Riot a publié une très longue histoire, dont le deuxième chapitre est apparu aujourd'hui. L'histoire devrait se composer de 4 chapitres au total. Les suivants arriveront jeudi et vendredi !
Ombre et lumière : Chapitre 2
Quelque chose de stupide, Le linceul rouge, L'Ombre de la guerre
I
Miss Fortune posa ses pistolets sur la table, à côté de son sabre court. Le tocsin et les hurlements de terreur retentissaient dans la ville paniquée et elle savait bien ce que cela signifiait.
La Nuit de l'horreur.
Face à l'approche inéluctable, elle avait ouvert les fenêtres de sa nouvelle maison, défiant les morts de s'en prendre à elle. Les vents semblaient hurler de colère et le froid la pénétrait jusqu'à la moelle de l'os.
Perchée dans les hauteurs des falaises est de Bilgewater, la villa avait appartenu à un chef de bande détesté. Dans le chaos qui avait suivi la chute de Gangplank, ce dernier avait été arraché à son lit et sa cervelle répandue sur les pavés.
La maison appartenait désormais à Miss Fortune et elle n'avait pas la moindre intention de mourir de la même façon. Elle fit glisser le doigt le long du pendentif qu'Illaoi lui avait donné à l'immersion de Byrne. Le corail était chaud au toucher et, même si elle n'avait pas foi en ce qu'il représentait, le bijou était assez joli.
La porte de sa chambre s'ouvrit et elle laissa retomber le pendentif au bout de son cordon.
Elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qui se tenait derrière elle. Un seul homme avait assez d'audace pour entrer chez elle sans frapper.
« Mais que faites-vous ? » demanda Rafen.
« Qu'ai-je l'air de faire ? »
« Quelque chose de stupide. »
« Quelque chose de stupide ? » dit Miss Fortune, posant les mains sur la table. « Nous avons versé notre sang et perdu de bons camarades pour nous débarrasser de Gangplank. Je ne vais pas laisser la Nuit de l'horreur prendre... »
« Prendre quoi ? »
« Prendre cet endroit à celle à qui il appartient désormais ! » lâcha Miss Fortune en remettant ses pistolets dans leurs étuis gravés. « Et tu ne m'arrêteras pas. »
« Nous n'avons pas l'intention de vous arrêter. »
Miss Fortune se tourna et regarda Rafen sur le seuil de sa chambre. Il n'était pas seul : plusieurs de ses meilleurs combattants attendaient dans le vestibule, armés jusqu'aux dents de mousquets, de tromblons et de coutelas qui semblaient avoir été pillés dans un musée.
« Vous aussi, vous m'avez l'air d'être sur le point de faire quelque chose de stupide », dit-elle.
« Oui », confirma Rafen avant de marcher jusqu'à la fenêtre et de fermer les volets. « Vous pensiez vraiment que nous laisserions notre capitaine affronter ça toute seule ? »
« J'ai failli mourir en affrontant Gangplank et pourtant ma tâche n'est pas achevée. Je ne vous demanderai pas de venir avec moi, pas aujourd'hui », dit Miss Fortune en venant se placer devant ses hommes, les paumes fermées sur les crosses de bois gravé de ses pistolets. « Ceci n'est pas votre combat. »
« Bien sûr que si ! » s'exclama Rafen.
Miss Fortune finit par approuver de la tête.
« Nous avons de bonnes chances de ne pas vivre jusqu'à demain matin », dit-elle, incapable de retenir un embryon de sourire.
« Ce n'est pas la première Nuit de l'horreur que nous affrontons ensemble, capitaine », dit Rafen, tapotant le crâne sculpté qui ornait le pommeau de son épée. « Et ce ne sera pas la dernière. »
II
Olaf était en vue du Baiser de l'Hiver quand il entendit les hurlements. Tout d'abord, il les ignora (on hurlait continuellement, à Bilgewater), mais la foule terrifiée qui courait sur le quai éveilla son intérêt.
Ces hommes et ces femmes quittaient précipitamment leurs bateaux pour fuir aussi vite qu'ils le pouvaient dans les rues tortueuses. Ils ne regardaient pas en arrière, ils n'arrêtaient jamais, même pas quand un camarade trébuchait ou tombait dans l'eau.
Olaf avait déjà vu des hommes fuir les combats, mais ce qu'il avait aujourd'hui sous les yeux était bien autre chose. Il s'agissait de terreur pure, le genre de terreur gravée sur les visages gelés des corps que recrachaient les glaciers où l'on disait que vivait la Sorcière de glace.
On verrouillait les volets sur tous les bâtiments le long des quais et les étranges symboles qu'on avait gravés sur les portes étaient fébrilement époussetés et rafraîchis. D'énormes treuils montaient dans les hauteurs des falaises des structures de bois formées de coques de navire vissées les unes aux autres.
Olaf reconnut un mastroquet qui tenait une taverne où la bière était à peine plus forte que de la pisse de troll et il lui fit un signe.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
Le tavernier montra l'océan du doigt avant de claquer la porte. Olaf posa sur la pierre du quai le croc de wyrm kraken et se tourna pour tenter de comprendre pourquoi une telle panique agitait la ville.
Il pensa d'abord qu'une tempête approchait, mais on ne voyait sur la mer que l'habituel brouillard noir ; un brouillard, il est vrai, qui approchait avec une vitesse et une fluidité qui ne paraissaient pas naturelles.
« Tiens », dit-il en détachant sa hache de sa ceinture. « Voilà qui a l'air prometteur. »
La sensation de la poignée de cuir dans sa main calleuse lui procura un plaisir dont il ne se lassait pas, tandis qu'il passait l'arme d'une main à l'autre.
La Brume noire avait atteint les premiers navires et les yeux d'Olaf s'agrandirent quand il vit en son sein des esprits qui semblaient provenir des cauchemars les plus obscurs. Un immense chevalier d'effroi, chimère mêlant homme et cheval de guerre, les menait aux côtés d'un faucheur vêtu de noir et nimbé de feu vert. Ces seigneurs de la mort laissèrent la horde des esprits fondre sur les quais et s'enfoncèrent avec une fureur de prédateurs au cœur de Bilgewater.
Olaf avait entendu les habitants de la ville parler à voix basse de quelque chose qu'ils appelaient « la Nuit de l'horreur », un temps de malheur et de ténèbres, mais il n'avait jamais pensé avoir la chance de l'affronter la hache à la main.
La foule des morts se déversait sur les galères, les navires marchands, les cotres corsaires ; crocs et griffes dehors, ils les déchiraient sous leur assaut comme un ours fouaillant du museau sa proie encore tiède. Les voiles et les cordages cédaient comme de la laine. Les mâts les plus lourds étaient brisés tandis que les navires étaient renversés les uns sur les autres.
Une meute de spectres hurlants s'engouffra dans le Baiser de l'Hiver et Olaf rugit de colère en voyant la quille se soulever et casser. Le navire coula aussi vite que si on l'avait surchargé de rocs et Olaf vit ses camarades de Freljord entraînés dans l'eau par des créatures aux membres cadavériques et à la gueule de brochet.
« Olaf vous fera regretter le jour où vous êtes morts ! » hurla-t-il en chargeant sur le quai.
Les esprits foncèrent dans sa direction en tendant leurs griffes glaciales. Olaf fit parler sa hache, tranchant en cercle dans la foule de ses assaillants. Les morts hurlèrent quand la lame les tronçonna, son fil de glace pure plus mortel qu'aucun enchantement.
Ils gémirent en mourant une seconde fois et Olaf chanta le chant qu'il avait écrit pour l'heure de sa mort avec une joyeuse vigueur. Les mots étaient simples, mais valaient n'importe quelle saga des bardes du pays des glaces. Combien de temps avait-il attendu pour pouvoir psalmodier ces mots ? Combien de fois avait-il craint de n'en avoir jamais l'occasion ?
Une brume étincelante de mâchoires en mouvement l'encercla dans un tourbillon de spectres et de choses indéfinissables. Des filets de glace dessinèrent des entrelacs sur son haubert et le toucher mortel d'esprits voraces brûla sa peau.
Mais le cœur d'Olaf était puissant et il pompa dans tout son corps le sang furieux du berzerker. D'un mouvement d'épaules, il chassa la douleur que causait le contact des spectres ; sa raison cédait tandis que sa fureur se déchaînait.
Une écume écarlate naquit à la commissure de ses lèvres tandis qu'il mordait la chair intérieure de ses joues. Il rugit et balança sa hache comme un possédé, ne se souciant pas de la douleur mais seulement des ennemis qu'il lui fallait abattre.
Que ces derniers soient déjà morts n'avait pour lui aucune signification.
Olaf leva de nouveau le bras, prêt à asséner un nouveau coup, quand le fracas assourdissant d'un toit et de colonnes qui s'effondraient retentit derrière lui. Il se tourna pour affronter son nouvel ennemi tandis qu'un blizzard de bois brisé et de pierre submergeait le quai. Des échardes pointues tailladèrent son visage et des morceaux de pierre gros comme le poing martelèrent ses bras. De la graisse animale dégoulina sur le sol en cataracte tandis qu'un grognement horrible jaillissait de la Brume noire.
Et Olaf le vit.
L'esprit du wyrm kraken s'éleva au-dessus des vestiges du quai. Gigantesque, furieux, il lança ses tentacules fantomatiques dans les airs et les rabattit comme une foudre projetée par un dieu vengeur. Une rue entière fut fracassée en un éclair et la rage d'Olaf atteignit un sommet : il avait enfin en face de lui un ennemi digne de lui prendre la vie.
Olaf leva sa hache pour honorer celui qui allait mettre fin à sa vie.
« Salut à toi, mon beau ! » hurla-t-il avant de charger vers son destin.
III
La femme était magnifique, avec de grands yeux en amande, des lèvres pulpeuses et les pommettes hautes de Demacia. Le portrait du médaillon était la miniature d'un grand artiste, pourtant il ne parvenait pas à rendre dans toute leur puissance la force et la détermination de Senna.
Il regardait rarement cette image, car il savait que porter sa peine trop près de son cœur l'affaiblissait. Le chagrin était un défaut dans sa cuirasse. Lucian ne pouvait pas se permettre de ressentir trop profondément cette perte, et il referma le médaillon d'un geste sec. Il aurait dû l'enterrer dans le sable de cette grotte, sous les falaises, et il le savait ; mais il ne pouvait se résoudre à enfouir le souvenir comme il avait enfoui le corps.
Il allait devoir éteindre sa douleur jusqu'à ce que Thresh soit détruit et la mort de Senna vengée.
C'est alors seulement que Lucian pourrait pleurer sa femme défunte et faire les offrandes à la Dame au Voile.
Combien de temps s'était écoulé depuis cette terrible nuit ?
Il sentit l'abîme sans fin de la peine s'ouvrir sous ses pieds, mais il en chassa vigoureusement l'image, comme tant de fois auparavant. Il s'appuya sur les enseignements de son ordre, répétant les mantras que Senna et lui avaient appris pour se fermer à toute émotion. Ce n'est qu'ainsi qu'il pourrait atteindre le point d'équilibre nécessaire pour affronter ces monstruosités d'outre-tombe qui défiaient l'imagination.
La douleur reflua lentement, mais sans disparaître.
Il n'avait ouvert le médaillon qu'avec réticence, parce qu'il sentait grandir une distance entre lui et Senna. Il ne parvenait plus à se remémorer exactement la courbe de son menton, la douceur de sa peau, la couleur de ses yeux.
Plus sa chasse durait, plus elle semblait s'éloigner.
Lucian leva la tête, vidant ses poumons en un souffle, forçant le rythme de son cœur à s'apaiser.
Les murs de la grotte, sous les falaises qui servaient de fondations à Bilgewater, étaient de calcaire pâle. Le ressac et les mines avaient creusé un labyrinthe sous la cité dont peu suspectaient l'existence. Les murs de roc clair étaient gravés de spirales, de vagues, de motifs qui évoquaient des clignements d'yeux.
Il avait appris que c'étaient là des symboles de la religion indigène, mais ceux qui les avaient dessinés n'étaient pas revenus depuis très longtemps. Lui-même ne les avait trouvés qu'en suivant les symboles secrets de son ordre, des symboles qui l'avaient mené dans bien des refuges et des sanctuaires de Valoran.
D'imperceptibles reflets de lumière ondulaient seuls sur le toit de la grotte, mais alors que les yeux de Lucian suivaient la boucle d'une gravure, une lumière irradia soudain de sa paume.
Laisse-moi être ton bouclier.
Lucian baissa la tête, le souvenir de ses mots aussi clairs dans sa tête que si elle se tenait à côté de lui.
Le médaillon palpitait d'une lueur verte.
Lucian passa la chaîne du médaillon autour de son cou et ferma les poings sur la crosse de ses pistolets.
« Thresh... » murmura-t-il.
IV
Les rues de Bilgewater étaient désertes. Les cloches marines résonnaient toujours et les hurlements de terreur leur faisaient écho. La Ville aux rats était totalement engloutie dans la Brume noire et les tempêtes déchaînées dévastaient Port-deuil. Des bûchers brûlaient sur le Pont du boucher et un brouillard taché de lueurs noyait les falaises au-dessus de Port-gris.
Les habitants des hauteurs de la ville se terraient chez eux et priaient la Grande Barbue que la Nuit de l'horreur passe sans les toucher, que la douleur frappe un autre qu'eux.
Des lumignons d'ambre gris brûlaient en garde à chaque fenêtre dans des bouteilles de verre. Des racines de l'Impératrice de la Forêt Obscure pendaient aux portes et aux volets, clouées sur le bois.
« Les gens croient vraiment en l'Impératrice ? » demanda Miss Fortune.
Rafen haussa les épaules, toute sa concentration focalisée sur la brume qu'il explorait des yeux, à la recherche d'un danger. Il tira de sous sa chemise une racine identique.
« Tout dépend de ce en quoi on a foi, pas vrai ? »
Miss Fortune tira ses pistolets.
« C'est en eux que j'ai foi, et en nous. Que transportes-tu d'autre ? »
« Ce coutelas m'a préservé tout au long de six Nuits de l'horreur », dit Rafen en tapotant de nouveau son pommeau. « J'offre à chaque fois une bouteille de vieux rhum à la Grande Barbue et ce couteau m'a été vendu par un homme qui m'a juré que sa lame était faite de solacier pur. »
Miss Fortune jeta un coup d'œil au couteau dont seul le manche dépassait du fourreau. L'artisanat en était trop primitif pour être demacien, mais à quoi bon détromper son second ?
« Et vous ? » demanda-t-il.
Miss Fortune tapota sa cartouchière.
« Nous avons tous salué la nuit avec le Rhum noir de Myron », dit-elle, assez fort pour être entendue de la trentaine d'hommes et de femmes qui l'accompagnaient. « Rien de tel que les spiritueux pour affronter les forces spirituelles. »
L'ambiance oppressante ne donnait pas envie de rire, mais quelques sourires parurent sur les lèvres, et c'était ce que l'on pouvait espérer de mieux en une nuit comme celle-ci.
Elle se retourna et poursuivit en direction de Bilgewater, descendant les marches grossières taillées dans le roc des falaises, traversant des ponts secrets de cordes à demi pourries et des chemins oubliés qu'aucun humain n'avait foulés depuis longtemps.
Ils finirent par tous accéder à une grande plateforme sur l'un des quais flottants, où des habitations oscillaient côte à côte comme si leurs corniches se parlaient à l'oreille. Chaque façade était un mélange hétéroclite de bois récupérés que striaient des filaments de givre. Le vent glacial apportait de loin des sanglots et des hurlements. Des braseros pendaient par centaines aux lignes qui reliaient les bâtiments dans des exhalaisons d'herbes étranges. Des bassins reflétaient sous les frémissements de l'eau des choses qui n'existaient pas vraiment.
D'ordinaire, l'endroit était un marché vivant, surchargé d'étals, peuplé de bouchers et de marchands en pleine effervescence, de buveurs impénitents, de pirates, de chasseurs de primes et de parias venus de tous les coins du monde. Où qu'on soit à Bilgewater, on pouvait voir cet endroit, et c'est précisément pour cela que Miss Fortune l'avait choisi.
De la brume s'enroulait autour de chaque affleurement de bois.
D'anciennes figures de proue pleuraient des larmes glacées.
Le brouillard et les ombres se rapprochaient.
« La place des voleurs à la tire ? » demanda Rafen. « Comment est-on arrivé là ? J'ai pas mal œuvré dans ce coin, autrefois. Je pensais connaître toutes les voies d'accès, comme le bon petit voleur que j'étais... »
« Pas toutes... » dit Miss Fortune.
Les maisons de compte, de chaque côté, étaient obscures et silencieuses et elle résista à la tentation de regarder à travers les rideaux déchirés qui battaient au vent.
« Comment se fait-il que vous connaissiez des accès que j'ignore ? »
« Bilgewater et moi, nous sommes de la même espèce », répondit Miss Fortune, plissant les yeux tandis que la Brume noire se répandait sur la place. « Elle me murmure ses secrets comme une vieille amie, je connais ses moindres artères d'une manière qui t'échappera toujours. »
Rafen grogna en entrant sur la place vide.
« Et maintenant ? »
« Nous attendons », répondit Miss Fortune en atteignant le centre de la place, qui paraissait terriblement exposé.
La Brume noire vibrait au rythme des mouvements indéfinissables en son sein.
Un crâne désincarné, tout en lumière spectrale, surgit des ténèbres, les orbites vides et les dents acérées. Sa mâchoire était bien plus ouverte qu'aucune structure osseuse ne le permettait et de son œsophage montait un gémissement acide.
Les balles de Miss Fortune traversèrent ses orbites et le crâne disparut dans un couinement de frustration. Elle fit jouer l'ingénieux mécanisme de ses armes et les deux pistolets furent de nouveau chargés.
Un moment, tout resta silencieux.
Puis la Brume noire éclata en un hululement déchirant tandis que les esprits des morts envahissaient massivement la place.
V
Pour la deuxième fois en une nuit, Olaf se creusa une trouée dans les entrailles du wyrm kraken. Il maniait sa hache comme un bûcheron fou, taillant à droite et à gauche avec un emportement exalté. Les vastes membres de la bête étaient aussi impalpables que de la brume, mais la glace pure de sa lame les tranchait néanmoins comme de la chair.
Les tentacules s'abattirent sur la pierre du quai, mais Olaf était rapide pour un homme de sa carrure. Les guerriers lents ne survivent pas à Freljord. Dans un seul mouvement, il roula et fit virevolter sa hache, tranchant une bonne mesure de membre qui disparut aussitôt dans le néant.
Même enveloppé du suaire rouge du berzerker, Olaf voyait le crâne de la créature dans le tourbillon de membres fantômes qui l'entourait.
Ses yeux étaient enflammés par son esprit vital porté au plus haut point de rage.
Un moment de sublime connexion passa entre eux.
L'âme de la bête le connaissait.
Olaf éclata d'un rire joyeux.
« Tu vois celui qui t'a pris la vie et nous sommes maintenant liés dans la mort ! » rugit-il. « Peut-être que si tu me tues, nous nous combattrons à jamais dans les royaumes au-delà du royaume des mortels. »
La perspective d'une guerre éternelle contre un si puissant adversaire fouetta les muscles endoloris d'Olaf d'une énergie nouvelle. Il chargea vers la gueule de la créature sans se préoccuper de la douleur que lui infligeait chaque contact avec les tentacules du wyrm kraken.
Il bondit dans les airs, la hache dressée.
Il regarda dans les yeux sa mort glorieuse.
Un tentacule surgit et s'enroula autour de sa cuisse.
Haut au-dessus des airs, le tentacule balança le guerrier comme une brindille.
« Viens donc ! » mugit Olaf, levant sa hache vers le firmament pour saluer leur destin commun. « À la mort ! »
VI
Une créature spectrale armée de serres et de crocs de glace plongea sur eux depuis la masse grouillante des esprits. Miss Fortune lui tira une balle en pleine face et elle disparut comme la brume matinale au lever du jour.
Un autre tir et un esprit de plus s'évapora.
Malgré sa peur, elle sourit et courut recharger à l'abri d'une vieille borne de pierre qui représentait le Roi des rivières. Sans réfléchir, elle se pencha pour déposer un baiser sur le sourire aux dents proéminentes.
Tout dépend de ce en quoi on a foi.
Les divinités, les balles, ses propres compétences ?
Son visage se contracta lorsqu'un de ses pistolets s'enraya dans un grincement de métal. Une admonestation de sa mère remonta des profondeurs de sa mémoire.
« Voilà ce qui se passe quand tu laisses quelqu'un d'autre préparer ta poudre, Sarah ! » dit-elle en rengainant son pistolet et en s'emparant de son sabre. Elle l'avait récupéré sur le capitaine d'une galiote demacienne qui remontait vers le nord depuis la Côte de Rouille de Shurima : c'était un témoignage remarquable des meilleurs arts d'armurerie.
Miss Fortune quitta son abri, tirant d'une main et taillant de l'autre. Son tir élimina un autre spectre dans les airs et le tranchant de sa lame mordit les créatures brumeuses comme si elles étaient de chair et d'os. Les esprits des morts possédaient-ils quelque élément physique qui permettait à une lame de les blesser ? C'était peu probable, mais une chose était sûre : elle blessait quelque chose à l'intérieur d'eux.
Elle n'avait guère le temps d'étudier la question et elle craignait en le faisant d'assécher la vigueur avec laquelle elle combattait.
Les guerriers, hommes et femmes, hurlaient tandis que l'ouragan des esprits morts se déversait sur la place, les pétrifiant de terreur avant d'enfoncer leur poitrine pour en arracher le cœur. Sept d'entre eux étaient déjà morts et leur âme extirpée de leur corps se tournait contre leurs anciens camarades. Ils combattaient héroïquement avec des sabres et des mousquets, hurlant le nom de la Grande Barbue, des êtres qu'ils aimaient ou de quelque divinité obscure de terres lointaines.
À chacun selon ce qui lui convient, pensa Miss Fortune.
Rafen avait un genou à terre, le visage terreux, haletant comme un docker après un long débarquement. Des lianes de brume s'accrochaient à lui comme des toiles d'araignée et la racine de conjuration, autour de son cou, brûlait d'une lueur rouge presque phosphorescente.
« Debout, ce combat n'est pas encore terminé ! » s'exclama-t-elle.
« Ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça ! » jappa-t-il en se relevant. « J'ai vu plus de Nuits de l'horreur qu'un rat de cadavres dans les égouts. »
Avant que Miss Fortune ne réplique, il se pencha d'un côté et tira sur quelque chose derrière elle. Un esprit mélangé de loup et de chauve-souris hurla d'avoir été banni et Miss Fortune remercia son adjoint en le débarrassant d'un esprit tout en crochets et en crocs.
« Tout le monde à terre ! » hurla Miss Fortune, décrochant deux grenades à mèche à sa ceinture pour les lancer dans la Brume noire.
Elles explosèrent dans un chaos assourdissant de feu et de fumée. Des éclats de bois et des fragments de pierre ricochèrent. Du verre brisé tomba comme une pluie de dagues. Un brouillard acide remplit la place, mais cette fois il était créé de main d'homme et nul esprit ne le peuplait.
Rafen secoua la tête comme pour se déboucher les oreilles.
« Qu'est-ce qu'il y avait, dans cette grenade ? »
« De la poudre noire mélangée à de l'essence de copal et à des herbes », dit Miss Fortune. « C'est ma recette spéciale. »
« Et ça marche contre les morts, ça ? »
« Ma mère y croyait », répondit-elle.
« Y a pas meilleure recommandation », dit Rafen. « Vous savez, il se pourrait bien qu'on arrive à... »
« Ne dis rien de plus ! » avertit Miss Fortune.
La brume commença à se condenser sur la place, prenant d'abord la forme de filaments et de volutes, puis de contours monstrueux : des choses dotées de membres fusionnés, de gueules aux crocs monstrueux, de bras qui s'achevaient en crochets ou en pinces. C'étaient les esprits qu'ils pensaient avoir éliminés.
Ils se reformaient, ils revenaient.
Parfois, les contes de bonne femme contiennent du vrai.
« Apparemment, les morts sont difficiles à tuer... » lança Miss Fortune, essayant de ne pas montrer sa peur.
Elle avait été naïve de croire que des jolies babioles et une foi aveugle suffiraient à affronter les esprits des défunts. Elle avait voulu montrer aux citoyens de Bilgewater qu'ils n'avaient pas besoin de Gangplank, qu'ils pouvaient forger leur propre destinée.
Au lieu de quoi elle allait mourir ici et laisserait la ville en ruines.
Un grondement sourd secoua la place. Puis un autre.
Des coups de tonnerre percutants s'élevaient en vacarme tempétueux.
Ils gonflèrent pour devenir de gigantesques coups de marteau sur une enclume. De plus en plus forts, de plus en plus rapides, jusqu'à ébranler le sol de leur fureur.
« Mais qu'est-ce que c'est que ça ? » demanda Rafen.
« Je ne sais pas... » dit Miss Fortune tandis qu'un cavalier spectral en armure de nuit émergeait de la brume. Il chevauchait un animal de combat curieusement proportionné et son casque avait la forme d'un démon rugissant.
« Un chevalier d'effroi ! » dit Miss Fortune.
Rafen secoua la tête ; son visage avait perdu toute couleur.
« Ce n'est pas un chevalier », dit-il. « C'est l'Ombre de la guerre... »