aiderait Riven à se libérer de quelques-uns des fantômes du passé. » Tandis que la foule s'époumonait derrière lui, le vieil homme regarda Riven et les chaînes qui liaient ses mains. « J'espérais qu'elle trouverait un peu de paix au temps présent. »

« Merci, maître Konte, d'avoir partagé ce que vous saviez avec le tribunal », dit la juge en regardant la foule jusqu'à ce qu'elle se taise. « Votre attestation est terminée. »

Elle baissa les yeux sur un parchemin puis reporta son regard sur l'huissier.

« Apportez l'arme. »




Riven regarda deux des prêtres du temple apporter un large plateau de bois enveloppé dans un tissu lavande et le poser avec précaution devant les juges. Un prêtre guerrier fit un pas en avant. Il était de haut rang, comme en témoignaient les cornes de ses épaulettes de bois et de sa cuirasse.

« Montrez-nous », dit la juge.

Le prêtre guerrier ôta l'étoffe, révélant une arme et un fourreau plus grands qu'un pavois. Le style brut de l'Ur-Noxien était évident sur l'étui et ses angles lourds contrastaient avec la calligraphie souple d'Ionia. Mais c'est la lame qui intéressait les juges. Une lame si épaisse et si lourde que les guerriers les plus aguerris du temple n'auraient pu la lever au combat. Il était difficile de croire que la fille frêle enchaînée devant eux en était capable. Du reste, quand Riven avait vu cette arme pour la première fois, elle s'était fait la même réflexion.

Désormais, au lieu d'une seule lame, l'arme était fracturée comme si les griffes d'un monstre avaient lacéré sa chair de métal. Les cinq plus gros morceaux auraient été mortels au combat même sous cette forme, et ils étaient terrifiants, posés dans toute leur brutale nudité sur la douce étoffe ionienne.

Le juge regarda Riven. « Cette arme vous appartient. »

Riven hocha la tête.

« Je suppose qu'elle doit être dure à utiliser, maintenant qu'elle est brisée en tant de morceaux », dit la présidente comme pour elle-même.

Il y eut des ricanements dans la foule.

Le prêtre guerrier eut un mouvement de gêne. « Cette arme est ensorcelée, madame. Les Noxiens ont insufflé de la magie dans la lame. » Ses mots étaient emplis de dégoût.

Riven ne savait pas si la juge écoutait le prêtre. Elle hochait la tête machinalement, son regard fixé sur l'arme. Elle finit par trouver la fracture que Riven savait qu'elle trouverait, l'emplacement vide que Riven avait tant lutté pour remplir. La juge plissa le nez.

« Il manque un morceau. »




Un jeune disciple se balançait nerveusement devant les magistrats.

« Disciple, s'agit-il de l'arme que maître Konte a présentée au temple ? » demanda la présidente.

« Oui, madame. »

« C'est vous qui avez alerté cette cour ? »

« Oui, madame. »

« Comment saviez-vous que cette arme nous intéresserait ? »

Riven regarda le jeune homme essuyer ses mains sur les longues manches de sa robe. Son visage était pâle, comme s'il était au bord de l'évanouissement ou comme s'il allait vomir sur le sol de pierre.

« Disciple ? »

« Je suis un laveur d'ossements, madame. » Il en bégayait presque. Ses mains pendirent comme de la cire chaude. « Pour les Anciens. Après que leurs corps sont partis pour le ciel, je les récupère pour les préparer. »

« Je sais quels sont les devoirs d'un laveur d'ossements. En quoi cette arme vous concerne-t-elle ? »

« La lame est la même. »

Un moment de confusion se lut sur le visage de la présidente. La foule elle-même semblait incertaine et échangeait des regards interrogateurs. Riven, cependant, sentit un frisson de malaise courir sur son échine.

« Quand je préparais les ossements de l'Ancien Souma, après son temps, pour le temple, je veux dire. » Beaucoup n'arrivaient pas à suivre les explications maladroites du disciple. Au lieu de poursuivre, il sortit de sous sa robe un petit sac de soie et il commença à dénouer les lacets. Il sortit du sac un fragment de métal. « Ça, madame. C'est le même métal que celui de la lame brisée. »

Le disciple s'approcha de la présidente. Cette dernière prit le morceau qu'on lui tendait et le fit tourner entre ses doigts. Même de loin, le métal semblait le même que celui de l'épée brisée.

Riven sentit son souffle se coincer dans sa gorge. C'était le morceau de son passé qu'elle avait tant cherché et qu'elle avait renoncé à trouver. Maintenant, tout était sur le point de s'assembler, illuminant un recoin obscur et oublié de son esprit. La culpabilité que Riven portait en elle et avait enfouie au plus profond allait être exhumée. Riven se durcit contre ce qui n'allait pas manquer de suivre.

« Où avez-vous trouvé cela ? » demanda la juge.

Le disciple s'éclaircit la gorge. « Parmi les os de la nuque de l'Ancien Souma. »

Une exclamation monta de la foule.

« Vous n'avez averti personne auparavant ? » La présidente plissa les yeux pour mieux cerner son témoin.

« Si, je l'ai fait », répondit le disciple, en essayant de ne pas croiser le regard du prêtre guerrier qui était assis à côté de l'épée de Riven. « Mais mon maître m'a dit que ce n'était rien. »

La présidente se montra moins impressionnable.

« Approchez », ordonna-t-elle. Elle tendit le morceau de métal au prêtre guerrier. « Placez-le avec les autres. »

L'homme lança un regard dur au disciple, mais obéit. Il approcha de la lame de Riven et, à la dernière minute, se tourna vers la présidente. « Madame, il y a de la magie noire dans cette arme. Nous ne savons pas ce que ce dernier morceau peut révéler. »

« Continuez. » Le ton de la juge ne laissait aucune place à la contestation.

Le prêtre guerrier obtempéra. Tous les yeux étaient braqués sur lui tandis qu'il plaçait le dernier morceau de métal près du sommet de l'épée brisée.

L'arme était silencieuse.

La présidente laissa échapper un petit soupir. Riven, cependant, continuait de regarder le fermier et sa femme. Elle savait que leur espoir ne durerait plus qu'un court moment. Elle avait été faible d'accepter cet espoir, de croire que le monde pouvait offrir quelque chose à quelqu'un d'aussi brisé qu'elle. Leur conviction qu'elle était innocente lui était insupportable. Riven savait désormais que le bien qu'ils pensaient d'elle était fondé sur un mensonge. La vérité sur son passé était plus tranchante et plus douloureuse qu'une lame.

Riven entendit le murmure qui commençait à monter de l'épée. « S'il vous plaît », dit-elle. Elle luttait pour se faire entendre dans le brouhaha de la salle. Elle luttait contre ses chaînes. « S'il vous plaît, vous devez m'écouter. »

La vibration montait. Brusquement, il fut non seulement bien audible, mais perceptible. Les villageois paniquèrent et commencèrent à se bousculer pour s'éloigner. La présidente se leva rapidement, les mains tendues vers la table de bois sur laquelle était posée l'épée brisée. Le rebord de la table commença à se transformer. Des pousses sortaient du bois pour ligoter l'arme, mais Riven savait que cette magie ne suffirait pas.

« Baissez-vous, tout le monde ! » hurla-t-elle, mais le bruit émis par la lame couvrait sa voix, couvrait toutes les voix d'un son de plus en plus strident.

Brusquement, une explosion propulsa dans toutes les directions de l'énergie runique et des copeaux de bois. Le souffle jeta au sol tous ceux qui étaient debout.

Les villageois aplatis sur la pierre levèrent les yeux vers Riven.

Les lèvres de la jeune femme étaient froides et ses joues rouges. Les fantômes de son esprit, les souvenirs qu'elle avait scellés, ils étaient désormais bien vivants et défilaient devant elle comme une parade. Des fermiers ioniens, des fils et des filles, tous ceux dans ce village qui avaient refusé de s'agenouiller devant Noxus. Tous la regardaient droit dans les yeux. Ils la hantaient. Ils la savaient coupable. Il y avait ses guerriers, aussi, ses frères et ses sœurs d'armes. Ils se seraient volontiers sacrifiés pour la gloire de l'empire, mais elle avait failli. Elle les avait conduits sous la bannière de Noxus, qui leur promettait un foyer et un but. Mais au bout du compte, ils avaient été trahis et rejetés. Tous avaient péri, empoisonnés par le venin morbide de la guerre.

Maintenant, ces fantômes se tenaient debout parmi les vivants. Les villageois se remirent lentement sur pied, alors que Riven demeurait dans cette vallée surgie de son passé. Elle ne pouvait pas respirer. La mort la prenait au nez et à la gorge.
Non, ces morts ne sont pas réels, se dit-elle. Elle regarda Asa et Shava et les fermiers lui rendirent son regard. Deux ombres se tenaient à côté d'eux. L'une avait les yeux du fermier, l'autre la bouche de Shava. Les deux vieillards se blottissaient l'un contre l'autre. Ils se levèrent, sans regarder les images tragiques du passé qui les entouraient.

« Dyeda », dit la fermière.

Riven ne put contenir plus longtemps sa honte et son sentiment de culpabilité.

« C'est moi qui ai fait cela. » Les mots tombaient de ses lèvres et tout n'était que vide et néant. Elle accepterait le destin que lui infligerait ce village. Elle les laisserait la juger et elle répondrait de ses crimes.

« J'ai tué votre Ancien », dit-elle, le souffle court. Sa confession rauque remplit la salle. « Je les ai tous tués. »


 

 
- III -
Le tribunal, qui avait été aussi immobile qu'une tombe, revint à la vie. Les prêtres guerriers, attirés par le tumulte, envahirent la salle, repoussant les villageois qui cherchaient à fuir la magie néfaste des lieux.

La juge au nez en bec d'aigle avait retrouvé son allant et frappait la table de sa boule de bois.

« La salle doit retrouver son équilibre ! » exigea-t-elle.

Le hall redevint silencieux. On remit en place les bancs renversés. La foule prit place. L'étranger à capuche gratta la cicatrice de son nez et alla examiner de plus près la trace de brûlure qui noircissait les murs du tribunal jusqu'à hauteur de torse. Un prêtre guerrier approcha prudemment de l'arme magique.

Au milieu des débris de la table se trouvaient l'épée et le fourreau. Une lueur d'énergie verte crépitait autour des morceaux de métal. Le prêtre guerrier se pencha vers le pommeau. Éprouvant le poids de l'objet, il se servit des deux mains. Quoique brisée, l'arme conserva sa forme.

« Débarrassez-nous de cette chose maudite ! » hurla quelqu'un dans la foule. Le prêtre rangea l'arme dans l'étui et d'autres vinrent pour l'emporter.

« Je l'ai tué », répéta Riven. C'était sa voix, et pourtant non. C'était le passé qui parlait à travers elle. Elle regarda les visages dans la salle. Sa mémoire lui étant revenue, elle était de nouveau éveillée aux recoins sombres de son histoire.

« Riven », dit la présidente.

Riven reporta son attention vers elle.

« Est-ce que vous comprenez ce que vous êtes en train de confesser ? »

Riven approuva de la tête.

« Pourquoi avez-vous fait cela ? »

« Je ne me souviens pas. » Elle n'avait que ces mots à offrir. Comme elle était enchaînée, elle ne pouvait essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues.

La présidente la regardait avec intensité, attendant que l'accusée en révèle davantage. Mais, ne voyant rien venir, elle fit un geste en direction de l'huissier.

« Riven, vous resterez enchaînée dans cette salle jusqu'à l'aube. Tous ceux qui ont besoin de vous parler afin de trouver la paix devront pouvoir le faire avant votre condamnation. »

Riven regarda les fers à ses mains.

« Les autres magistrats et moi allons consulter les parchemins et les Anciens pour trouver quelle punition convient à votre crime. »

Les villageois partirent en silence. Le vieux couple partit en dernier. Riven le sut parce qu'elle entendit Shava murmurer à l'oreille de son mari, bien que l'émotion rendît ses mots difficiles à comprendre. Quand elle les entendit enfin franchir le seuil, Riven releva la tête. Les vivants avaient quitté la salle. Il ne restait que les fantômes de son passé.




L'air de la nuit claire était froid. La lune était pleine et semblait éclairer le ciel noir d'un anneau de givre. La lumière passait par les portes encore ouvertes de la salle, mais n'éclairait pas le recoin, au fond de la salle, où Riven se trouvait. Personne n'était venu dans la journée pour retrouver la paix. Les prêtres guerriers avaient pris l'épée, mais les marques de brûlure qui souillaient toute la pièce retenaient les villageois de pénétrer dans le tribunal. Certains étaient venus jusqu'à la porte, quelques-uns avec des fruits pourris, mais en définitive, Riven était restée seule avec ses pensées. Le sommeil l'avait enfin gagnée, mais c'était le sommeil léger de quelqu'un qui sait que la prochaine aube sera sa dernière. Quand des pas étouffés approchèrent d'elle, quelques heures avant le lever du soleil, elle se réveilla instantanément.

Elle ouvrit les yeux.

« O-fa », dit-elle. « Que faites-vous ici ? »

Le vieillard s'accroupit lentement à côté d'elle et déroula une étoffe qui enfermait des outils. Riven reconnut les instruments métalliques. C'étaient ceux qu'il utilisait pour fixer le soc à la charrue.

« Que crois-tu que je fasse, mon enfant ? » La clarté lunaire approfondissait les rides sur son visage, mais il ne semblait pas aussi affecté que Riven l'aurait cru par la tristesse de l'obscurité dans laquelle ils se trouvaient.

« Tu mets trop d'entêtement à vouloir mourir. Ce n'est pas ainsi qu'on trouve l'équilibre. »

Il attaqua les chaînes aux poignets et aux chevilles de Riven. La jeune femme ne le repoussa pas, comme l'impulsion lui en venait, et ne lui dit pas de rentrer chez lui. Son cœur égoïste scellait ses lèvres. Si le vieil homme était la dernière personne auprès de qui elle était assise, elle voulait que ça dure le plus longtemps possible. Elle resta ainsi quelques minutes, jusqu'à ce qu'elle entende des pas sur le gravier, à l'extérieur du tribunal. Riven regarda Asa. Il souriait, agitant les fers ouverts devant elle comme un enfant son jouet.

« O-fa. Vite ! Vous devez vous cacher. Quelqu'un arrive. » La voix de Riven était soudain tendue et ne souffrait aucune réplique. Le vieil homme se terra dans un recoin obscur. Riven feignit d'être toujours endormie. Elle laissa ses cheveux retomber sur son visage, mais garda les yeux ouverts.

Un vent fort souffla parmi les arbres pour venir s'arrêter dans l'encadrement de la grande porte. Là, nimbé de lumière lunaire, le contour d'un homme apparut sur le seuil.




La capuche de l'étranger, pendant sur ses épaules, ne cachait plus son visage et laissait apparaître ses épaulettes de métal. Il fit une pause, comme les villageois. Mais au contraire des villageois, il entra. Ses pieds ne faisaient aucun bruit sur le sol. À une lame de distance de Riven, il s'arrêta.

Il passa une main derrière son dos et récupéra un fourreau de cuir gravé de runes dures. Il le lança aux pieds de Riven.

« Qu'est-ce qui pèse le plus lourd, Riven ? » demanda-t-il. « Ton épée, ou ton passé ? »

À l'évidence, l'étranger savait que Riven ne dormait pas, et elle cessa de faire semblant. Elle leva les yeux vers l'étranger. Son visage n'était qu'une ombre, mais la cicatrice qui le barrait était visible.

« Qui es-tu ? » demanda-t-elle.

« Une autre lame brisée. Tu es prête à accepter ta culpabilité. Je t'admire pour cela. »

Riven vit un frémissement d'émotion passer sur ses traits.

« Mais ton histoire ne se résume pas à ton épée », continua-t-il. « Veux-tu savoir en vérité ce qui s'est passé ? »

« Je l'ai tué. Il est mort à cause de moi. Ils sont tous morts à cause de moi. » Riven ne savait pas si elle était capable de supporter plus de peine.

« Prends ton arme. »

Riven s'assit. Elle entendit le grognement de frustration poussé par l'homme.

« Lève-toi et affronte ton passé », dit l'étranger. C'était un ordre.

Un vent commença à se lever, tourbillonnant dans la salle et repoussant les bancs. Riven bondit sur ses pieds. L'instinct et la mémoire du corps guidèrent le bras de la jeune femme. Lorsque Riven fit face à l'étranger, l'épée et le fourreau étaient dans sa main.

« Je lui ai demandé de la détruire », dit-elle.

« Vraiment ? » La voix de l'homme était moqueuse.

La question de l'étranger était coupante et elle trancha à vif la mémoire de Riven. Une vision la fit frémir. La voix de l'Ancien Souma était si calme. L'air, dans son cabinet de méditation, était lourd de réflexions et de fumées d'encens. L'Ancien Souma ne les avait pas jugés, ni elle ni son fardeau.

Riven regardait l'étranger qui lui faisait face. L'angoisse montait en elle, envahissant son corps jusqu'à toucher les extrémités. Elle serra les doigts autour du pommeau et retira l'épée runique de son fourreau.

« Que fais-tu ici ? » demanda Riven.

La lame brisée crépitait de puissance. La lumière aveuglante projetait leurs ombres sur les murs.

« Il paraît que tu veux mourir », sourit l'étranger.

Les fantômes qui hantaient Riven étaient revenus en force et la jeune femme faisait maintenant des moulinets dans leur direction. La lame de l'homme parait la tristesse et la rage. Cela la mit en fureur et la ramena au temps présent. Ils dansaient l'un autour de l'autre. L'air vibrait et crépitait à chaque parade et à chaque fente.

« Je suis venu ici pour tuer l'assassin de mon maître. » Sa respiration haletait entre ses dents serrées. « Je suis venu pour te tuer. »

Riven rit, les larmes aux yeux. « Alors fais-le. »

Le guerrier du vent baissa son épée et manipula l'air qui se mit à tourbillonner autour d'eux. La magie se concentra fiévreusement et l'homme la dirigea vers la lame runique. Les sorts noxiens de l'arme s'ébrouèrent, les morceaux brisés se séparèrent un moment et la pointe se détacha du corps.

L'énergie implosa et la pointe fonça vers l'angle obscur où se tenait Asa. Le petit morceau de métal était sur le point de s'enfoncer dans la gorge du fermier. Le souvenir épicé de l'encens envahit le nez de Riven : elle était de retour dans le cabinet de méditation de l'Ancien Souma.

« Non ! » hurla-t-elle. Riven lâcha son arme, incapable d'empêcher ce qui s'était déjà produit.

Au moment où le morceau d'épée allait trancher la peau parcheminée du vieil homme, il s'arrêta, maintenu en place par un souffle d'air. L'homme au nez scarifié laissa échapper un soupir et le fragment de métal tomba au sol sans blesser personne.

« Vous avez de la chance de souffler si puissamment, maître Konte », dit l'étranger à mi-voix.

Riven courut vers le fermier et se jeta dans ses bras. Par-dessus son épaule, elle regarda l'étranger. Une brise remuait toujours ses cheveux tandis qu'il essuyait sa sueur du revers de la main.

« Alors c'est vrai. » L'étranger s'approcha d'eux, non sans récupérer le fragment d'épée. Riven sentit qu'une partie de sa colère se transformait en compréhension. « Tu as tué l'Ancien Souma, mais tu ne l'as pas assassiné. »

« Je suis désolée. Je suis vraiment désolée. » Riven était en train de revivre le moment qu'elle avait tant cherché. Les mots lui vinrent comme du vif-argent. Elle tremblait dans les bras du paysan.

« Je suis allée le voir. Je l'ai supplié… » Riven était submergée par l'émotion et avait du mal à parler. « Je l'ai supplié de m'aider. De briser l'arme. De me briser. »

« L'Ancien Souma a essayé de détruire ton épée. » La voix de l'homme était devenue grave. « Mais nous ne pouvons pas détruire ton passé, Riven. »

Riven savait ce que c'était que d'affronter des souvenirs qu'on ne pouvait faire revivre, mais qui refusaient de mourir. À présent, elle voyait que cet étranger portait ses propres fantômes. Les tourbillons d'air s'apaisèrent autour de lui tandis qu'il soupirait puissamment.

« L'Ancien Souma était sous ma responsabilité. Si j'avais été là… cette nuit… J'aurais pu le protéger. Tu n'avais pas pour but de le tuer. » Riven, guerrière face à un guerrier, voyait l'homme replacer sur ses épaules le fardeau de ses démons comme un sac qui a glissé. Il plongea ses yeux dans ceux de la jeune femme. « Au bout du compte, c'est moi qui suis responsable de sa mort. »

« Yasuo ? » Le fermier regarda l'étranger plus attentivement et pointa vers lui un doigt noueux. « Tu t'es conduit honorablement en admettant la vérité. »

« J'ai perdu mon honneur depuis longtemps, O-fa. » Riven reconnut en Yasuo sa propre résistance à l'espoir et au pardon. Yasuo hocha la tête. « Une erreur a conduit à une autre, puis à beaucoup d'autres. C'est ma punition. »

Le dialogue fut interrompu par un crissement de gravillons. Une femme au nez en bec d'aigle entra dans la salle. Elle avança prudemment, inspectant les dégâts causés par le combat entre les deux guerriers. À chaque pas, elle émettait un cliquetis de métal. La juge ralentit en arrivant à hauteur de Riven et du fermier. Riven reconnut un morceau de cuir unissant les clés de ses fers. Quand la présidente se retrouva face à l'étranger, elle s'arrêta.

« Reconnaître ses torts est la première étape de la purification, Yasuo », dit-elle sans émotion.

« Quelle est la deuxième ? » Le timbre de Yasuo était presque désespéré.

Le guerrier et la juge se fixaient l'un l'autre. Plus rien ne semblait respirer dans la pièce.

La voix douce de la présidente résonnait amplement dans la salle. « Te pardonner à toi-même. »

Riven regarda attentivement le guerrier du vent. Il ne parvenait pas à accepter les mots qui l'auraient libéré de sa souffrance. Riven avait très longtemps souhaité la mort, mais en observant la douleur de Yasuo, elle comprit que ce qu'elle pouvait faire de plus dur était de vivre, et de vivre avec ce qu'elle avait fait. Yasuo la regardait, à présent. Allait-il rester et affronter son passé ?

L'homme qui portait le poids du vent fit brusquement demi-tour et disparut dans la nuit. Riven s'accrochait toujours désespérément au vieux fermier.




L'aube était fraîche, mais l'épaisseur des nuages promettait un jour chaud et humide. Quand le prêtre guerrier et la juge au nez en bec d'aigle vinrent voir Riven, ils trouvèrent ses chaînes entassées sur le sol devant elle. Riven se leva sans y être contrainte et sortit du tribunal pour affronter son avenir.

Les autres magistrats avaient rassemblé les villageois sur la place, devant le bâtiment. Riven en conclut qu'aucun d'eux ne voulait être enfermé avec elle ou son épée runique. Une brise fraîche passait dans les mèches de la présidente.

« Après avoir examiné les preuves et consulté les Anciens, nous appelons la Noxienne à répondre de ses crimes. »

Riven se hérissa en entendant la référence à sa terre natale. Elle regarda Shava et Asa qui se soutenaient mutuellement.

« Bien qu'il soit facile de la prononcer, une peine de mort ne permet pas de conserver l'équilibre du monde. Elle n'aide pas à réparer les destructions qu'un crime occasionne dans une communauté. »

Les villageois approuvèrent d'un mouvement de la tête. Riven les dévisagea et vit sur leurs traits ceux qui leur manquaient : les pères et les mères, les fils et les filles.

« Le tribunal a donc cherché une sentence plus longue et plus dure. Nous veillerons à ce que Riven, l'exilée, répare ce qu'elle a brisé. »

La présidente baissa les yeux sur l'accusée.

« Ce sera la punition d'un labeur pénible. Il commencera dans les champs de monsieur et madame Konte. »

Un murmure parcourut la foule.

« Le tribunal entend aussi que Riven répare les dégâts infligés à l'hôtel de ville. Et ceux subis par les maisons et les familles touchées par l'invasion noxienne. »

La présidente jeta à Riven un regard d'expectative. « Acceptez-vous d'obéir à notre décision ? »

Tous les yeux étaient désormais fixés sur Riven. Une émotion nouvelle la prit à la gorge. Elle regarda tout autour d'elle. Les fantômes qui la suivaient n'avaient pas disparu avec la sentence. Riven pouvait les voir se mêler aux vivants. Quelque chose la surprit. Elle était heureuse de ces visions. Elle leur prouverait qu'elle pouvait être digne du don qui lui était fait.

« Oui. » Riven reconnut à peine sa propre voix saisie d'émotion.

Le vieux couple s'approcha pour enlacer la jeune femme. Riven se laissa aller entre leurs bras.

« Dyeda », murmura Shava, le visage plaqué dans les mèches blanches de Riven.

« Fille », murmura-t-elle en retour.
 
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