Si d'habitude Riot passe par de petits éléments cachés en jeu, ou par des vidéos ou des images mystérieuses postées sur les réseaux sociaux ou sur le site officiel, c'est par un immense pavé de texte que nous en savons plus sur le prochain champion cette fois. Si les amateurs d'histoire y trouveront leur compte, la longueur du texte risque d'en décourager certains. Retenez donc juste que ce champion est lié à Yasuo, et que c'est visiblement une sorte d'oiseau (Et cela ne devrait pas vous spoiler si vous souhaitez lire l'histoire complète) !
Notez par ailleurs l'url de l'annonce officielle, qui indique "short story". On a hâte de découvrir la "long story"...
« Ton pouvoir est voué à détruire. Tu ne veux pas l'utiliser ? Très bien. Qu'il t'engloutisse comme une pierre. »
C'étaient les derniers mots qu'avait entendu Taliyah dans la bouche du capitaine noxien avant de disparaître dans l'eau salée, et ces mots la hantaient toujours. Quatre jours s'étaient écoulés depuis qu'elle avait plongé pour s'évader. En reprenant pied sur la plage, elle avait couru ; quand enfin elle n'avait plus été à portée pour entendre les soldats noxiens briser les os des fermiers d'Ionia, elle avait marché. Elle suivait depuis les chemins escarpés des montagnes, sans oser se retourner vers les carnages qu'elle abandonnait derrière elle. La neige avait commencé à tomber deux jours plus tôt. Ou trois peut-être, elle en avait perdu le compte. Ce matin, alors qu'elle passait devant un sanctuaire vide, un froid lugubre commença à envahir la vallée. Le vent gagna en force et balaya les nuages, révélant un ciel limpide et bleu, d'une couleur si pure que la jeune fille eut de nouveau l'impression de se noyer. Ce ciel ne lui était pas inconnu. Enfant, elle l'avait vu envelopper les sables. Mais elle ne se trouvait pas à Shurima. Le vent, ici, n'avait rien d'accueillant.
Taliyah serra les bras contre sa poitrine, cherchant à se souvenir de la chaleur dont la comblait sa terre natale. Son manteau la protégeait de la neige, mais l'air froid se faufilait par chaque ouverture. L'invisible solitude rampait autour d'elle, s'infiltrant jusqu'à la moelle de ses os. Se rappeler qu'elle était infiniment loin de ceux qu'elle aimait la fit chuter à genoux.
Elle enfonça profondément ses mains dans ses poches, polissant du bout des doigts de vieux cailloux pour leur arracher de la chaleur.
« J'ai faim. Voilà tout », fit Taliyah à voix haute, sans s'adresser à personne. « Un lièvre. Un moineau. Même une souris me conviendrait, Grande Tisseuse, si c'est tout ce qu'il y a dans les parages. »
À cet instant précis, un bruissement de poudreuse se fit entendre à quelques pas d'elle. Le coupable était une petite boule de poils, pas plus grande que ses deux poings, dont la tête émergeait d'un terrier.
« Merci ! » murmura la jeune fille, dents serrées. « Merci ! Merci ! »
L'animal regarda Taliyah d'un œil inquisiteur tandis qu'elle prenait une des pierres lisses dans sa poche et la plaçait dans sa fronde. Elle n'avait pas l'habitude de tirer à genoux, mais si la Grande Tisseuse lui avait envoyé cette offrande, elle n'avait pas l'intention de la gâcher.
Le petit animal continuait à regarder tandis qu'elle relevait sa fronde. Le corps de Taliyah était comme enserré dans une gangue de froid et son bras tremblait. Quand elle se sentit prête, elle lâcha la pierre... mais éternua bruyamment au même moment.
La pierre s'enfonça dans la neige, manquant de peu sa cible. Taliyah, dans sa frustration, laissa échapper un grognement guttural qui enfla d'écho en écho dans le silence environnant. Elle respira amplement, sentant le froid lui incendier la gorge.
« Si tu ressembles aux lapins des sables, tu n'es sûrement pas seul dans le secteur... » dit-elle calmement, car il lui en fallait plus pour se vider de son optimisme.
Depuis le monticule d'où l'animal était sorti, elle suivit du regard les traces de sa fuite sur la neige. Soudain, tétanisée, elle aperçut au-delà des pins épars un homme, assis dans le sanctuaire, le menton contre la poitrine. Ses longs cheveux noirs étaient soulevés par le vent. Il dormait ou il méditait. Elle eut un soupir de soulagement. Aucun Noxien de sa connaissance n'aurait jamais été surpris à faire l'un ou l'autre. Rêveusement, elle repensa à la surface irrégulière et aux rebords sculptés du lieu saint qu'elle avait caressés sur le chemin.
Taliyah fut arrachée à son songe par un bruit sec. Un grondement suivit et prit de l'ampleur. Elle se tassa sur elle-même, comme pour affronter un séisme en approche. Le grondement devint un son terrible de neige compacte dévalant sur la roche. Taliyah se retourna, face à la montagne, et vit un mur blanc foncer vers elle.
Elle sauta sur ses pieds, mais elle n'avait nulle part où aller. Elle jeta un coup d'œil à la pierre qui émergeait de la glace comme un récif et elle pensa au petit animal, blotti à l'abri dans son terrier. Elle se concentra désespérément sur les morceaux de roche visibles. Une rangée de colonnes épaisses jaillit du sol. Le barrage de pierre s'éleva à l'ultime moment bien au-dessus de sa tête et l'avalanche se fracassa sur l'obstacle dans un bruit sourd.
Éventrée par ce mur, la neige se fendit pour retomber en vagues sur les côtés et poursuivre sa dégringolade vers la vallée. Taliyah regarda le fleuve blanc remplir le vallon et recouvrir le temple.
L'avalanche cessa aussi vite qu'elle avait commencé. Même le vent se tut. Le soudain silence pesa sur la jeune fille. L'homme aux cheveux fous était mort, enseveli dans le roc et la glace. Elle avait échappé à l'avalanche, mais elle se rendit soudain compte du crime qu'elle venait de commettre : elle avait enterré vif un innocent.
« Grande Tisseuse, qu'ai-je fait ? » s'exclama-t-elle.
Taliyah descendit rapidement la pente couverte de neige, dérapant ici et s'enfonçant là jusqu'aux cuisses. Elle refusait d'avoir fui une flotte d'invasion noxienne pour assassiner le premier Ionien qu'elle croisait.
« En plus, avec ma chance, c'était sûrement un saint homme... »
Les pins de la vallée n'étaient plus que des buissons englués dans la neige. Seul le sommet du sanctuaire émergeait de la surface. Emmêlés les uns aux autres, des rubans de prière marquaient ce qui devait être l'extrémité du vallon. Taliyah chercha partout du regard une trace de l'homme qu'elle avait livré à la glace. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il était sous la corniche du temple. Peut-être cela lui avait-il procuré un abri.
Alors qu'elle approchait du bâtiment englouti, elle aperçut deux doigts qui crevaient la surface près des arbres, loin du plus fort de l'avalanche.
Elle se précipita de son mieux vers ce mince espoir. « Je ne veux pas que tu sois mort. Je ne veux pas que tu sois mort. Je ne veux pas... »
Taliyah se laissa tomber à genoux et commença à creuser la neige glaciale. Elle dégagea des doigts aussi solides que de l'acier. Elle agrippa le poignet de l'homme, ses propres mains presque paralysées par le froid. Elle claquait tellement des dents que son corps en était secoué : impossible de percevoir si la vie pulsait dans les veines de l'inconnu.
« Si tu n'es pas déjà mort, il faut que tu m'aides ! » ordonna-t-elle.
Elle regarda tout autour. Il n'y avait personne. Elle ne pouvait espérer aucune aide.
Taliyah lâcha les doigts et fit quelques pas en arrière. Elle posa ses paumes engourdies sur la surface de la neige et tenta de se rappeler à quoi ressemblait le sol de la petite vallée avant l'avalanche. Des pierres éparses, du gravier. Les souvenirs affluèrent et se condensèrent dans son esprit. C'était un gris anthracite sombre parsemé d'éclats blancs.
Taliyah s'accrocha fermement à cette vision et se concentra sur ce qui gisait sous les profondeurs de la neige tassée devant elle. La croûte de glace se fracassa devant elle et une tour de granite s'éleva, soutenant une silhouette solitaire. La pierre soudain souple frémit à son sommet, comme si elle attendait des instructions. Ne sachant trop comment poser l'homme sans danger, Taliyah poussa la vague de pierre vers les pins, espérant que la végétation adoucirait la chute.
Le ruban de granite s'effondra dans la neige avec un bruit étouffé, mais les branches des conifères accrochèrent le bras de l'homme avant de ployer pour le déposer presque doucement sur la surface.
« Si tu avais survécu, j'espère que ça ne t'a pas achevé... » souffla Taliyah en se précipitant vers lui. Le ciel s'assombrit au-dessus de sa tête. Des nuages noirs avançaient dans la vallée. Davantage de neige allait bientôt tomber sur eux. Au-delà des arbres, elle aperçut l'ouverture d'une petite grotte.
Taliyah souffla dans ses mains pour les réchauffer, pour tenter de mettre un terme à leur tremblement. Elle tendit les bras pour prendre l'homme aux épaules. Il laissa échapper un grognement de douleur. Avant que Taliyah ne puisse le déplacer, un éclair métallique déchira l'air. Le fil froid et aiguisé d'une lame appuya sur la gorge de la jeune fille.
« Mon heure n'est pas encore venue », dit l'inconnu dans un râle. Il toussa et ses yeux se révulsèrent. L'épée tomba dans la neige, mais sans que l'homme en lâche la poignée.
Le premier flocon de neige tomba sur la joue de Taliyah. « Tu as l'air du genre difficile à tuer... Mais si on se laisse prendre par la tempête, ça ne suffira pas à te sauver. »
L'homme avait du mal à respirer, mais il était toujours en vie. Taliyah commença à le tirer en direction de la grotte.
Le vent soufflait de nouveau.
Taliyah se baissa pour prendre un galet de la taille et de la couleur d'une petite pelote de laine brute. Elle frissonna et regarda derrière elle dans la grotte : l'homme, les yeux clos, était adossé au mur. Elle mordilla le morceau de viande sèche qu'elle avait trouvé dans le sac de l'homme, espérant qu'il n'hésiterait pas à partager s'il était conscient.
Elle s'éloigna de l'ouverture. La grotte était chaude, les pierres qu'elle avait entassées luisaient doucement. Elle s'agenouilla. La jeune fille n'était pourtant pas sûre, au moment d'essayer, qu'elle pourrait chauffer de si gros galets comme elle le faisait avec les petits cailloux dans sa poche. Elle ferma les yeux et se concentra sur le tas de rocs. Elle se remémora le soleil ardent sur les sables. La manière dont la chaleur pénétrait la terre longtemps après le crépuscule. Elle se détendit et ouvrit son manteau tandis que la chaleur sèche l'enveloppait, puis elle se mit au travail sur la pierre qu'elle tenait dans la main. Elle la tourna dans tous les sens, la façonnant avec ses pensées jusqu'à ce qu'elle se creuse comme un bol. Satisfaite, elle retourna vers l'ouverture de la grotte avec le récipient qu'elle venait de fabriquer.
Une voix d'homme grommela derrière elle : « On dirait un moineau rassemblant des miettes de pain. »
« Même les moineaux ont soif », répliqua-t-elle, ramassant un plein bol de neige. Le vent froid sifflait autour d'elle. Taliyah revint placer la coupe sur les pierres chaudes.
« Tu récoltes tes pierres à la main ? Ça paraît bien banal pour quelqu'un qui peut tisser la roche. »
Taliyah rougit.
« Tu n'es pas en colère, n'est-ce pas ? Je veux dire, à cause de l'avalanche, et... »
Le rire de l'homme s'étouffa dans un grognement tandis qu'il se tenait le flanc. « Tes actions me disent tout ce que j'ai besoin de savoir. » Il serrait les dents, mais une ombre de sourire écartait toujours ses lèvres. « Tu aurais pu me laisser agoniser. »
« C'est mon initiative qui t'a mis en danger. Je n'allais pas te laisser enseveli dans la neige. »
« Je te remercie. Même si je me serais passé de la dégringolade à travers les branches d'arbres. »
Taliyah grimaça et ouvrit la bouche. L'homme leva la main pour l'interrompre. « Ne t'excuse pas. »
Il se redressa péniblement, examinant de plus près Taliyah et l'ornement dans ses cheveux.
« Un moineau shurimien. » Il ferma les yeux et se détendit dans la chaleur des pierres incandescentes. « Tu es loin de chez toi, petit oiselet. Qu'est-ce qui t'amène dans une grotte d'Ionia ? »
« Noxus. »
L'homme leva un sourcil noir mais garda les yeux fermés.
« Ils disaient que je rassemblerais les gens, à Noxus. Que mon pouvoir fortifierait ses murs. Mais en vérité, ils ne voulaient de moi que la destruction. » Sa voix se chargea de dégoût. « Ils m'ont dit qu'ils allaient m'enseigner... »
« Et c'est ce qu'ils ont fait, mais de façon incomplète », fit l'homme sans émotion.
« Ils ont essayé de me faire ensevelir un village. Assassiner des gens dans leur maison. » Taliyah eut un rire dur, sans joie. « Et je ne me suis échappée que pour te faire tomber une montagne sur le dos. »
L'homme leva son épée et détailla le fil de la lame. Un vent léger en souffla la poussière. « Destruction. Création. Rien n'est tout mal ou tout bien. L'un n'est pas possible sans l'autre. Ce qui compte est la raison pour laquelle tu choisis ton chemin. C'est le seul choix que nous ayons vraiment. »
Taliyah se leva, irritée par la leçon. « Mon chemin, c'est loin d'ici. Loin de tout le monde, jusqu'à ce que j'apprenne à contrôler ce qui est au fond de moi. J'ai peur de ne pas pouvoir m'empêcher de faire du mal aux gens. »
« La confiance d'un oiseau n'est pas la branche sous ses pieds. »
Taliyah n'écoutait plus. Elle était de nouveau à l'entrée de la caverne, son manteau serré sur ses épaules. Le vent soufflait à ses oreilles.
« Je vais essayer de nous trouver quelque chose à manger. J'espère que cela ne fera pas s'effondrer sur toi le reste de la montagne. »
L'homme se cala contre la pierre chaude et parla doucement, sans paraître s'adresser à quelqu'un en particulier. « Es-tu sûre que c'est la montagne que tu veux conquérir, petit oiselet ? »
Elle s'éloigna de l'ouverture. La grotte était chaude, les pierres qu'elle avait entassées luisaient doucement. Elle s'agenouilla. La jeune fille n'était pourtant pas sûre, au moment d'essayer, qu'elle pourrait chauffer de si gros galets comme elle le faisait avec les petits cailloux dans sa poche. Elle ferma les yeux et se concentra sur le tas de rocs. Elle se remémora le soleil ardent sur les sables. La manière dont la chaleur pénétrait la terre longtemps après le crépuscule. Elle se détendit et ouvrit son manteau tandis que la chaleur sèche l'enveloppait, puis elle se mit au travail sur la pierre qu'elle tenait dans la main. Elle la tourna dans tous les sens, la façonnant avec ses pensées jusqu'à ce qu'elle se creuse comme un bol. Satisfaite, elle retourna vers l'ouverture de la grotte avec le récipient qu'elle venait de fabriquer.
Une voix d'homme grommela derrière elle : « On dirait un moineau rassemblant des miettes de pain. »
« Même les moineaux ont soif », répliqua-t-elle, ramassant un plein bol de neige. Le vent froid sifflait autour d'elle. Taliyah revint placer la coupe sur les pierres chaudes.
« Tu récoltes tes pierres à la main ? Ça paraît bien banal pour quelqu'un qui peut tisser la roche. »
Taliyah rougit.
« Tu n'es pas en colère, n'est-ce pas ? Je veux dire, à cause de l'avalanche, et... »
Le rire de l'homme s'étouffa dans un grognement tandis qu'il se tenait le flanc. « Tes actions me disent tout ce que j'ai besoin de savoir. » Il serrait les dents, mais une ombre de sourire écartait toujours ses lèvres. « Tu aurais pu me laisser agoniser. »
« C'est mon initiative qui t'a mis en danger. Je n'allais pas te laisser enseveli dans la neige. »
« Je te remercie. Même si je me serais passé de la dégringolade à travers les branches d'arbres. »
Taliyah grimaça et ouvrit la bouche. L'homme leva la main pour l'interrompre. « Ne t'excuse pas. »
Il se redressa péniblement, examinant de plus près Taliyah et l'ornement dans ses cheveux.
« Un moineau shurimien. » Il ferma les yeux et se détendit dans la chaleur des pierres incandescentes. « Tu es loin de chez toi, petit oiselet. Qu'est-ce qui t'amène dans une grotte d'Ionia ? »
« Noxus. »
L'homme leva un sourcil noir mais garda les yeux fermés.
« Ils disaient que je rassemblerais les gens, à Noxus. Que mon pouvoir fortifierait ses murs. Mais en vérité, ils ne voulaient de moi que la destruction. » Sa voix se chargea de dégoût. « Ils m'ont dit qu'ils allaient m'enseigner... »
« Et c'est ce qu'ils ont fait, mais de façon incomplète », fit l'homme sans émotion.
« Ils ont essayé de me faire ensevelir un village. Assassiner des gens dans leur maison. » Taliyah eut un rire dur, sans joie. « Et je ne me suis échappée que pour te faire tomber une montagne sur le dos. »
L'homme leva son épée et détailla le fil de la lame. Un vent léger en souffla la poussière. « Destruction. Création. Rien n'est tout mal ou tout bien. L'un n'est pas possible sans l'autre. Ce qui compte est la raison pour laquelle tu choisis ton chemin. C'est le seul choix que nous ayons vraiment. »
Taliyah se leva, irritée par la leçon. « Mon chemin, c'est loin d'ici. Loin de tout le monde, jusqu'à ce que j'apprenne à contrôler ce qui est au fond de moi. J'ai peur de ne pas pouvoir m'empêcher de faire du mal aux gens. »
« La confiance d'un oiseau n'est pas la branche sous ses pieds. »
Taliyah n'écoutait plus. Elle était de nouveau à l'entrée de la caverne, son manteau serré sur ses épaules. Le vent soufflait à ses oreilles.
« Je vais essayer de nous trouver quelque chose à manger. J'espère que cela ne fera pas s'effondrer sur toi le reste de la montagne. »
L'homme se cala contre la pierre chaude et parla doucement, sans paraître s'adresser à quelqu'un en particulier. « Es-tu sûre que c'est la montagne que tu veux conquérir, petit oiselet ? »
Non loin, un oiseau tapait du bec l'écorce d'un pin maigrelet. Taliyah donna un coup de pied dans la neige, blanchissant l'extrémité de sa botte. Elle tira nerveusement sur ses manches, agacée par les mots que l'homme avait prononcés.
« La raison pour laquelle on choisit son chemin ? J'ai quitté mon peuple, ma famille, pour les protéger de moi. »
Elle s'arrêta. Elle était entourée par un silence qui ne paraissait pas naturel. Tout le petit gibier avait disparu depuis longtemps en l'entendant approcher sans se cacher. Ne voyant aucun danger dans la jeune fille, le petit oiseau avait un temps continué de frapper le tronc de l'arbre. Mais même lui n'émettait plus un bruit.
Taliyah se redressa précautionneusement. Dans sa rage, elle s'était éloignée davantage qu'elle n'en avait eu l'intention. Elle était attirée par la pierre davantage que par le bois et elle avait suivi machinalement une crête jusqu'à se retrouver au sommet d'une falaise rocheuse. Elle ne pensait pas que l'homme la suivrait, pourtant elle sentit que quelqu'un l'observait.
« Encore des leçons ? » demanda-t-elle sans aménité.
En réponse, elle ne perçut qu'un feulement sourd qui vibra jusque dans sa cage thoracique.
Elle glissa une main dans son manteau et de l'autre chercha sa fronde. Trois pierres s'entrechoquaient dans sa poche. Elle ferma son poing sur l'une d'elles, au moment où le roulement du gravier indiquait que l'on bougeait derrière elle.
Taliyah se retourna. Avançant souplement au milieu des rocs, un grand lion des neiges ionien marchait dans sa direction.
Sans même avoir à se redresser sur ses pattes arrière, il la surplombait. Sa longueur semblait faire le double de la taille de Taliyah, une courte crinière ivoire recouvrait les puissantes épaules de la bête. Le lion regardait la jeune fille. Il lâcha les deux lièvres fraîchement tués qu'il tenait dans la gueule et elle vit que le sang maculait des canines plus larges que son bras.
Une seconde plus tôt, la vue plongeante vers les profondeurs de la falaise était exaltante. À présent, elle signifiait seulement que Taliyah était prise au piège. Si elle courait, la bête la rattraperait en un instant. Taliyah déglutit, essayant de contrôler la terreur qui montait en elle. Elle cala une pierre dans sa fronde et commença à la faire tournoyer.
« Va-t'en ! » s'exclama-t-elle. Sa voix ne trahissait pas sa peur.
Le lion approcha d'un pas supplémentaire. La jeune fille propulsa son projectile. La pierre vola et frappa la bête près de la crinière ; la fourrure amortit l'impact. L'animal grogna de mécontentement et Taliyah n'arrivait plus à distinguer son rauquement grave des pulsations frénétiques de son cœur.
La jeune fille plaça une autre pierre dans la fronde.
« Pars ! » hurla-t-elle en simulant plus de courage qu'elle n'en avait. « Je t'ai dit de t'en aller ! »
Taliyah lança la pierre suivante.
Le grognement affamé du prédateur ne fit que gagner en intensité. L'oiseau posé sur le pin, effrayé de la tournure des événements, sautilla un moment de branche en branche et finit par prendre son envol.
Taliyah s'empara de la dernière pierre encore dans sa poche. Ses mains tremblaient de froid et de peur. Le galet lui échappa et tomba au sol, avant de rouler loin d'elle. Elle releva les yeux vers l'animal. Le lion, la tête dodelinant entre ses solides épaules, avança de nouveau dans sa direction. La pierre de jet était hors de portée.
Tu récoltes tes pierres à la main ? Les propos de l'homme retentissaient dans son esprit. Il y avait peut-être une autre solution. Taliyah essaya d'atteindre le caillou par la force de sa volonté. La petite pierre frémit, mais il y eut aussi un tremblement du sol, sous ses pieds.
La branche que l'oiseau avait quittée s'agitait toujours non loin d'elle. La confiance d'un oiseau n'est pas la branche sous ses pieds. Le choix était clair : elle pouvait rester paralysée par ses doutes et laisser le fauve la démembrer ou accepter son pouvoir.
Taliyah, gamine élevée dans un désert bien loin des sommets enneigés d'Ionia, n'avait rien à quoi se raccrocher, sinon l'image de l'oiseau et de la branche vide. Un instant, cette vision lui fit oublier la mort imminente. La solitude qui la hantait s'évanouit et fut remplacée par le souvenir de sa dernière danse dans le sable. Elle ressentit autour d'elle la présence de sa mère, de son père, de Babajan, de toute la tribu. La promesse murmurée de revenir vers eux quand elle maîtriserait ses pouvoirs lui revint en mémoire.
Elle soutint le regard du lion. « J'ai déjà trop donné pour accepter que tu me prennes le reste. »
La pierre, sous elle, commença à se déformer. Elle accepta la chaleur de ce dernier contact et bondit.
Un grondement monta sous elle, plus puissant que le rugissement de la bête. Le lion essaya de faire marche arrière, mais il était déjà trop tard. Le sol se fendit sous ses pattes et se désagrégea en un gravier mouvant, précipitant le prédateur dans le vide.
Un bref moment, Taliyah resta suspendue au-dessus du fantastique éboulement. Sous elle, le roc continuait à se disloquer en milliers de petits morceaux, plus assez solides pour être contrôlés. Elle comprenait avoir atteint les limites de son pouvoir de destruction. Inévitablement, la chute commença pour elle aussi. Mais, à sa stupeur, elle se sentit soulevée par un vent puissant. Des doigts solides comme l'acier agrippèrent le col de son manteau.
« Je ne savais pas que tu envisageais sérieusement de faire s'écrouler la montagne, petit oiselet. » Avec un grognement, l'homme attira Taliyah jusqu'au nouveau rebord de la falaise. « Maintenant, je comprends pourquoi ton désert est si plat. »
Un rire monta du plus profond d'elle. La voix moralisatrice avait finalement quelque chose d'apaisant. Taliyah se redressa sur la crête. Elle s'épousseta, récupéra les lièvres abandonnés par le lion et repartit avec l'homme en direction de la grotte.
« La raison pour laquelle on choisit son chemin ? J'ai quitté mon peuple, ma famille, pour les protéger de moi. »
Elle s'arrêta. Elle était entourée par un silence qui ne paraissait pas naturel. Tout le petit gibier avait disparu depuis longtemps en l'entendant approcher sans se cacher. Ne voyant aucun danger dans la jeune fille, le petit oiseau avait un temps continué de frapper le tronc de l'arbre. Mais même lui n'émettait plus un bruit.
Taliyah se redressa précautionneusement. Dans sa rage, elle s'était éloignée davantage qu'elle n'en avait eu l'intention. Elle était attirée par la pierre davantage que par le bois et elle avait suivi machinalement une crête jusqu'à se retrouver au sommet d'une falaise rocheuse. Elle ne pensait pas que l'homme la suivrait, pourtant elle sentit que quelqu'un l'observait.
« Encore des leçons ? » demanda-t-elle sans aménité.
En réponse, elle ne perçut qu'un feulement sourd qui vibra jusque dans sa cage thoracique.
Elle glissa une main dans son manteau et de l'autre chercha sa fronde. Trois pierres s'entrechoquaient dans sa poche. Elle ferma son poing sur l'une d'elles, au moment où le roulement du gravier indiquait que l'on bougeait derrière elle.
Taliyah se retourna. Avançant souplement au milieu des rocs, un grand lion des neiges ionien marchait dans sa direction.
Sans même avoir à se redresser sur ses pattes arrière, il la surplombait. Sa longueur semblait faire le double de la taille de Taliyah, une courte crinière ivoire recouvrait les puissantes épaules de la bête. Le lion regardait la jeune fille. Il lâcha les deux lièvres fraîchement tués qu'il tenait dans la gueule et elle vit que le sang maculait des canines plus larges que son bras.
Une seconde plus tôt, la vue plongeante vers les profondeurs de la falaise était exaltante. À présent, elle signifiait seulement que Taliyah était prise au piège. Si elle courait, la bête la rattraperait en un instant. Taliyah déglutit, essayant de contrôler la terreur qui montait en elle. Elle cala une pierre dans sa fronde et commença à la faire tournoyer.
« Va-t'en ! » s'exclama-t-elle. Sa voix ne trahissait pas sa peur.
Le lion approcha d'un pas supplémentaire. La jeune fille propulsa son projectile. La pierre vola et frappa la bête près de la crinière ; la fourrure amortit l'impact. L'animal grogna de mécontentement et Taliyah n'arrivait plus à distinguer son rauquement grave des pulsations frénétiques de son cœur.
La jeune fille plaça une autre pierre dans la fronde.
« Pars ! » hurla-t-elle en simulant plus de courage qu'elle n'en avait. « Je t'ai dit de t'en aller ! »
Taliyah lança la pierre suivante.
Le grognement affamé du prédateur ne fit que gagner en intensité. L'oiseau posé sur le pin, effrayé de la tournure des événements, sautilla un moment de branche en branche et finit par prendre son envol.
Taliyah s'empara de la dernière pierre encore dans sa poche. Ses mains tremblaient de froid et de peur. Le galet lui échappa et tomba au sol, avant de rouler loin d'elle. Elle releva les yeux vers l'animal. Le lion, la tête dodelinant entre ses solides épaules, avança de nouveau dans sa direction. La pierre de jet était hors de portée.
Tu récoltes tes pierres à la main ? Les propos de l'homme retentissaient dans son esprit. Il y avait peut-être une autre solution. Taliyah essaya d'atteindre le caillou par la force de sa volonté. La petite pierre frémit, mais il y eut aussi un tremblement du sol, sous ses pieds.
La branche que l'oiseau avait quittée s'agitait toujours non loin d'elle. La confiance d'un oiseau n'est pas la branche sous ses pieds. Le choix était clair : elle pouvait rester paralysée par ses doutes et laisser le fauve la démembrer ou accepter son pouvoir.
Taliyah, gamine élevée dans un désert bien loin des sommets enneigés d'Ionia, n'avait rien à quoi se raccrocher, sinon l'image de l'oiseau et de la branche vide. Un instant, cette vision lui fit oublier la mort imminente. La solitude qui la hantait s'évanouit et fut remplacée par le souvenir de sa dernière danse dans le sable. Elle ressentit autour d'elle la présence de sa mère, de son père, de Babajan, de toute la tribu. La promesse murmurée de revenir vers eux quand elle maîtriserait ses pouvoirs lui revint en mémoire.
Elle soutint le regard du lion. « J'ai déjà trop donné pour accepter que tu me prennes le reste. »
La pierre, sous elle, commença à se déformer. Elle accepta la chaleur de ce dernier contact et bondit.
Un grondement monta sous elle, plus puissant que le rugissement de la bête. Le lion essaya de faire marche arrière, mais il était déjà trop tard. Le sol se fendit sous ses pattes et se désagrégea en un gravier mouvant, précipitant le prédateur dans le vide.
Un bref moment, Taliyah resta suspendue au-dessus du fantastique éboulement. Sous elle, le roc continuait à se disloquer en milliers de petits morceaux, plus assez solides pour être contrôlés. Elle comprenait avoir atteint les limites de son pouvoir de destruction. Inévitablement, la chute commença pour elle aussi. Mais, à sa stupeur, elle se sentit soulevée par un vent puissant. Des doigts solides comme l'acier agrippèrent le col de son manteau.
« Je ne savais pas que tu envisageais sérieusement de faire s'écrouler la montagne, petit oiselet. » Avec un grognement, l'homme attira Taliyah jusqu'au nouveau rebord de la falaise. « Maintenant, je comprends pourquoi ton désert est si plat. »
Un rire monta du plus profond d'elle. La voix moralisatrice avait finalement quelque chose d'apaisant. Taliyah se redressa sur la crête. Elle s'épousseta, récupéra les lièvres abandonnés par le lion et repartit avec l'homme en direction de la grotte.
Taliyah se mordit la lèvre inférieure. Surexcitée, elle détaillait chaque recoin de l'auberge. La nuit était presque tombée et les clients se montraient peu nombreux aux tables de bois. Mais elle avait si peu de contacts avec les gens, et depuis si longtemps... Elle jeta un coup d'œil à son sinistre compagnon, qui avait insisté pour s'installer dans l'angle le plus reculé de la salle. On ne pouvait pas qualifier de « contact » l'homme qui était devenu son professeur. Depuis qu'il avait accepté ce repas dans l'auberge reculée, il n'offrait en guise de camaraderie qu'un air renfrogné.
Quand il eut la certitude que personne ici ne le connaissait, il se détendit un peu et s'enfonça dans la pénombre de l'alcôve, le dos au mur, sa chope à la main. Plus rien ne le distrayant, il se concentra de nouveau sur la jeune fille.
« Tu dois être attentive », dit-il. « Tu ne peux pas te permettre d'hésiter. »
Taliyah observa les feuilles qui tournaient au fond de sa tasse. La leçon du jour avait été difficile. Elle ne s'était pas bien passée. Ils avaient tous les deux fini couverts de poussière de roche.
« Le danger survient quand ton attention se disperse », expliqua l'homme.
« Je pourrais blesser quelqu'un », dit-elle, observant la nouvelle déchirure dans la capuche de son maître. Ses propres vêtements n'en étaient pas non plus sortis indemnes. Elle jeta un bref regard à son nouveau manteau et à sa nouvelle jupe de voyage. La femme de l'aubergiste avait eu pitié d'elle et lui avait offert ce qu'elle avait sous la main, de vieilles frusques abandonnées par de précédents clients. Elle allait devoir s'habituer aux manches longues de style ionien, mais le tissu était solide. Elle avait tout de même conservé sa tunique simple, usée jusqu'à la trame, mais dernier souvenir qui lui restait encore de sa terre natale.
« Rien n'a été brisé qui ne puisse être réparé. L'entraînement enseigne le contrôle. Tu peux faire beaucoup mieux que ça. Souviens-toi, tu as fait de gros progrès. »
« Mais... Si j'échoue ? » demanda-t-elle.
Le regard de l'homme se détourna vers la porte de l'auberge, qui venait de s'ouvrir. Deux marchands entrèrent, battant des pieds pour en secouer la poussière de la route. Le tenancier leur désigna les tables proches de Taliyah et de son mentor. L'un des marchands s'approcha tandis que l'autre attendait sa chope.
« Tout le monde échoue », dit le compagnon de Taliyah. Une ombre de frustration passa sur le visage de l'homme, dont les expressions étaient d'ordinaire parfaitement contrôlées. « L'échec n'est qu'un instant situé dans le temps. Continue et il passera. »
Un des marchands s'assit à une table proche et regarda Taliyah, ses yeux se posant tour à tour sur la lavande de sa tunique et sur le mélange d'or et de pierre de ses cheveux.
« Cela vient-il de Shurima, jeune fille ? »
Taliyah fit de son mieux pour ignorer la remarque. Le marchand surprit le regard protecteur de son compagnon et se mit à rire.
« Il fut un temps où cela aurait été rare », affirma-t-il.
La fille gardait les yeux baissés sur ses mains.
« Ces objets sont plus fréquents depuis la renaissance de la cité perdue de ton peuple. »
Taliyah releva la tête. « Quoi ? »
« Enfin, d'après ce qu'on dit, les fleuves coulent en sens inverse, aussi, alors... » Le marchand sourit pour montrer qu'il n'était pas dupe des superstitions absurdes de ces peuples lointains et arriérés. « Tout ça parce que votre dieu-oiseau est sorti de son tombeau. »
« Peu importe qui il est. C'est de toute façon mauvais pour le commerce. » Le second marchand venait de rejoindre le premier. « On dit qu'il a pour but de rassembler son peuple. Ses esclaves doivent lui manquer. »
« C'est une bonne chose pour toi que tu sois ici et pas là-bas, jeune fille », ajouta le premier marchand.
Son camarade reposa sa bière, remarquant pour la première fois le compagnon de Taliyah. « Ton visage me dit quelque chose. Je t'ai déjà vu quelque part. »
La porte de l'auberge s'ouvrit de nouveau. Un groupe de gardes entra, semblant chercher quelque chose dans la pièce. Celui du milieu, un officier sans doute, remarquèrent la jeune fille et son compagnon. Taliyah sentit la panique monter rapidement dans la pièce et les clients épars se levèrent pour se précipiter vers la sortie. Même les marchands quittèrent vivement les lieux.
L'officier avança en écartant du pied les tabourets devant lui. Il s'arrêta à une lame de distance de la table où la jeune fille et son maître étaient assis.
« Assassin ! » s'écria-t-il.
« C'est donc ici que tu te cachais », dit l'officier. « Savoure ton verre. Ce sera le dernier. »
Taliyah bondit sur ses pieds en entendant à côté d'elle le murmure de l'acier qu'on extrait de son fourreau. Son professeur regardait la salle remplie de gardes.
« Cet homme, Yasuo, est coupable d'avoir assassiné l'Ancien d'un village ! » cracha l'officier. « Son crime est passible de la peine de mort. Sentence exécutoire à vue. »
L'un des gardes leva une arbalète chargée. Un autre encocha une flèche dans un arc long aussi haut que la jeune fille.
« Vous voulez me tuer ? » demanda Yasuo. « Vous pouvez essayer. »
« Attendez ! » hurla Taliyah. Mais avant que le mot n'ait achevé de franchir ses lèvres, elle entendit la détente de la corde de l'arc. Dans la seconde qui suivit, le vent se leva dans l'auberge. Il jaillit en rafales de derrière l'homme qui se tenait à côté de la jeune fille, balayant les verres et les assiettes abandonnés sur les tables, atteignit la flèche et la brisa dans sa trajectoire. Les morceaux tombèrent au sol dans un bruit sec.
D'autres gardes approchèrent, tirant leurs épées des fourreaux. Taliyah leva un champ de pierres aiguisées, arrachant chaque roc au sol dans une violente explosion pour tenir les hommes éloignés.
Yasuo se faufila à travers la foule des soldats encagés dans la pièce. Ils brandissaient leurs armes, essayant vainement de parer l'épée qui volait autour d'eux comme la foudre. Trop tard. La lame de Yasuo traversait le corps des soldats en laissant derrière elle des rubans de sang tourbillonnant. Lorsque tous ceux qui étaient venus pour l'arrêter furent morts, Yasuo s'arrêta, le souffle lourd et ardent. Son regard croisa celui de la jeune fille et il ouvrit la bouche.
Taliyah leva la main en avertissement. Dans son dos, l'officier se relevait, les yeux fous et le sourire figé. Il leva son épée à deux mains, les phalanges blanches sur le pommeau rougi de sang.
« Éloigne-toi de lui ! » Taliyah se concentra sur le sol de l'auberge : les dalles plates jaillirent, propulsant l'officier.
Il n'eut pas le temps de retomber que Yasuo lui transperçait la poitrine de trois coups rapides. Le corps tomba et s'immobilisa au sol.
Des hurlements se firent entendre à l'extérieur. « Nous devons partir. Maintenant ! » Yasuo regarda la jeune fille. « Tu en es capable. N'hésite pas. »
Taliyah approuva de la tête. Le sol trembla, faisant vibrer les murs jusqu'au plafond. La jeune fille essaya de contenir la puissance qu'elle sentait grandir sous le sol de l'auberge. Une vision traversa son esprit. Sa mère, cousant un vêtement, fredonnant pour elle-même, ses doigts maniant l'aiguille si vite qu'ils n'étaient plus qu'un mouvement flou.
La pierre placée sous le bâtiment fusa pour constituer de grands arcs. Des colonnes de pierre surgissaient du sol et y rentraient comme une vague. Taliyah sentit la terre se soulever, la portant vers la nuit noire, suivie par les rafales de Yasuo.
Yasuo regarda l'auberge désormais distante. Les obstacles rocheux avaient clôturé la route et empêchaient toute approche. Ils avaient pris un peu d'avance, mais l'aube n'était pas loin. Et avec le jour, d'autres hommes se lanceraient à leur poursuite. À sa poursuite.
« Ils te connaissaient. » La voix de Taliyah était douce. « Yasuo. » Elle insista sur le dernier mot.
« Nous devons continuer de nous éloigner. »
« Ils voulaient te tuer. »
Yasuo souffla. « Beaucoup de gens veulent me tuer. Et maintenant, ils vont vouloir te tuer aussi. Si cela t'importe, ils m'ont accusé d'un crime que je n'ai pas commis. »
« Je sais. »
Yasuo n'était pas le nom qu'il lui avait confié, mais cela n'avait pas d'importance. Elle ne l'avait pas interrogé sur son passé au cours de leurs voyages. En vérité, elle ne lui avait rien demandé que de l'enseigner. Elle regardait son mentor avec une confiance qui lui était presque douloureuse. Peut-être davantage que si elle l'avait cru coupable. Il se détourna et commença à s'éloigner d'elle.
« Où vas-tu ? Shurima est à l'ouest. » Il y avait de l'étonnement dans la voix de la jeune fille.
Yasuo ne se retourna pas pour la regarder. « Je n'ai rien à faire à Shurima. Et toi non plus. Pas encore. » Ses mots étaient froids et mesurés, comme s'il se durcissait contre une tempête à venir.
« Tu as entendu les marchands. La cité perdue est en pleine renaissance. »
« Ce ne sont que des contes pour effrayer les marchands et faire monter le prix du lin », dit-il.
« Et si un dieu vivant marche vraiment sur le sable ? Tu ne sais pas ce que cela veut dire. Il va vouloir reprendre ce qu'il a perdu. Les peuples qui le servaient autrefois, les tribus... » La voix de Taliyah vibrait des émotions cumulées de la nuit, ses mots bouillonnaient. Elle avait voyagé très loin pour protéger les siens et maintenant qu'ils avaient besoin d'elle, elle était à un monde de distance. Elle tendit la main pour lui prendre le bras, voulant ardemment qu'il écoute, qu'il comprenne.
« Il réduira en esclavage ma famille. » L'écho des rochers répercuta sa phrase. « Je dois les protéger. Tu ne saisis pas ça ? »
Le vent se leva dans un tourbillon de poussière : les cheveux de Yasuo lui giflaient les joues.
« Les protéger », dit-il d'un timbre à peine plus puissant qu'un murmure. « Ta Grande Tisseuse ne va-t-elle pas veiller sur eux ? » Il desserrait à peine les dents pour parler. L'homme qui était son professeur tourna vers elle des yeux si brillants de colère, si vibrants d'émotion qu'elle en fut stupéfaite. « Ton entraînement n'est pas terminé. Tu risques ta vie en retournant les voir. »
Elle lui fit face.
« Ils méritent que je risque ma vie pour eux. »
Le vent tourbillonnait autour d'eux, mais la jeune fille restait imperturbable. Yasuo soupira longuement et regarda dans la direction de l'est. Une première lueur éclairait le bleu noir de la nuit. Les dernières rafales se calmèrent.
« Tu pourrais venir avec moi », dit-elle.
Les traits durs de l'homme se détendirent. « Il paraît que l'hydromel du désert est bon », dit-il. Une brise douce fit bouffer les cheveux de la jeune fille. Puis ce moment de douceur s'enfuit, remplacé, de nouveau, par la dureté des souvenirs. « Mais je n'en ai pas encore fini à Ionia. »
Taliyah l'observa attentivement puis plongea la main dans sa tunique, rompant un long fil de laine. Elle l'offrit à son mentor. Yasuo lui lança un regard soupçonneux.
« C'est une tradition de mon peuple, pour remercier quelqu'un », expliqua Taliyah. « Donner un morceau de soi, c'est ne pas être oublié. »
L'homme prit le fil avec précaution et attacha ses cheveux fous avec. Il pesa longuement ses mots suivants.
« Suis ce chemin jusqu'au fleuve, puis suis le fleuve jusqu'à la mer », dit-il, faisant un geste vers une ancienne trouée de cerfs. « Tu y rencontreras une pêcheuse qui y vit solitaire. Dis-lui que tu souhaites voir Freljord. Donne-lui ceci. »
L'homme tira une graine d'érable sèche d'un sac de cuir à sa ceinture et la plaça dans la main de la jeune fille.
« Dans le nord glacial existe un peuple qui résiste au joug noxien. Chez eux, tu trouveras le moyen de retourner à tes terres de sable. »
« Qu'y a-t-il, dans ce… Freljord ? » demanda-t-elle, éprouvant pour la première fois de sa vie la sonorité de ces syllabes.
« De la glace », répondit-il. « Et de la pierre », ajouta-t-il avec un clin d'œil.
Elle sourit à son tour.
« Tu te déplaceras rapidement aussi longtemps que tu arpenteras la montagne. Utilise ton pouvoir. Création. Destruction. Accepte-les. Intégralement. Tes ailes t'ont portée déjà loin. Elles te conduiront peut-être jusque chez toi. »
Taliyah regarda le chemin qui conduisait vers le fleuve. Elle espérait que sa tribu était à l'abri. Peut-être s'était-elle trompée, tout ce temps, en s'imaginant être le danger. Si ses proches la voyaient à présent, que penseraient-ils ? La reconnaîtraient-ils ? Babajan disait que, quelle que soit la couleur du fil, quelle que soit son épaisseur sur le rouet, une partie de la laine reste toujours ce qu'elle était au départ. Taliyah s'en souvenait et y trouvait du réconfort.
« Je suis sûr que tu sauras trouver l'équilibre juste. Que ton voyage soit sûr, petit oiselet. »
Taliyah tourna le visage vers son compagnon, mais il était déjà parti. Le seul signe témoignant qu'il avait été là, c'étaient les quelques brins d'herbe qui s'agitaient encore dans l'air du matin.
« Je suis sûre que la Grande Tisseuse a aussi des projets pour toi », murmura-t-elle.
Taliyah rangea soigneusement la graine dans une poche de son manteau et s'engagea sur le chemin du fleuve, la pierre sous ses bottes se soulevant pour l'emporter.