Le 4ème et dernier de l'histoire ombre et fortune a été publié par Riot ! Il n'y en avait en effet que 4 de prévu, et celui que vous allez lire aujourd'hui sera donc le dernier. Cependant, nous devrions avoir des nouvelles du contenu pour Halloween la semaine prochaine...
Chapitre 4
Elle n'est pas morte, Étranges compagnons, En route de nouveau
I
L'extrémité du pont se noyait dans l'épaisseur d'une lumière verte. Le Garde aux chaines cachait ses traits sous une capuche en loques, mais la lumière de sa lanterne éclairait des restes de chair mangée, dénuée de toute émotion autre que le sadisme.
Il se déplaçait doucement, comme tous ceux de son espèce, dans un sillage de plaintes douloureuses qui semblaient générées par ses vêtements. Thresh leva la tête, juste assez pour que Lucian aperçoive des dents acérées dans un sourire impatient.
« Mortel... » dit Thresh, savourant le mot comme une friandise.
Lucian s'agenouilla, récita le mantra de la clarté afin de fortifier son âme pour le combat. Il s'était préparé mille fois pour ce moment et, maintenant que l'heure était venue, ses paumes étaient moites.
« Tu as assassiné Senna », dit-il en se relevant. « La seule personne qui me restait au monde. »
« Senna...? » demanda Thresh d'une voix râpeuse et désincarnée, comme arrachée à la trachée d'un pendu écrasée par le nœud coulant de la corde.
« Ma femme », dit Lucian, sachant qu'il aurait dû se taire, que chaque mot était une arme que le spectre retournerait contre lui. Les larmes brouillèrent sa vision tandis que la douleur détruisait en lui toute logique et toute préparation rationnelle au combat. Il prit en main le médaillon d'argent et l'ouvrit, car il voulait que le spectre comprît la profondeur de ce qu'il avait perdu.
Thresh sourit, ses crocs luisant tandis qu'il tapotait le verre de sa lanterne d'un ongle jaunâtre.
« Je me souviens d'elle », dit-il. « Une âme pleine d'énergie vitale. Pas encore stérile ni froide. Destinée aux tourments. Espérant une nouvelle vie. Sa vie perdure en elle, tu sais. Fraîche, neuve, comme une fleur de printemps. Il est si facile de ruiner de telles âmes, rêveuses. »
Lucian leva ses pistolets.
« Si tu te souviens d'elle, alors tu te souviendras de ces deux-là aussi », dit-il.
Le sourire de Thresh s'éteignit sous l'ombre jetée par la capuche.
« Les armes de lumière », dit-il.
« Et la lumière est le fléau des ténèbres », dit Lucian, canalisant dans ses armes jusqu'à la moindre particule de sa haine.
« Attends ! » dit Thresh ; mais pour Lucian le temps de l'attente avait pris fin.
Il tira deux coups aveuglants.
Une déflagration de feu purificateur engloutit le Garde aux chaînes et ses hurlements furent aux oreilles de Lucian la plus douce des mélodies.
Puis les hurlements se changèrent en rire.
Un nimbe de lumière obscure s'évanouit autour de Thresh et regagna l'abri de la lanterne, découvrant le spectre indemne.
Lucian tira de nouveau une tempête de munitions irradiantes, chacune parfaitement ajustée, et toutes furent absorbées par un nouveau nimbe. Les balles se dissipaient contre l'énergie noire qui émanait de la lanterne.
« Oui, je me souviens de ces armes », dit Thresh. « J'ai arraché ses secrets à l'esprit de ta femme. »
Lucian se pétrifia.
« Qu'est-ce que tu viens de dire ? »
Thresh éclata d'un rire stertoreux.
« Tu l'ignores donc ? Après tout ce que l'ordre de la renaissance a appris de moi, tu ne t'es jamais douté de rien ? »
Lucian sentit une coulée glaciale envahir ses entrailles. Un sentiment d'horreur qu'il avait toujours combattu par peur de devenir fou.
« Elle n'est pas morte », continua Thresh en levant sa lanterne.
Lucian vit des âmes torturées s'agiter dans ses profondeurs.
Thresh sourit. « Je lui ai arraché son âme et je l'ai conservée. »
« Non... » dit Lucian. « Je l'ai vue mourir. »
« Elle hurle toujours dans ma lanterne », dit Thresh, approchant davantage à chaque mot. « Chaque moment de son existence est une douleur exquise. Écoute... Ne l'entends-tu pas ? »
« Non ! » sanglota Lucian, laissant choir ses pistolets sur la pierre du pont.
Thresh le prit dans le cercle des chaînes qui surgirent de sa ceinture de cuir. Les crochets tailladèrent son vêtement, cherchant à atteindre, dessous, la tendre chair.
« L'espoir était sa faiblesse. L'amour fut sa chute. »
Lucian leva les yeux vers les traits ravagés de Thresh.
Ses orbites étaient vides, des trous noirs.
Quoi que Thresh ait été lorsqu'il était en vie, il n'en restait rien. Ni compassion, ni pitié, ni humanité.
« Tout n'est que mort et souffrances, mortel », dit le Garde aux chaînes, approchant la main du cou de Lucian. « Où que l'on cherche à fuir, le seul héritage est la mort. Mais avant la mort, il y a moi. »
Il se déplaçait doucement, comme tous ceux de son espèce, dans un sillage de plaintes douloureuses qui semblaient générées par ses vêtements. Thresh leva la tête, juste assez pour que Lucian aperçoive des dents acérées dans un sourire impatient.
« Mortel... » dit Thresh, savourant le mot comme une friandise.
Lucian s'agenouilla, récita le mantra de la clarté afin de fortifier son âme pour le combat. Il s'était préparé mille fois pour ce moment et, maintenant que l'heure était venue, ses paumes étaient moites.
« Tu as assassiné Senna », dit-il en se relevant. « La seule personne qui me restait au monde. »
« Senna...? » demanda Thresh d'une voix râpeuse et désincarnée, comme arrachée à la trachée d'un pendu écrasée par le nœud coulant de la corde.
« Ma femme », dit Lucian, sachant qu'il aurait dû se taire, que chaque mot était une arme que le spectre retournerait contre lui. Les larmes brouillèrent sa vision tandis que la douleur détruisait en lui toute logique et toute préparation rationnelle au combat. Il prit en main le médaillon d'argent et l'ouvrit, car il voulait que le spectre comprît la profondeur de ce qu'il avait perdu.
Thresh sourit, ses crocs luisant tandis qu'il tapotait le verre de sa lanterne d'un ongle jaunâtre.
« Je me souviens d'elle », dit-il. « Une âme pleine d'énergie vitale. Pas encore stérile ni froide. Destinée aux tourments. Espérant une nouvelle vie. Sa vie perdure en elle, tu sais. Fraîche, neuve, comme une fleur de printemps. Il est si facile de ruiner de telles âmes, rêveuses. »
Lucian leva ses pistolets.
« Si tu te souviens d'elle, alors tu te souviendras de ces deux-là aussi », dit-il.
Le sourire de Thresh s'éteignit sous l'ombre jetée par la capuche.
« Les armes de lumière », dit-il.
« Et la lumière est le fléau des ténèbres », dit Lucian, canalisant dans ses armes jusqu'à la moindre particule de sa haine.
« Attends ! » dit Thresh ; mais pour Lucian le temps de l'attente avait pris fin.
Il tira deux coups aveuglants.
Une déflagration de feu purificateur engloutit le Garde aux chaînes et ses hurlements furent aux oreilles de Lucian la plus douce des mélodies.
Puis les hurlements se changèrent en rire.
Un nimbe de lumière obscure s'évanouit autour de Thresh et regagna l'abri de la lanterne, découvrant le spectre indemne.
Lucian tira de nouveau une tempête de munitions irradiantes, chacune parfaitement ajustée, et toutes furent absorbées par un nouveau nimbe. Les balles se dissipaient contre l'énergie noire qui émanait de la lanterne.
« Oui, je me souviens de ces armes », dit Thresh. « J'ai arraché ses secrets à l'esprit de ta femme. »
Lucian se pétrifia.
« Qu'est-ce que tu viens de dire ? »
Thresh éclata d'un rire stertoreux.
« Tu l'ignores donc ? Après tout ce que l'ordre de la renaissance a appris de moi, tu ne t'es jamais douté de rien ? »
Lucian sentit une coulée glaciale envahir ses entrailles. Un sentiment d'horreur qu'il avait toujours combattu par peur de devenir fou.
« Elle n'est pas morte », continua Thresh en levant sa lanterne.
Lucian vit des âmes torturées s'agiter dans ses profondeurs.
Thresh sourit. « Je lui ai arraché son âme et je l'ai conservée. »
« Non... » dit Lucian. « Je l'ai vue mourir. »
« Elle hurle toujours dans ma lanterne », dit Thresh, approchant davantage à chaque mot. « Chaque moment de son existence est une douleur exquise. Écoute... Ne l'entends-tu pas ? »
« Non ! » sanglota Lucian, laissant choir ses pistolets sur la pierre du pont.
Thresh le prit dans le cercle des chaînes qui surgirent de sa ceinture de cuir. Les crochets tailladèrent son vêtement, cherchant à atteindre, dessous, la tendre chair.
« L'espoir était sa faiblesse. L'amour fut sa chute. »
Lucian leva les yeux vers les traits ravagés de Thresh.
Ses orbites étaient vides, des trous noirs.
Quoi que Thresh ait été lorsqu'il était en vie, il n'en restait rien. Ni compassion, ni pitié, ni humanité.
« Tout n'est que mort et souffrances, mortel », dit le Garde aux chaînes, approchant la main du cou de Lucian. « Où que l'on cherche à fuir, le seul héritage est la mort. Mais avant la mort, il y a moi. »
II
Miss Fortune courait vers le temple, les tempes battantes. Ses poumons cherchaient désespérément à capter un souffle d'air et ses veines lui paraissaient glaciales. Des filaments de brume atteignaient le roc du temple, attirés par la présence des deux seigneurs de la non-mort. D'aveuglants éclairs de lumière trouèrent la nuit derrière elle, mais elle ne se retourna pas pour regarder. Elle entendit le tonnerre de sabots battant la pierre, soulevant des étincelles dans les ténèbres.
Elle imagina le souffle des destriers spectraux sur sa nuque.
À tout instant, elle s'attendait à sentir entre ses omoplates l'entaille d'un fer de lance.
Une minute, comment peuvent-ils faire des étincelles alors que ce sont des fantômes ?
L'absurdité de cette idée la fit rire, et elle riait toujours quand elle commença à marteler les portes de bois du temple. Rafen et ses compagnons étaient déjà là, frappant les battants du poing et de la paume.
« Au nom de la Grande Barbue, laissez-nous entrer ! »
Rafen jeta un coup d'œil à Miss Fortune.
« Les portes sont closes », expliqua-t-il.
« J'avais remarqué », répondit-elle, la main nerveusement fermée sur le pendentif qu'Illaoi lui avait donné. Elle plaça sa paume à plat sur la porte, le corail appuyant dur contre le bois.
« Illaoi ! » hurla-t-elle. « Je suis prête à marcher sur la nuque de ce satané brochet. Maintenant, ouvre cette saleté de porte ! »
« Un brochet ? » demanda Rafen. « Quel brochet ? De quoi est-ce que vous parlez ? »
« Oublie ça », fit-elle en tambourinant contre le bois à s'en ensanglanter les jointures. « Je pense que c'était une métaphore. »
La porte s'ouvrit brusquement comme si rien ne la verrouillait. Miss Fortune se recula pour laisser entrer ses hommes en premier et en profita enfin pour se retourner.
Hecarim se cabra et leva son glaive de feu dans l'intention de l'abattre sur son crâne.
Une main agrippa sa nuque et la tira vers l'arrière. La pointe de l'arme fendit l'air à un pouce de sa gorge.
Elle chuta lourdement sur le dos.
Illaoi se tenait sur le seuil, tenant son idole de pierre devant elle comme un bouclier. Une brume blanche lui faisait un halo.
« Les morts ne sont pas les bienvenus ici ! » dit-elle.
Rafen et les autres s'arc-boutèrent pour refermer la porte et un lourd madrier de chêne retomba sur les ancres rouillées, de part et d'autre de la porte. Un bruit assourdissant retentit contre les battants.
Le bois crépita dans une gerbe d'échardes.
Illaoi fit demi-tour et passa Miss Fortune, toujours étalée sur un sol où argile et coquillages formaient une mosaïque.
« Il t'en a fallu du temps, ma fille », dit-elle tandis que Miss Fortune se relevait. Le temple abritait au moins deux cents personnes, peut-être davantage. Tous les habitants de Bilgewater étaient représentés: Les indigènes, les pirates, les commerçants et les voyous des mers, sans compter les voyageurs assez infortunés ou téméraires pour aborder ces parages juste avant la Nuit de l'horreur.
« Est-ce que cette porte va tenir ? »
« Elle tiendra ou non », répondit Illaoi en se dirigeant vers une statue à multiples tentacules placée au centre du temple. Miss Fortune essaya de comprendre ce qu'elle représentait, mais elle renonça à donner un sens à ce tourbillon de spirales et de boucles.
« Ce n'est pas une réponse. »
« C'est la seule que j'ai », dit Illaoi en plaçant son idole dans une cavité de la statue. Elle commença à se déplacer en cercles autour de la statue, frappant en rythme ses cuisses et sa poitrine de ses poings. Les gens présents dans le temple se mêlèrent à ses cercles, frappant leur peau nue de leurs paumes, martelant le sol, parlant une langue que Miss Fortune ne comprenait pas.
« Qu'est-ce qu'ils font ? »
« Ils redonnent au monde un mouvement », dit Illaoi. « Mais il faut du temps pour cela. »
« Vous l'aurez », promit Miss Fortune.
III
Lucian laissa les crochets spectraux mordre profondément sa chair, plus froids que la glace du nord, bien plus mordants. La main du Garde aux chaînes se ferma sur sa gorge et sa peau brûla au contact du spectre. Il sentit que ses forces l'abandonnaient et que les battements de son cœur ralentissaient.
Thresh le souleva du sol et hissa sa lanterne, prêt à recevoir son âme. Les lumières gémissantes s'agitaient entre les parois de verre, dans un mélange de visages fantomatiques et de mains fébriles.
« J'ai longtemps cherché ton âme, chasseur d'ombres », dit Thresh. « Mais c'est maintenant seulement qu'elle est prête à être récoltée. »
La vision de Lucian s'obscurcit et il sentit son âme arrachée à ses os. Il résista de toutes ses forces, mais le Garde aux chaînes fauchait les âmes depuis des temps immémoriaux et nul ne connaissait son art mieux que lui.
« Combats davantage », dit Thresh avec un monstrueux appétit. « Plus une âme lutte, plus elle brûle d'une ardente lumière. »
Lucian essaya de parler, mais ce n'est pas une syllabe qui franchit ses lèvres, juste le souffle chaud qui transvasait son âme.
Une faux brillante flottait dans l'air au-dessus de Lucian, un collecteur d'âmes souillé par d'innombrables meurtres. La lame vibrait d'impatience.
Lucian...
Une voix. Sa voix.
Mon amour...
La lame de Thresh pivota, cherchant le meilleur angle pour séparer l'âme du corps.
Lucian retint son souffle en voyant un visage se dessiner sur le verre de la lanterne. Un visage parmi des milliers d'autres, mais un visage qui avait plus de raisons que les autres de se montrer.
Des lèvres pulpeuses, des yeux en amande, une figure qui l'implorait de vivre.
« Senna... » souffla Lucian.
Laisse-moi être ton bouclier.
Il comprit ce qu'elle voulait lui dire dans le temps d'un battement de cœur.
Le lien entre eux restait aussi fort qu'il l'était lorsqu'ils chassaient les créatures des ténèbres côte à côte.
Avec ses dernières forces, Lucian leva la main vers le médaillon autour de son cou. La chaîne brilla, plus blanche que la lumière lunaire.
Le Garde aux chaînes sentit que quelque chose n'allait pas et siffla de colère.
Lucian fut plus rapide que lui.
Il fit tournoyer la chaîne comme une fronde, mais au lieu de propulser un projectile, il accrocha le bras qui tenait la lanterne. Avant que Thresh n'ait pu s'en débarrasser, Lucian sortit le poinçon d'argent qu'un fourreau gardait sous son manteau et il le plongea dans le poignet du spectre.
Le Garde aux chaînes hurla de douleur, une sensation qu'il n'avait sans doute plus éprouvée depuis des millénaires. Il lâcha Lucian et se débattit violemment tandis que la myriade d'âmes enfermées dans sa lanterne trouvait enfin un moyen de se retourner contre leur tourmenteur.
Lucian sentit son âme revenir vigoureusement dans son corps et il avala de gigantesques goulées d'air frais, comme un homme qui a manqué de se noyer et ressurgit à la surface.
Vite, mon amour. Il est trop puissant...
Sa vue lui revint, plus claire que jamais. Lucian reprit ses pistolets au sol. Il entr'aperçut encore le visage de Senna dans la lanterne et en grava chaque trait dans sa mémoire.
Plus jamais il ne laisserait son souvenir s'effacer dans son esprit.
« Thresh ! » dit-il, visant de ses deux pistolets.
Le Garde aux chaînes regarda dans sa direction, le vide de ses orbites incendié de rage devant la rébellion de ses âmes captives. Il plongea son regard dans celui de Lucian et leva sa lanterne, mais les âmes révoltées avaient dissipé la protection qu'elle lui offrait jusque-là.
Lucian tira une série de projectiles parfaitement ciblés.
Ils traversèrent, incandescents, la robe spectrale du Garde aux chaînes et enflammèrent sa forme spirituelle dans un tourbillon de lumière. Lucian marcha vers Thresh, tirant sans arrêt avec ses armes jumelles.
Hurlant de douleur, le Garde aux chaînes recula devant le barrage de feu de Lucian, sa forme fantomatique incapable de résister au pouvoir antique de ces pistolets.
« La mort est là pour toi », dit Lucian. « Accueille-la, et ne crains rien : je ferai en sorte que tout pour toi finisse ici. »
Thresh hurla une dernière fois avant de sauter du pont, chutant comme une comète en flammes sur la ville, loin au-dessous.
Lucian le regarda tomber jusqu'à ce que la Brume noire l'ait avalé.
Il se laissa tomber à genoux.
« Merci, mon amour », dit Lucian. « Ma lumière. »
IV
Les murs du temple tremblaient sous la violence de l'assaut. La Brume noire s'infiltrait par les ouvertures des planches mal ajustées et les fissures dans le verre des fenêtres. La porte était secouée dans son cadre. Des griffes de brouillard semblaient vouloir arracher le bois. Des hurlements se répondaient dans les puissantes rafales qui ébranlaient les poutres de la toiture.
« Par ici ! » cria Miss Fortune tandis qu'une horde de créatures aux yeux rouges s'engouffraient entre les planches disjointes d'un mur bâti avec de vieux coffres à thé ioniens.
Elle bondit parmi les spectres. C'était comme plonger nue dans le trou de pêche ouvert au piolet dans un lac gelé. Même le plus rapide contact avec les morts aspirait chaleur et vie.
Le pendentif de corail était chaud contre sa peau.
Elle tranchait de son sabre les créatures. Ses balles étaient peut-être inutiles contre les morts, mais la lame de Demacia les faisait souffrir. Elles reculaient devant elle, crissant et grinçant.
Les morts peuvent-ils avoir peur ?
Apparemment, ils avaient peur, car ils fuyaient le fil brillant du sabre. Elle ne les laissait pas s'échapper, frappant la brume de taille et d'estoc partout où elle s'infiltrait.
« Ça suffit ! Partez ! » hurla-t-elle.
Un enfant hurla et Miss Fortune se précipita sur le fragment de brume qui cherchait à s'emparer de lui. Elle plongea et prit le garçon dans ses bras avant de le mettre en sûreté d'un roulé-boulé. Des griffes glaciales tailladèrent son dos et Miss Fortune poussa un cri tandis qu'un froid paralysant se répandait dans son corps.
Elle frappa au jugé derrière elle et quelque chose de mort hulula.
Une femme cachée derrière un banc retourné se précipita pour prendre l'enfant et Miss Fortune les laissa se mettre à l'abri. Elle se redressa, une soudaine faiblesse se diffusant dans son corps comme une infection.
Partout on n'entendait que tirs de pistolet et bruits de sabre, hurlements spectraux et cris de terreur.
« Sarah ! » hurla Rafen.
Elle leva les yeux vers la barre de chêne qui verrouillait la porte : elle était fendue sur toute sa longueur. Rafen et une dizaine d'autres hommes, le dos contre le bois, tentaient de contrer l'assaut, mais les portes s'inclinaient vers l'intérieur. Les craquements se multipliaient et des mains de brume se frayaient un chemin à l'intérieur. Un homme fut agrippé et ses cris disparurent avec lui dans la brume.
Un autre se précipita pour l'aider et son bras fut arraché.
Rafen se retourna le temps de planter sa dague dans la brume par l'ouverture.
Des griffes lui arrachèrent la lame inutile.
Une silhouette hurlante s'introduisit par les fentes d'une porte qui se désagrégeait et plongea ses mains dans la poitrine de Rafen. L'homme rugit de douleur et toute couleur disparut de son visage.
Miss Fortune tituba vers lui, puisant dans ses dernières forces. Sa lame frappa les bras spectraux et la créature couina avant de s'évanouir. Rafen tomba sur elle et ils roulèrent au sol l'un et l'autre.
Rafen tâcha d'aspirer un peu d'air, les traits creusés comme ceux d'un mort.
« Ne t'avise pas de mourir, Rafen ! » dit Miss Fortune.
« Il faut bien plus qu'un mort pour me tuer », grogna-t-il. « Cette ordure m'a seulement coupé le souffle. »
Une fenêtre éclata quelque part au-dessus d'eux. Des volutes de Brume noire se condensèrent, masse bouillonnante de crocs, de griffes et d'yeux hagards.
Miss Fortune essaya de se relever, mais ses membres brûlaient d'épuisement. Elle serra les mâchoires de frustration. Il ne lui restait plus qu'une poignée d'hommes et les gens qui s'étaient abrités ici n'étaient pas des combattants.
Les morts étaient en train d'entrer.
Miss Fortune tourna les yeux vers Illaoi.
La prêtresse était entourée par ses gens, qui tous continuaient à tourner autour de la statue, frappant du poing et de la paume pour rythmer leur rituel. Rien de bon ne semblait en sortir. L'étrange statue restait immobile et impuissante.
Qu'espérait-elle, que la statue prendrait vie et repousserait les morts comme un golem de fer de Piltover ?
« Quoi que tu fasses, fais-le plus vite ! » hurla Miss Fortune.
Une portion du toit fut arrachée et emportée par la tempête. Une colonne tourbillonnante d'esprits s'engouffra comme une tornade. Des spectres et des entités qui défiaient toute compréhension quittèrent le vortex de non-mort pour s'abattre sur les humains.
Enfin, les portes explosèrent, rongées et pourries par le contact des morts. Le brame d'un cor de chasse remplit le temple et Miss Fortune se boucha les oreilles pour se protéger du vacarme.
Hecarim entra en galopant dans le temple, écrasant les hommes qui avaient tenté d'étayer les portes de leur corps. Leurs âmes furent attirées vers le glaive de l'Ombre de la guerre et le feu glacial de son tranchant illumina le temple de lueurs maladives. Les chevaliers d'effroi suivaient sa course et les esprits déjà présents dans le temple reculèrent devant la gloire terrifiante d'Hecarim.
« J'ai dit que les morts n'étaient pas les bienvenus ! » cria Illaoi.
Miss Fortune leva les yeux vers la prêtresse qui la surplombait, majestueuse, inébranlable. Une lumière pâle semblait émaner de ses membres et se reflétait sur la tablette de pierre qu'elle tenait dans ses mains tremblantes. Les veines saillaient sur son cou et sa mâchoire était crispée par la tension. Son visage était luisant de sueur.
Quoi qu'Illaoi fût en train de faire, cela lui coûtait un immense effort.
« Ces âmes mortelles sont à moi », dit Hecarim, et Miss Fortune se recroquevilla en entendant résonner sa voix d'airain.
« Certainement pas ! » répondit Illaoi. « Tu es dans la maison de Nagakabouros, qui s'oppose aux morts. »
« Les morts prendront leur dû », dit Hecarim, abaissant son glaive pour le pointer vers le cœur d'Illaoi.
La prêtresse secoua la tête.
« Pas aujourd'hui », dit-elle. « Pas tant que je bouge encore. »
« Tu ne peux pas m'arrêter. »
« Bête comme un âne », sourit Illaoi tandis qu'une lumière grandissait derrière elle. « Qui a dit que c'est moi qui allait t'arrêter ? »
Miss Fortune se tourna vers la statue et vit qu'elle baignait dans des irradiations aveuglantes. De la lumière blanche montait de sa surface et les créatures des ténèbres la fuyaient. Elle se protégea les yeux de la main tandis que la lumière jaillissait à la rencontre de la Brume noire et la désintégrait, dévoilant les âmes torturées qui s'agitaient en son sein. La lumière purgea les créatures de la magie impie qui les avait condamnées à la non-mort depuis tant de temps.
Elle s'attendait à des hurlements, mais ce sont des sanglots de joie qui retentirent : les âmes étaient enfin libérées, pouvaient enfin rejoindre leur éternelle destinée. La lumière se propagea au-delà des murs fissurés du temple ; touchée à son tour, Miss Fortune cria en sentant l'engourdissement spectral quitter son corps sous l'afflux soudain de chaleur et de vie.
La lumière de Nagakabouros se referma sur Hecarim et Miss Fortune vit sa peur à la pensée des métamorphoses qu'il risquait de subir.
Qu'y a-t-il de si horrible dans la vie qu'il vaille mieux rester maudit ?
« Je peux te libérer, Hecarim », dit Illaoi, sa voix portée à la limite de toute endurance par ce qu'elle avait déchaîné. « Tu pourras enfin aller de l'avant, vivre dans la lumière comme l'homme que tu as rêvé d'être avant que sa folie et son chagrin ne te transforment. »
Hecarim rugit et fit un grand mouvement avec son glaive en direction d'Illaoi.
La lame de Miss Fortune intercepta le coup dans une gerbe d'étincelles. Elle secoua la tête.
« Hors de ma ville ! » s'exclama-t-elle.
Hecarim s'efforça de porter un second coup, mais avant qu'il y parvienne la lumière perça enfin son voile de ténèbres. Il recula et trébucha, saisi de douleur. Ses contours devinrent indistincts, comme si deux images jusque-là superposées tentaient de se séparer.
Miss Fortune aperçut un haut cavalier dans une armure d'argent et d'or. Un homme jeune, beau et fier, les yeux brillants de l'avenir glorieux qui s'offrait à lui.
Que lui est-il arrivé ?
Hecarim rugit et s'enfuit du temple en galopant.
Ses chevaliers d'effroi et le tourbillon de ténèbres disparurent avec lui, une horde hurlante d'esprits loqueteux dans leur sillage.
V
La lumière de Nagakabouros se répandait sur Bilgewater comme une aube nouvelle. Quiconque pouvait l'observer ne l'oublierait jamais ; c'était plus fort que les premiers rayons de soleil après la tempête, que la première douceur après l'hiver le plus cruel.
La Brume noire se retira devant elle dans un maelström d'esprits affolés. Les morts se retournaient hystériquement les uns contre les autres, certains se battant pour retourner d'où ils venaient, les autres pour se plonger dans la libération que promettait la lumière.
Le silence tomba tandis que la Brume noire repartait vers l'océan, attirée par les îles maudites qui étaient leur empire.
L'aube véritable monta enfin à l'horizon et un vent purificateur balaya la ville tandis que les citoyens de Bilgewater pleuraient ensemble des larmes de soulagement.
La Nuit de l'horreur était passée.
Le temple était redevenu silencieux, dans un contraste saisissant avec le tumulte de l'instant précédent.
« C'est fini », dit Miss Fortune.
« Jusqu'à la prochaine fois », dit Illaoi avec lassitude. « La faim de la Brume noire brûle comme une maladie. »
« Qu'est-ce que tu as fait ? »
« Ce que j'avais à faire. »
« Eh bien je ne sais pas ce que c'était, mais merci. »
Illaoi secoua la tête et passa un bras puissant autour des épaules de Miss Fortune.
« Remercie la déesse », dit Illaoi. « Fais une offrande. Une grosse offrande. »
« Je n'y manquerai pas », dit Miss Fortune.
« Tu as intérêt. C'est une divinité qui n'aime pas les promesses creuses. »
La menace voilée était exaspérante et, une seconde, Miss Fortune pensa tirer une balle dans le crâne de la prêtresse. Avant qu'elle n'ait pu esquisser un geste vers ses pistolets, Illaoi s'effondra. Miss Fortune s'élança, mais la prêtresse était trop énorme pour que deux bras suffisent à la retenir.
Elles chutèrent toutes les deux sur le sol de mosaïque.
« Rafen, viens m'aider à la relever ! » appela-t-elle.
Ensemble, ils placèrent Illaoi contre un banc brisé, soufflant sous l'effort consistant à soulever cette masse colossale.
« La Grande Barbue a surgi de l'océan... » dit Rafen.
« Tâche de ne pas rester stupide toute ta vie », dit Illaoi. « J'ai déjà dit que Nagakabouros ne vivait pas sous les flots. »
« Alors où vit-elle ? » demanda Rafen. « Dans les cieux ? »
Illaoi secoua la tête et le frappa droit sur le cœur. Rafen grogna de douleur.
« C'est ici que tu peux la trouver. »
Illaoi sourit à cette réponse sibylline et ses yeux se fermèrent lentement.
« Elle est morte ? » demanda Rafen en massant le bleu sur sa poitrine.
Illaoi leva la main et le gifla.
Puis elle se mit à ronfler comme un docker souffrant d'une angine de poitrine.
VI
Lucian s'assit sur le rebord du pont et regarda la cité émerger de la Brume noire. Il avait détesté Bilgewater au premier regard, mais il se dégageait d'elle une sorte de beauté quand la lumière du soleil brillait en ambre doux sur les toits de tuiles.
La renaissance d'une ville, comme à chaque fois que la Nuit de l'horreur prenait fin.
Un nom adéquat pour ce moment d'effroi, mais en vérité aucun mot ne pouvait rendre la peine de ses origines. Quelqu'un ici comprenait-il vraiment la tragédie des Îles obscures ?
Mais après tout, même si quelqu'un la comprenait, qu'est-ce ça pourrait lui faire ?
Il se tourna en entendant des bruits de pas approcher de lui.
« La ville est presque belle, vue d'ici », dit Miss Fortune.
« Mais seulement vue d'ici. »
« Oui, c'est un véritable nid de vipères », dit Miss Fortune. « Il y a des gens bien ici, et d'autres non, mais je m'efforce de faire en sorte que les gens bien prennent l'avantage. »
« D'après ce que je crois comprendre, vous avez commencé une véritable guerre », dit Lucian. « Certains pourraient dire que c'est comme brûler une maison pour tuer un rat. »
Il vit la colère monter en elle, et disparaître aussitôt.
« Je pensais œuvrer pour le bien de tous », dit-elle en s'asseyant en califourchon sur le parapet, « mais les choses ne font que se dégrader. Il faut que je fasse quelque chose, et sans tarder. »
« C'est pour cela que vous vous êtes jetée tête la première dans la Brume noire ? »
Miss Fortune réfléchit un moment.
« Peut-être pas au début », dit-elle. « J'ai libéré un brochet en tuant Gangplank, et si je ne remets pas la main dessus rapidement, il va mordre beaucoup d'honnêtes gens. »
« Un brochet ? »
« Ce que je veux dire, c'est que quand j'ai abattu Gangplank, je ne savais pas ce qui se passerait dans le coin. Honnêtement, ça ne m'importait pas », dit-elle. « Mais j'ai fini par comprendre ce qui se passait dans cette ville quand personne ne la contrôle. Les gens se prennent à la gorge. Bilgewater a besoin d'un maître fort. Et ce maître fort, ça peut très bien être moi. La guerre commence à peine et la seule manière qu'elle prenne fin rapidement, c'est de la gagner rapidement. »
Un silence s'instaura entre eux.
« Ma réponse est non. »
« Je n'ai rien demandé. »
« Vous étiez sur le point de le faire », dit Lucian. « Vous vouliez que je reste pour vous aider à gagner votre guerre, mais ce n'est pas possible. Votre combat n'est pas le mien. »
« Il pourrait le devenir », dit Miss Fortune. « Je paie bien et le boulot consiste à éliminer de méchantes gens. À sauver nombre d'âmes innocentes. »
« Il n'y a qu'une âme que je veuille sauver », répondit Lucian. « Et ce n'est pas à Bilgewater que j'y parviendrai. »
Miss Fortune approuva de la tête et tendit la main.
« Alors je vous dis adieu et bonne chasse », dit-elle en se levant et en époussetant son pantalon. « J'espère que vous trouverez ce que vous cherchez. Mais sachez que vous risquez de vous perdre, si votre quête est la vengeance. »
Lucian la regarda repartir vers les ruines du temple dont les survivants émergeaient en clignant les yeux dans la lumière du jour. Elle pensait sans doute comprendre ce qui le motivait, mais lui savait bien qu'elle ne saisissait pas.
La vengeance ? Il était bien au-delà de la vengeance.
Sa bien-aimée était emprisonnée dans les tourments par un spectre immortel, une créature des temps anciens qui comprenait comme nulle autre la souffrance.
Miss Fortune ne comprenait pas le premier mot de son chagrin.
Il se leva et dirigea son regard vers la haute mer.
L'océan était calme à présent, vaste étendue d'un vert d'émeraude.
Les gens travaillaient déjà sur les docks, réparant les navires et les maisons. Bilgewater n'arrêtait jamais, même au lendemain de la Nuit de l'horreur. Il regarda la forêt des mâts qui se balançaient au rythme de l'eau, cherchant un vaisseau pas trop endommagé. Peut-être qu'un capitaine désespéré pouvait être persuadé de le mener là où il devait se rendre.
« Je viens, mon amour. Et je te libérerai. »
VII
Le pêcheur grogna en manœuvrant le treuil arrière pour hisser le colosse hors de l'eau jusque dans son bateau. Le cordage s'effilochait au rythme de la remontée et le marin était couvert de sueur malgré la fraîcheur de l'air.
« Par les poils de barbe de la déesse, tu es un sacré grand gaillard, c'est sûr », gronda-t-il en accrochant l'armure de l'homme avec une gaffe pour le faire enfin rouler sur le pont. Il gardait l'œil ouvert : les prédateurs étaient nombreux dans la région, au-dessus de la surface et en dessous.
Aussitôt que la Brume noire s'était retirée au-delà de l'horizon, les navires avaient pris la mer. Les eaux étaient couvertes de débris et si l'on n'était pas assez rapide, on risquait fort de revenir bredouille.
Il avait été le premier à repérer l'homme qui flottait et il avait dû jouer des poings et des coudes pour l'atteindre. Pas question de se faire voler ce butin offert par l'océan.
Le colosse dérivait sur un étrange radeau qui ressemblait à des vestiges de wyrm kraken géant. Ses tentacules étaient imprégnés de gaz nocifs et c'est sans doute ce qui avait gardé tout ce temps l'homme à la surface.
Il laissa tomber sa prise sur le pont avant de la détailler d'un œil de connaisseur.
Un lourd haubert de fer, des bottes fourrées et une hache magnifique accrochée au cuir de son armure.
« Oh oui, tu vas me rapporter quelques krakens d'or, mon gars ! » dit-il en esquissant un pas de gigue. « Quelques krakens d'or ! »
Le colosse toussa, crachant de l'eau de mer.
« Je suis toujours en vie ? » demanda-t-il.
Le pêcheur s'immobilisa et porta la main au long couteau qui pendait à sa ceinture. Il l'utilisait d'ordinaire pour vider les poissons. On pouvait sûrement s'en servir pour ouvrir une gorge. Ce ne serait pas la première fois qu'un sauveteur poussait un rescapé vers la Grande Barbue afin de ne pas perdre son butin.
Le colosse ouvrit les yeux.
« Touche encore une fois ce couteau et je te taillerai en plus de morceaux que ce fichu wyrm kraken. »
FIN