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Nouvelles histoires pour Jinx, Mundo, Blitzcrank, Viktor, et Janna

Nouvelles histoires pour Jinx, Mundo, Blitzcrank, Viktor, et Janna
 
Riot a publié de nouvelles histoires autour de Zaun, à destination de Jinx, Mundo, Blitzcrank, Viktor, et Janna. Bonne lecture !
 
Jinx Square 0   Jinx - Gâchette folle
 

Criminelle hystérique et impulsive de Zaun, Jinx ne vit que pour semer le chaos sans se préoccuper des conséquences. Équipée d'un arsenal d'armes mortelles, elle déchaîne les explosions les plus spectaculaires en ne laissant dans son sillage que destruction et panique. Jinx refuse de s'ennuyer et elle offre partout où elle va sa propre définition du cataclysme.

Personne ne sait exactement d'où vient Jinx, mais nombre de légendes urbaines entourent son existence. Certains disent qu'elle a commencé très jeune dans un gang, mais qu'elle a été traumatisée par trop de tueries, qu'elle a trop souffert entre les mains d'un ennemi ou qu'elle a été rendue folle par les émanations toxiques du puisard. Quelques anciens de Zaun se souviennent d'une jeune fille correspondant à la description de Jinx, mais qui ne partageait guère de traits de caractère avec celle qui est devenue le fléau de Piltover. Cette jeune fille était douce et innocente, habile de ses mains et riche en grandes idées, mais elle ne sut jamais s'intégrer et finit mal. Certains murmurent même que Jinx n'est pas vraiment humaine, que c'est une sorte d'esprit vengeur venu jeter le chaos à Piltover pour venger les milliers de morts causées par l'effondrement de Zaun dans les profondeurs de la terre.

Jinx fit sa première apparition lors de la Canaillerie, une tradition annuelle tolérée du bout des lèvres pendant laquelle les adolescents de Piltover font des farces à leur famille et à leurs voisins. Jinx profita de l'occasion pour déchaîner la première de ses vagues de crimes : des ponts furent bloqués par des troupeaux libérés de la ménagerie du comte Mei, des tronçons de routes furent rendus infranchissables par des explosions et toutes les plaques de rue de la ville furent déplacées et remplacées. Jinx avait réussi à répandre le chaos dans les rues et à arrêter toute l'activité de la ville. La journée avait été bonne.

Les gendarmes attribuaient ses crimes aux gangs chimico-punks et embarquaient des dizaines de perturbateurs connus pour les renvoyer à Zaun. Que quelqu'un d'autre soit accusé de ses plans diaboliques ne plaisait pas à Jinx et elle décida de se faire voir sur chaque scène de crime. Des rapports circulaient qui mentionnaient une mystérieuse gamine zaunienne aux cheveux bleus, mais la plupart des gens avaient du mal à croire à ce personnage armé d'explosifs techno-chimiques, d'un lance-roquettes à gueule de requin et d'un fusil à répétition. Après tout, comment une va-nu-pieds de Zaun pourrait-elle obtenir des armes si dangereuses ?

La vague de crimes prit des proportions de plus en plus démentielles, jusqu'à ce que Jinx déclenche une série d'explosions dans toute la ville simultanément. Un nombre considérable des constructions civiques et artistiques érigées par les clans de Piltover furent détruites dans des conflagrations qui embrasèrent les cieux jusqu'à l'aube. Compte tenu de l'heure tardive, nul ne fut blessé, mais les chefs de clan furent scandalisés de voir leurs monuments réduits en cendres.

La vague de crimes de Jinx continua pendant des semaines, sans que les gendarmes ne parviennent à mettre la main sur elle. Elle laissa sur toutes les scènes de crime des graffitis insultants et des messages ironiques qui visaient plus spécifiquement la nouvelle alliée de Piltover dans la lutte contre le crime : Vi. Ce sont ces messages qui finirent par révéler le nom du nouveau perturbateur de Piltover : Jinx.

À chaque nouveau crime audacieux, Jinx devint plus légendaire et les habitants de Zaun se divisèrent entre admirateurs, qui se réjouissaient de ce qu'elle infligeait à Piltover, et détracteurs, qui craignaient que sa folie ne conduise jusqu'à Zaun toutes les forces de police. Cela faillit être le cas quand Jinx sabota la Porte du Soleil, ce qui retarda pendant des heures le flux des navires et coûta des sommes colossales aux clans dirigeants de la ville.

Ayant ainsi découvert ce qui faisait vraiment mal à Piltover, Jinx fit une annonce qui ne pouvait laisser personne de marbre : elle menaça de voler l'argent de la ville. Elle barbouilla une caricature de Vi sur les murs des Coffres écliptiques, l'une des salles du trésor les plus sécurisées de Piltover, sans oublier de préciser quand elle avait l'intention d'y faire son casse.

Une excitation angoissée s'empara de Piltover et de Zaun dans les semaines qui précédèrent la date fixée par Jinx. Beaucoup doutaient que Jinx aurait l'audace de se montrer alors que sa capture était presque certaine. Quand le jour indiqué arriva, Vi, Caitlyn et les gendarmes, refusant de prendre le moindre risque, avaient préparé un piège pour Jinx autour de la salle du trésor. La cloche du beffroi sonna à l'heure dite, mais rien ne se passa. Jinx semblait s'être dégonflée, mais en vérité elle avait un temps d'avance sur ses adversaires.

En dépit de l'apparente anarchie de ses actions, elle avait un plan et elle en avait lancé les premières étapes des jours plus tôt. Elle s'était cachée dans une caisse de pièces modifiée, à l'une des Tours de péage des Portes du Soleil, et avait été déposée dans les Coffres écliptiques deux jours plus tôt. Jinx était déjà sur place et elle s'apprêtait à semer le chaos, laissant derrière elle ses habituels graffitis roses sur tous les murs, se balançant aux chandeliers et plaçant des surprises explosives dans chaque coffre.

Entendant la cacophonie à l'intérieur, Vi réalisa ce qui se passait ; elle fonça à l'intérieur du bâtiment sans écouter Caitlyn qui ordonnait d'entrer en équipe. Le combat qui s'ensuivit détruisit les coffres dans un mélange ininterrompu d'explosions et de démolitions. Finalement, Jinx et Vi se retrouvèrent face à face dans la salle la plus profonde et la plus sécurisée. Nul ne sut ce qui s'était passé entre elles, car Vi poursuivait Jinx avec une bonne longueur d'avance sur les autres forces de l'ordre. Toutes les deux étant enfermées dans les sous-sols, Jinx tira ses roquettes vers le plafond et tout le bâtiment s'effondra. Les gendarmes, toujours dans les niveaux supérieurs, parvinrent à s'échapper avant l'écroulement, mais Vi resta coincée à l'intérieur. Elle ne put éviter d'être écrasée qu'en se cachant dans la caisse grâce à laquelle Jinx avait réussi à s'introduire dans le coffre. Elle parvint à s'extraire des ruines à coups de poing, tout en se demandant si Jinx gisait quelque part sous les décombres. Mais elle ne se le demanda pas longtemps : dernière moquerie, un graffiti sur les ruines défiait Vi de l'attraper. On ne trouva nulle trace de l'agitatrice aux cheveux bleus, qui avait disparu sans daigner prendre une seule pièce dans les coffres.

Jinx reste, depuis ce jour, une épine permanente dans le pied de Piltover. Ses actions ont inspiré nombre d'imitateurs au sein des gangs chimico-punks de Zaun ainsi que des pièces satiriques dans les deux villes. Son objectif ultime (ou la raison pour laquelle Vi semble l'obséder) reste un mystère, mais une chose est certaine : ses crimes ne cessent de croître en audace.
 
 
Invitée surprise
 
 
Jinx détestait les jupons.

Les corsets aussi, mais elle s'amusait d'avoir su utiliser si ingénieusement l'espace offert sous les afféteries de ces vêtements volés. Ses longues tresses bleues étaient cachées sous l'un de ces bonnets à plumes ridicules qui faisaient fureur à Piltover cette saison. Jinx se promenait parmi les invités de la noce, ne relâchant jamais son sourire et luttant pour ne pas hurler devant la foule qui l'observait avec des yeux de poisson mort. Résister à l'impulsion de les secouer pour les réveiller demandait des efforts surhumains.

Jinx était venue pour se lâcher dans l'observatoire construit au sommet du manoir du comte Sandvik, mais lorsqu'elle s'était rendu compte qu'un mariage s'y tenait... Bah, c'était une trop belle occasion de chaos pour la laisser passer. Le comte n'avait reculé devant aucune dépense pour faire du mariage de sa fille un spectacle mémorable. Tout le gratin de la bonne société piltovienne était présent : chefs des principaux clans, artisans Hextech célèbres... Même le grassouillet Nicodemus avait réussi à se faire inviter. Le préfet de gendarmerie ressemblait à un Poro obèse dans son uniforme de cérémonie et ses yeux lorgnaient en permanence le buffet. Un orchestre de chambre jouait une musique lente qui donnait à Jinx envie de bâiller. Elle préférait de loin la musique festive de Zaun, qui faisait tourner les têtes et taper du pied.

Des Hexlumens équipés de zootropes et d'objectifs bizarrement orientés projetaient sur le sol des ombres de danseurs qui virevoltaient au plus grand plaisir d'enfants qui n'avaient jamais connu la faim ni la douleur. Des mimes et des prestidigitateurs se déplaçaient dans la foule, enchantant les invités avec leurs tours de cartes. Jinx avait déjà vu mieux. Les puigniards des Marchés limitrophes, en comparaison, leur en aurait donné pour leur argent. Littéralement.

Des huiles de Piltover pendaient aux murs dans des cadres de chêne enchâssés de décorations de cuivre. Les hommes et les femmes de ces portraits semblaient observer la foule avec dédain. Jinx tira la langue à chacun d'eux en passant, souriant à leur apparente désapprobation. Les fenêtres aux verres multicolores faisaient au sol des mosaïques en arc-en-ciel et Jinx sautilla joyeusement sur les carrés de lumière jusqu'à une table couverte d'assez de nourriture pour alimenter une centaine de familles zauniennes pendant un mois.

Un maître d'hôtel en livrée la dépassa, portant sur un plateau d'argent des flûtes d'un breuvage doré et pétillant. Elle prit un verre dans chaque main et virevolta avec un sourire. À faire ainsi des pirouettes, elle ne mit pas longtemps à tacher de mousse l'arrière de plusieurs robes de soirées et costumes chics, ce qui la fit ricaner.

« À la vôtre », dit-elle avant d'avaler ce qui restait dans les verres.

Elle se baissa et plaça les flûtes sur le sol, sur le passage des danseurs qui approchaient, puis elle rota les premières mesures d'une chanson qu'elle venait d'inventer : « Vi est une tête de lard ». Les dames de la bonne société tournèrent ostensiblement le dos à sa vulgarité et Jinx plaça une main sur sa bouche ouverte, feignant d'être outrée. « Désolée, je l'ai fait volontairement par accident. »

Elle s'éloigna en sautillant et prit sur un autre plateau de passage des machins bizarres qui ressemblaient à des poissons. Elle les lança en l'air et parvint à en rattraper un directement dans la bouche. Quelques-uns tombèrent dans son corsage et elle les en retira avec la joie d'un habitant du puisard qui vient de trouver quelque chose de brillant dans la boue.

« Vous pensiez pouvoir m'échapper, les morues ! » s'exclama-t-elle en montrant le doigt à chaque morceau. « Vous aviez tort. »

Jinx fourra la nourriture dans sa bouche et rajusta sa robe. Elle n'avait pas l'habitude de porter ce genre de choses et elle eut un petit rire à l'idée de ce qu'elle avait caché dessous. Ses cheveux se dressèrent sur sa nuque et, en levant les yeux, elle aperçut un homme qui la regardait à l'extrémité de la pièce. Un peu rigide, il était tout de même séduisant et portait des vêtements de cérémonie, mais il ne faisait aucun doute que c'était un gendarme. Il aurait pu tout aussi bien porter son insigne autour du cou ! Jinx se détourna et s'enfonça plus profondément dans la foule des invités.

Elle atteignit le buffet et admira l'immense pièce montée, chef-d'œuvre de pâte d'amande rosâtre, de crème fouettée et de dentellerie en caramel. Une réplique de la Tour de la Techmaturgie en génoise, confiture et sucreries. Jinx tendit le bras, prit la louche dans le bol de punch et creusa un trou dans la génoise. Elle versa le contenu de sa louche sur le sol avant de la lécher et de la rejeter sur la table. Elle s'aperçut qu'un certain nombre d'invités la regardaient bizarrement et leur répondit avec un magnifique sourire de dément. Ils pensaient peut-être qu'elle était folle. Ils avaient peut-être raison.

Jinx haussa les épaules. Aucune importance.

Elle plongea sa main dans son décolleté et en retira quatre pyromâcheurs. Elle en plaça trois, profondément, dans le trou qu'elle avait creusé dans la pièce montée et lâcha le quatrième dans le bol de punch.

Jinx remonta toute la longueur de la table et sortit deux pyromâcheurs de plus, qu'elle déposa dans des plats en passant. Le premier finit dans une soupière de cuivre, l'autre remplaça la pomme dans la bouche d'un cochon de lait. Sa robe flottait davantage maintenant qu'elle s'était débarrassée de ses munitions et, alors qu'elle baissait la fermeture éclair latérale, Jinx repéra le gendarme en civil qui traversait la foule dans sa direction.

« Pas trop tôt », dit-elle, repérant quatre autres agents qui convergeaient vers elle : trois femmes et un homme. « Oh, et tu as amené des copains ! »

Jinx tira au creux de ses reins les cordons qui retenaient ses jupons autour de sa taille fine. Le bas de sa robe tomba au sol avec son corset, pour la plus grande stupéfaction des hommes et des femmes qui l'entouraient.

Jinx n'était plus que leggings roses, short, ceinture de munitions et gilet, il ne lui resta qu'à ôter son bonnet pour libérer ses cheveux. Elle se pencha pour extirper Poiscaille de sa cachette sous sa robe et mit l'arme à l'épaule.

« Hé, les gens ! » hurla-t-elle, sautant sur la table du buffet et sortant Zapper de son étui de cuisse. « J'espère que vous avez tous faim... »

Jinx pivota sur ses talons et tira une décharge d'énergie sur le pyromâcheur placé dans la bouche du cochon.

« Parce que ce buffet est à s'en faire exploser la sous-ventrière ! »

Le pyromâcheur explosa, éclaboussant les invités les plus proches de graisse et de viande brûlées. Des détonations retentirent en chaîne. La soupière vola dans les airs et recouvrit un groupe d'invités de soupe bouillante. Puis le bol de punch explosa, aussitôt suivi en apothéose par la pièce montée.

Les trois pyromâcheurs se déclenchèrent simultanément et le gâteau fut propulsé dans les airs comme une fusée. Il atteignit presque le plafond avant de décrire un arc et de retomber vers le sol. Les invités se dispersèrent tandis que le gâteau géant explosait à l'impact et que des fragments de nougatine volaient dans toutes les directions. Hurlant, ils glissaient sur le tapis de punch, de soupe et de crème.

« Allez-y, criez ! » dit Jinx en soufflant pour dégager son visage de la mèche qui retombait dessus. « Je plaisante, ça sert à rien. »

Elle sauta de la table et tira avec Poiscaille une roquette qui fit exploser la fenêtre la plus proche. Des carreaux d'arbalètes crépitèrent autour d'elle et se fichèrent dans les murs, mais Jinx ricana avant de sauter par l'embrasure et d'atterrir dans le jardin. Elle se rétablit en un roulé-boulé. Elle avait plus ou moins planifié une voie de sortie, mais en regardant vers l'entrée du manoir Sandvik, elle vit un étincelant discomobile qu'il serait sans doute très amusant de voler.

« Il faut vraiment que j'essaie... »

Elle cala Poiscaille sur son épaule, se faufila d'un coup de coude dans un groupe d'employés de Sandvik et enfourcha la selle de cuir du discomobile.

« Bon, ça démarre comment, ce truc ? » se demanda-t-elle, observant la forêt de boutons d'ivoire, de cadrans de cuivre et de curseurs brillants sur le panneau de contrôle.

« Bah, c'est en essayant qu'on apprend ! »

Jinx tira le levier le plus proche et appuya sur le bouton le plus gros et le plus rouge qu'elle trouva. La machine vibra sous elle, geignant et sifflant dans un bruit caractéristique de montée en puissance. Des lumières bleues s'allumèrent sur les bords du large disque au moment où les portes principales du manoir s'ouvraient en coup de vent. Des voix sévères lui donnèrent l'ordre d'arrêter. Mais comment donc ! Les stabilisateurs se rétractèrent dans la coque scintillante et Jinx se mit à hurler de joie tandis que le discomobile s'éloignait du manoir à la vitesse d'une super roquette de la mort.

« À la revoyure ! » hurla-t-elle par-dessus son épaule. « Géniale, cette sauterie ! »
 
 
DrMundo Square 0   Dr. Mundo - Dément de Zaun
 
 
Complètement fou, meurtrier sans scrupule, désespérément violet, Dr. Mundo oblige les citoyens de Zaun à s'enfermer chez eux lors des nuits les plus noires. Ce monstre monosyllabique ne semble rien rechercher hormis la douleur : celle qu'il inflige comme celle qu'il subit. Trimballant son énorme hachoir comme s'il ne pesait rien, Mundo est tristement célèbre pour avoir capturé et torturé des dizaines de citoyens de Zaun au profit de ses épouvantables « opérations », qui semblent n'avoir ni queue ni tête. Il est brutal. Il est imprévisible. Il va où il veut. Techniquement, il n'est pas docteur.

Il y a de nombreuses versions de la première apparition à Zaun de l'imprévisible dément. Certains prétendent l'avoir vu bébé, rampant sous le marché de Piltover et terrifiant les aristocrates par son odeur méphitique. D'autres disent qu'il est né à Zaun et a passé les premières années de sa vie à se faufiler dans les égouts en ôtant la vie aux rats du Puisard. Mais une chose est sûre : quand il eut atteint l'âge d'environ trois ans, il fit son entrée dans l'Asile de Zaun pour les Irrécupérables.

Les autres internés le tinrent tout de suite à distance, mais le personnel de l'asile trouva en l'enfant une source continue de fascination. Ils ne le considéraient pas comme un enfant à élever mais comme un patient à étudier. Pourquoi était-il violet ? Qui avait pu donner naissance à une créature d'une telle taille et survivre ?

Dans l'année qui suivit son arrivée, les docteurs comprirent que la couleur éclatante de sa peau ne changerait jamais. Quand Mundo eut quatre ans, les médecins découvrirent l'ampleur de sa force lorsqu'il écrasa accidentellement la trachée d'un infirmier qui ne lui avait pas apporté son bonbon préféré (des ongles d'orteils). Quand Mundo eut six ans, on découvrit qu'il entretenait une relation particulière avec la douleur. Vraiment particulière.

Mundo ne semblait pas s'émouvoir de la douleur, tout simplement. Bien plus, il la recherchait activement. Si on le laissait sans surveillance, il aiguisait des instruments tranchants sur ses épaules. Si on le plaçait à proximité des autres patients, il ne fallait jamais plus de quelques minutes pour que des hurlements de douleur s'élèvent.

Le personnel de l'asile se lassa vite d'observer Mundo. Les médecins décidèrent que l'heure des expérimentations était venue. On ignore s'ils commencèrent leurs tests par curiosité médicale, par désir de percée scientifique ou par ennui. En tout cas, les docteurs firent sans conteste beaucoup d'efforts pour comprendre l'énigme violette.

Au cours des années qui suivirent, ils éprouvèrent les limites de sa résistance à la douleur. Ils enfonçaient des bâtonnets sous ses ongles et il riait. Ils plaçaient des fers chauffés à blanc sur ses pieds et il s'endormait. Peu à peu, la curiosité scientifique céda la place à la frustration : les docteurs étaient incapables de faire réagir négativement Mundo à la douleur, et ils ne savaient pas pourquoi. Bien plus, les dégâts qu'ils lui infligeaient se soignaient invariablement en quelques heures.

Tout au long de son adolescence, la vie de Mundo ne fut qu'un long isolement consacré à des tortures quotidiennes.

Il n'avait jamais été plus heureux.

Il en vint à considérer les docteurs comme des modèles. Si la douleur était la passion de Mundo, c'était devenu une vocation pour les médecins : leurs innombrables tentatives pour repousser le seuil de douleur se firent de plus en plus originales au fil des années : pieds plongés dans l'acide ou mites carnivores lancées en plein visage.

Les docteurs de l'asile furent d'abord amusés quand l'adolescent violet commença à se présenter comme « Docteur Mundo ».

Il avait volé une seringue à un infirmier et l'avait remplie d'un mélange de jus de mûraille et de Dieu sait quoi tiré de son pot de chambre. « Mundo fait des potions ! » s'exclama-t-il joyeusement en s'injectant le produit dans la tête.

À force, cependant, Mundo se fatigua de faire des expériences sur lui-même.

Beaucoup de gens se posent des questions sur les motivations de Mundo. Certains affirment qu'il se venge des années de torture qu'il a endurées aux mains du personnel de l'asile. D'autres pensent simplement que c'est un monstre psychopathe dénué de toute morale.

La vérité est beaucoup plus simple : Mundo décida un beau jour qu'il était temps pour lui de mettre ses recherches en pratique.

Une nuit, il se faufila dans la cuisine. Il y trouva un énorme hachoir. Son instrument « médical » en main, Mundo alla de salle en salle, « opérant » les « patients » qui s'y trouvaient, sans autre logique que ce qui le divertissait le plus à un moment donné.

Au petit jour, tout le monde dans l'asile était « guéri », sauf Mundo.

Il récupéra une blouse blanche sur l'une de ses victimes, mais ses muscles en déchirèrent les coutures quand il glissa dedans sa carrure herculéenne. Mundo avait réalisé son rêve. Il était médecin ! En tant que nouveau membre d'une longue et illustre lignée de professionnels de la santé, il lui fallait partager ses aptitudes avec le reste du monde. Sa tâche ne faisait que commencer.

Il défonça les portes closes de l'asile où il avait vécu tant d'années. Mundo s'enfonça dans le labyrinthe de Zaun, la démarche joviale et un sourire sur le visage.

Un nouveau docteur était né !
 
 
Respecter les malades
 
 
Ça fait un moment que Mundo n'a plus fait une visite à domicile, pensa Mundo, caressant l'énorme langue violette qui pendait de sa bouche comme celle d'un criminel pendu à un gibet.

Il s'extirpa de son lit (une grande caisse de bois remplie de couteaux aiguisés et de clous rouillés), se brossa les dents (avec une lime à ongles) et avala son petit-déjeuner (un chat). Mundo se sentait plein d'entrain. Il se sentait plein de vie.

C'était un jour parfait pour exercer la médecine.

Le premier patient qu'il repéra vendait des gouttes de luminance devant le Répare-membres de Ranker. L'homme boitillait en cercles, hurlant à qui voulait l'entendre que sa luminance leur ferait vivre des sensations incomparables et que quiconque n'en achetait pas immédiatement était un imbécile qui ne méritait pas de jeter un regard sur lui. Et attention, quand on le regardait de travers, il faisait un massacre.

Mundo sortit son carnet, un outil qu'il utilisait souvent pour noter ses observations sur ses patients d'hier et d'aujourd'hui. Le carnet était grand, jaune et imaginaire.

Le patient montre des signes d'hystérie, aurait écrit Mundo s'il n'avait pas été en train de tracer des signes en l'air d'un doigt charnu. Possible infection du système nerveux par virus crânien, aurait-il ajouté s'il avait été capable d'une pensée polysyllabique.

« MUNDO SOIGNE TÊTE ET ZONE FACIALE », pensa-t-il.




Rank était sur le point de remballer ses gouttes de luminance et de rentrer chez lui pour la nuit. Il avait besoin de nouvelles chaussures. Celles qu'il avait lui râpaient les pieds, et après une telle journée de travail, n’avait-il pas mérité un cuir plus doux ?

Pendant que Rank méditait sur ses semelles, un énorme monstre violet jaillit soudain de la pénombre et hurla : « MUNDO A LES RÉSULTATS DE TES TESTS SANGUINS ! »




Mundo laissa plus ou moins son premier patient comme il l'avait trouvé (moins quelques membres) et se dirigea vers le Commercia fantastique, un marché spécialisé dans les jouets forgés. La plupart des boutiques étaient fermées, mais Mundo repéra un Zaunien qui chancelait sur le trottoir. L'homme chantait une balade qui parlait d'une jeune beauté piltovienne et du timide garçon de la ville inférieure qui l'aimait, sauf qu'il semblait avoir oublié la plupart des paroles et une bonne partie de la mélodie. Dans sa main se balançait une bouteille vide, et il ne semblait pas avoir pris de bain depuis des mois.

Cet homme était-il atteint du même mal que le vendeur de luminance ? Était-ce un virus ? Une épidémie était-elle sur le point d'éclater ? Mundo devait agir rapidement.

C'était à l'évidence un homme qui avait besoin de soins médicaux.




« PRENDS-EN DEUX ET APPELLE MUNDO DEMAIN », dit la monstruosité violette en enfonçant le hachoir dans le dos de l'alcoolique.




Mundo descendit dans le Puisard de Zaun. S'il y avait un virus dans les parages, il provenait sans doute de là. Il devait y avoir un patient zéro quelque part. S'il pouvait soigner le premier malade de cette mystérieuse maladie, Mundo était sûr de pouvoir secourir le reste de Zaun.

Mais comment Mundo allait-il trouver un patient spécifique dans la cohue du Puisard ? Quelle démarche devait-il suivre pour isoler, mettre en quarantaine et résorber les souffrances des Zauniens ? Comment allait-il...

Mundo entendit quelque chose. Des bruits de pas et un cliquetis métallique rythmé.

Il suivit ce bruit aussi précautionneusement et silencieusement que possible (il ne fallait pas faire fuir un patient susceptible d'infecter davantage de personnes), et il trouva exactement ce qu'il cherchait.

Un jeune garçon. Il avait au plus quinze ans, une grande mèche blanche et dans la main un large morceau de métal qui ressemblait à une épée. Une sorte de sablier était tatoué sur son visage. Un avertissement, peut-être ? Un symbole indiquant qu'il ne fallait l'approcher sous aucun prétexte ?

Mundo savait qu'il le trouverait. Le patient zéro.

L'opération promettait d'être complexe et allait requérir de la dextérité et des compétences ; sans compter que...




« ÇA VA PIQUER UN PEU ! » hurla la créature en bondissant. Son énorme silhouette violette traversa les airs, hachoir en main et langue au vent.

Le garçon fut surpris, mais il était sur ses gardes. Quiconque grandissait dans le Puisard devait constamment être prêt à tout et le gamin avait eu le temps de se préparer.

Tout le temps, même.




Pas de doute : c'était un patient à problèmes.

L'adolescent refusa de répondre aux questions de Mundo sur ses antécédents médicaux et esquiva toutes les tentatives du bon docteur pour lui faire prendre ses médicaments. Il n'en finissait plus de se répéter (peut-être un cas d'amnésie physique ?) et ne montrait aucun respect envers l'autorité du Dr. Mundo.

Les deux combattants s'affrontèrent pendant des heures. Mundo fit quelques remarques qu'il estimait pertinentes sur les avantages de son traitement, mais l'enfant refusa toutes ses tentatives pour l'aider.

Mundo finit par se fatiguer de sa dispute avec le garçon. Il essaya une dernière fois d'appliquer son traitement, en exhibant son scalpel avec la dextérité d'un duelliste demacien. Son serment médical (MUNDO SOIGNE TOUT, MUNDO FAIT MÉDECINE TRÈS FORT) lui traversa l'esprit encore et encore. Son désir de soigner cet enfant le remplit de détermination.

Il s'y consacra avec toute sa puissance.

Le traitement fut un succès.

Mais aussitôt, pour une raison inconnue, le traitement s'inversa de lui-même. À chaque fois que Mundo parvenait à accomplir un progrès, le traitement était brusquement annulé. Au grand désespoir de Mundo, l'enfant parvint finalement à s'enfuir sans avoir été soigné.

Mundo rugit de frustration.

« POURQUOI MUNDO NE LES SAUVE PAS TOUS ? » hurla-t-il en regardant le ciel.




Toutes les opérations n'étaient pas vouées à réussir, évidemment. Mundo était le premier à l'admettre. Mais Mundo essaya de se concentrer sur le positif. En dehors du plus récent patient, il avait su aider tous les malades qu'il avait rencontrés. C'était une bonne journée de travail et il était temps de prendre du repos.

Alors que le soleil se levait, Mundo rentra chez lui et se mit au lit. Qui savait de quoi demain serait fait ? Un autre patient à soigner. Une autre épidémie à enrayer.

Un docteur ne pouvait jamais prendre de repos.
 
 
Blitzcrank Square 0   Blitzcrank - Golem de vapeur
 
 
Blitzcrank est un gigantesque golem de vapeur quasi indestructible, construit à l'origine pour manipuler les déchets dangereux de Zaun. Ayant bénéficié d'évolutions dépassant les limites de son cadre d'origine, il met aujourd'hui sa force et sa résistance au service des autres. Doté de la capacité de percevoir les fausses intentions et les impostures, et ainsi de révéler les intentions réelles qu'elles dissimulent, Blitzcrank s'efforce de protéger tous ceux qui sont dans le besoin.

Peu après la découverte du procédé Hextech, les inventeurs et les scientifiques commencèrent à affluer à Zaun, où ils allaient pouvoir s'affranchir des régulations strictes de Piltover afin de procéder à des expériences employant des matériaux volatils. Leurs tentatives se soldaient le plus souvent par des désastres, qui réduisaient en miettes des bâtiments entiers et déversaient des produits toxiques dans les ruelles proches. Une équipe de l'Université de techmaturgie mit au point des golems alimentés par l'énergie de la vapeur, dont la mission était d'enlever les débris contaminés. Cette tâche, en effet, était jugée trop dangereuse y compris pour les Zauniens les plus déconsidérés.

Les golems travaillaient d'arrache-pied dans les rues de la ville, où ils transportaient les déchets vers des décharges qui se faisaient de plus en plus nombreuses. Malgré la robustesse de ces machines, les accidents étaient fréquents, et il n'était pas rare que l'université récupère les automates par petits morceaux. Purger les profondeurs de Zaun de son rebut n'était pas chose facile. Les produits chimiques corrosifs avaient vite fait de ronger leurs carapaces métalliques.

Un jeune inventeur ambitieux du nom de Viktor rêvait de créer une machine capable d'effectuer sa mission de nettoyage plus efficacement, tout en évitant de devoir dépenser des fortunes en réparation. Il regroupa des pièces détachées prises sur des golems hors service, en évitant les composants tape-à-l'œil qu'affectionnaient bon nombre de ses collègues. Quand bien même il employa un assemblage disparate de matériaux a priori indésirables, Viktor parvint à créer une machine plus résistante que les autres.

Il avait espoir que sa création, qu'il nomma Blitzcrank, puisse éliminer rapidement n'importe quelle sorte de déchets toxiques, le rendant plus fort encore que la somme de ses pièces détachées. Lui ayant insufflé le désir insatiable d'aider les habitants de Zaun en éradiquant les toxines dans lesquelles ils doivent vivre, Viktor l'envoya proposer ses services dans le Puisard.

Le golem prit à cœur l'idée que lui avait injectée Viktor. Il était convaincu que l'altruisme et l'abnégation pouvaient assurer la prospérité de la cité tout entière. Blitzcrank rejoignit les autres machines dans leur travail de purification et mena des missions de reconnaissance bien au-delà des zones habituellement affectées par la pollution. Il purgeait bravement les quartiers de leurs dépôts de produits chimiques les plus dangereux, sans jamais éprouver le besoin de retourner à l'université pour se faire réparer.

Confronté aux autres dangers de la vie civique, Blitzcrank commença à envisager un programme de plus en plus ambitieux pour les autres golems et lui, mais s'aperçut bien rapidement qu'il avait été conçu de telle sorte qu'il lui était impossible de travailler en dehors du cadre de sa mission de nettoyage des déchets. Un soir, il emprunta la précieuse boîte à outils de Viktor et en utilisa les clés à molette pour ouvrir son propre moteur à vapeur. Il reconfigura ses mécanismes et supprima tout ce qui bridait ses fonctions, de telle sorte qu'il puisse avoir un impact encore plus positif sur la ville.

Au cours des semaines qui suivirent, Blitzcrank organisa des évacuations de quartiers entiers afin d'aider les habitants à échapper aux émanations toxiques, assura la redirection du système de distribution alimentaire pour en améliorer l'efficacité, et répara une machine de filtrage des eaux qui alimentait un puits communautaire. À chaque nouvelle bonne action, la conviction intime de Blitzcrank ne faisait que se renforcer, au point qu'il développa une conscience à un degré jusque-là jamais vu chez tous les autres golems.

Viktor ne manqua pas de constater le changement de comportement de sa création, et examina la possibilité de répliquer dans d'autres machines la conscience supérieure et autonome de Blitzcrank. Mais ce dernier ne lui révéla jamais ce qui avait causé son éveil, et en l'absence de cette information, Viktor se trouva incapable de concrétiser son intention.

Blitzcrank errait à toute heure dans les rues de Zaun. Il refusait de s'arrêter ou de se reposer, convaincu qu'il y avait toujours, quelque part, des personnes dans le besoin. Il n'aidait pas seulement les humains, mais aussi les animaux des rues, et même les automates cassés. Le jour où un incendie détruisit le beffroi des Davoran, il secourut une famille de mécaniciens et son chat noir de suie en utilisant son énorme bras mécanique, et parvint même à sauver la figurine articulée d'une danseuse dans la chambre d'un des enfants.

Pour le golem de vapeur, chaque action, quelle que soit son ampleur, pouvait avoir un impact. En une seule journée, il empêcha un casse organisé par un chimico-punk, rattrapa le fruit glacé d'un enfant avant qu'il ne tombe au sol et sauva un Poro qui s'était échappé d'un cirque itinérant alors qu'il était sur le point d'être écrasé par un vélocipède déréglé.

Au fil du temps, Blitzcrank apprit que certains des gens qu'il avait aidés avaient succombé à des maladies provoquées par leur exposition aux produits dangereux. Ébranlé par son incapacité à les aider, il se tourna vers son créateur. Viktor, qui s'intéressait de près à la possibilité de faire évoluer l'humanité pour l'arracher à sa propre mortalité, était des plus enthousiastes à l'idée de l'aider. Il promit à sa création que grâce à ses percées dans le domaine de la techmaturgie, ils seraient capables de vaincre la mort.

Blitzcrank parvint à convaincre une famille du Puisard d'essayer la méthode de Viktor. Il unit ses forces à celles de l'inventeur pour installer sur eux un mécanisme capable de s'intégrer à leur corps et d'éliminer leur maladie.

Au départ, la transition était une réussite. La famille parvint à retrouver la mobilité qu'elle avait perdue à cause de la pathologie. Mais au bout de quelques mois de bonne santé, leur état recommença à décliner. Viktor et Blitzcrank redoublèrent d'efforts pour tenter de trouver un remède, mais ils ne faisaient que repousser l'inévitable. La famille entière finit par mourir.

Dévasté par leur échec, Blitzcrank était désormais convaincu que ce n'était pas comme cela qu'il voulait aider les autres. C'est en tant que collègue et qu'ami qu'il coupa les ponts avec son créateur. Il espérait désormais simplement changer les choses du mieux que possible pour les habitants de Zaun.

Si certains considèrent Zaun comme un lieu de chaos, en proie à des expériences scientifiques néfastes et à l'anarchie, Blitzcrank y voit lui un nombre infini de possibilités. Il arpente aujourd'hui la ville pour trouver comment y semer le bien, en prêtant attention à tous ceux que la société a rejetés ou oubliés. Il est convaincu qu'en graissant un peu ses essieux, Zaun pourra devenir la plus grande ville de l'histoire de Valoran.
 
 
Ensemble
 
 
La carcasse massive de l'Ascenseur Rugissant se dresse devant moi. Sa délicate structure en fer est traversée par les vibrations de ses rouages sans fin. Certains racontent qu'on le dit rugissant à cause du loup en fer forgé que l'on voit hurler sur la pointe du transporteur Hexdraulique. D'autres prétendent que le fantôme d'un servant à la capuche noire hante la cabine et que, quand l'ascenseur se soulève et l'arrache à son amour perdu à Zaun, ses cris de douleur résonnent et font trembler son armature métallique. De nombreux Piltoviens, qui ne font jamais confiance qu'à leur propre jugement, sont convaincus que le nom ne désigne rien de plus que le vent froid qu'on entend siffler entre les crevasses que surplombe leur ville.

Mais pour moi, ce rugissement n'a rien d'un simple cri isolé. C'est un orchestre de bruits dont la mélodie est faite du mélange de milliers de sons uniques. C'est ce qui me plaît, dans cette machine.

L'ascenseur à plusieurs étages, maintenu par trois piliers verticaux qui traversent la ville dans toute sa hauteur, descend jusqu'à la Promenade et ralentit jusqu'à s'arrêter dans un grand vacillement.

« Les passagers pour la Promenade ! » annonce la contrôleuse, dont la voix est amplifiée par un sonophone en forme de cloche. Tout en parlant, elle ajuste ses épaisses lunettes de protection. « Marchés limitrophes, Université de techmaturgie, Centre horticulturel. »

Les passagers sortent en masse. Des dizaines d'autres embarquent et se répartissent sur les différents étages : des marchands qui se rendent à Zaun pour commercer avec les bazars nocturnes, des ouvriers qui rentrent chez eux dormir, des Zauniens fortunés qui vont assister aux efflorescences nocturnes dans les dômes de verre des cultivairs. Et puis il y a les passagers invisibles qui ont fait de l'Ascenseur Rugissant leur maison. Je les observe alors qu'ils détalent dans les ombres : les rats pestiférés, les lièvres sombres et les scarabées émeraude.

Parfois, je descends la falaise jusqu'au Puisard à la force de mes bras, mais ce soir, l'harmonie des sons de l'ascenseur me manquait.

Au lieu d'entrer par la porte, je m'accroche sur l'extérieur de la cabine jusqu'à agripper la barre inférieure, sur laquelle des supports en acier strié forment l'encadrement des vitres. Mes plaques de métal crissent alors que je me hisse sur la structure, attirant ainsi les regards des passagers et la moue désapprobatrice de la contrôleuse. Ma connaissance des expressions faciales s'améliore chaque jour.
La plupart des passagers restent à l'intérieur du compartiment, bien à l'écart du froid et de la crasse. Mais à l'extérieur, à l'air libre, je peux entendre le claquement si satisfaisant des mécanismes qui s'animent et le doux chuintement de la vapeur que crache la machine alors qu'elle s'enfonce dans Zaun. De toute façon, je n'arrive pas à passer la plupart des portes.

Un jeune garçon qui serre la main de son père fouille-puisard me regarde fixement à travers la fenêtre. Alors que je lui fais un clin d'œil, il m'adresse un visage bouche bée qui me semble exprimer sa surprise. Il se recroqueville derrière son père.

« Descente ! » s'écrie la contrôleuse. Elle fait sonner une lourde cloche et ajuste les cadrans d'un boîtier rouge lumineux. Je sens presque les commandes vrombir alors qu'elles se propagent dans les câblages du moteur du transporteur.

En dessous de nous, les flèches de fer des tours de Zaun et les cultivairs verdâtres scintillent comme des bougies dans l'obscurité. Dans le grincement bruissant de son mécanisme, le Rugissant descend le long des trois immenses piliers sous le poids du fer, de l'acier et du verre. Le tuyau supérieur crache une bouffée de vapeur dans un sifflement.

À l'intérieur de la cabine, le fouille-puisard et son fils observent un musicien en train d'accorder son chitarrone à quatre cordes avant d'entamer une bruyante chanson. Son air semble suivre le claquement des rouages et le ronronnement des machines. Le père bat le rythme du pied. Un scarabée claque des pattes en tentant d'échapper à ses lourdes bottes. Un gang de chimico-punks se tient appuyé le long du mur, dans un calme qui semble en décalage avec les débordements habituels de leurs sorties en ville.

Pendant notre descente, l'ascenseur vrombit dans une parfaite fusion de ses sons. Je m'émerveille de la symphonie qui m'entoure, au point de chantonner une mélodie sur ces bourdonnements. Je me demande si ceux qui sont autour de moi ressentent eux aussi ce rythme qui me traverse.

« Entresol ! » s'écrie la contrôleuse alors que l'ascenseur se met à ralentir. Deux coursiers portant des paquets tressés descendent, ainsi qu'un groupe de chercheurs en techno-chimie et toute une foule de marchands. Quelques Zauniens joviaux, de retour du quartier des théâtres, embarquent.

« Descente ! » dit-elle en faisant sonner la cloche, ce à quoi le Rugissant répond en vrombissant de plus belle. Le transporteur commence à s'enfoncer et, sous l'effet de la vapeur qui s'échappe des conduits en surplomb, les vitres se recouvrent de fines gouttelettes. Elles enduisent également mon corps de métal, pendant que reprend l'harmonie des souffles et des crissements.

Un murmure dissonant interrompt la valse des sons. La vibration est faible, mais je sens que quelque chose ne va pas. Le transporteur continue sa course comme si tout était normal, jusqu'à ce qu'un bruit sourd ébranle puis rompe totalement son rythme parfait.

Je n'ai jamais rêvé, mais je sais qu'une rupture si abrupte de sa marche normale est le pire cauchemar que peut faire une machine.

Le mécanisme sans fin s'est bloqué et les supports de fer de la cabine crissent désormais contre lui dans un bruit effroyable. De nombreuses vies sont en danger. Je ressens la douleur de la machine qui s'agrippe désespérément aux piliers de soutien. Le poids entier du Rugissant pèse contre les colonnes qui se tordent, faisant basculer dangereusement la cabine. Les rivets éclatent et le métal est arraché.

Après quelques instants d'instabilité, c'est la chute.

Dans la cabine, les passagers qui hurlent de terreur s'agrippent tant bien que mal à la première rambarde venue. C'est un autre type de rugissement.

Je resserre ma prise sur la plateforme inférieure. J'étends mon autre bras et le lance sur l'un des trois piliers de soutien. La brume a rendu la colonne de fer glissante. Je la rate de plusieurs centimètres. Je rétracte mon bras et, alors que mon dos laisse échapper une bouffée de vapeur, je fais un nouvel essai en le projetant sur un autre pilier. Nouvel échec.

Le temps ralentit. À l'intérieur, les chimico-punks se cramponnent à un rebord, tandis que le scarabée émeraude s'envole pour s'échapper par une vitre ouverte. Le fouille-puisard et son fils s'accrochent ensemble contre la vitre, qui commence à se briser sous leur poids. Le garçon dégringole, tente de s'agripper à l'encadrement, mais finit par glisser et tomber.

Je tends le bras pour le rattraper en plein vol, puis le rétracte.

« Accroche-toi bien », lui dis-je.

L'enfant se serre contre les plaques de mon dos.

Je lance une nouvelle fois le bras contre le pilier de soutien et, cette fois-ci, je parviens à agripper le métal dans un fracas retentissant. Mon autre bras se trouve lui aussi contraint de s'étendre, entraîné par la chute de la cabine. La tension est si forte que je redoute la rupture de mes jointures. Suspendu dans le vide, je tente de maintenir ma prise.

Dans un violent soubresaut, mon bras tressaille alors que l'ascenseur s'interrompt enfin dans sa chute. L'engin tremble du fait de son brutal arrêt et du seul soutien de mon bras. Le garçon, tremblotant, s'agrippe plus fort encore à mon dos.

Le Rugissant se trouve encore à une quinzaine de mètres du sol, en suspension au-dessus des bâtiments du Puisard. Mes plaques de métal qui se chevauchent gémissent à cause de l'extrême tension du poids de la cabine. Je fais le plus grand des efforts pour tenter de ne pas lâcher. Si je tombe, le Rugissant tombera avec moi, et avec nous tous ses passagers.

En voulant ajuster ma prise sur la barre de maintien, je laisse glisser mon bras le long du pilier. Nous glissons de quelques mètres. La cabine se remet à vaciller, avant de se stabiliser une nouvelle fois.

« Pardon ! » crié-je. Dans les moments de crise, signaler son empathie permet semble-t-il de rassurer les humains.

Je dois réessayer. Je dois tenir bon.

Je desserre ma prise sur le pilier le plus délicatement possible. Dans un crissement strident, nous glissons lentement le long de la dizaine de mètres qui nous séparent encore du sol. Mes valves soupirent de soulagement en se contractant.

Les passagers soufflent à leur tour, avant de se précipiter à travers les portes et les vitres brisées pour poser le pied sur le sol du Puisard. Ils se soutiennent les uns les autres pour ne pas s'effondrer.

Le garçon, haletant, serre les bras autour de mon cou. Je rétracte les bras dans un léger ronronnement, puis me baisse pour atteindre le sol, avant de m'accroupir pour qu'il puisse poser pied à terre. Il se précipite sur son père, qui le prend dans ses bras.

La contrôleuse émerge à son tour du transporteur et pose le regard sur moi.

« Vous nous avez sauvés. Vous nous avez tous sauvés », dit-elle d'une voix chancelante qui, j'imagine, exprime un état de choc. « Merci. »

« Je fais simplement mon devoir », dis-je en réponse. « Je suis content que vous ne soyez pas blessée. Passez une bonne journée. »

Elle me sourit, avant de se tourner vers les Zauniens qui se sont amassés pour proposer leur aide aux passagers et commencer les réparations. L'une des chimico-punks porte le chitarrone du musicien pendant qu'il s'extrait à quatre pattes de la cabine du transporteur. Quelques-uns des Zauniens de retour du théâtre réconfortent un vieil homme.

Deux Hex-mécaniciens se présentent devant moi et je les dirige vers un médecin en train d'installer une tente de réparation. Les murmures des passagers et les grognements pénibles de l'ascenseur blessé se mêlent maintenant aux sifflements et aux bouillonnements du Puisard. Le moteur à vapeur à l'intérieur de ma poitrine accompagne les murmures, et je me mets à siffloter un air.

Le garçon se retourne et me fait un timide salut de la main.

Je le salue en retour.

Il court pour rattraper son père. Ses lourdes bottes impriment un rythme sur les pavés. À l'intérieur de l'Ascenseur Rugissant, les rouages désaxés chantent et cliquettent. Le scarabée émeraude fait claquer ses pinces en accord avec leur battement, avant de disparaître dans le Puisard.
 
 
Viktor Square 0   Viktor - Héraut des machines
 
 
Apôtre d'un nouvel âge de technologie, Viktor a consacré sa vie à l'avancement de l'humanité. Idéaliste qui cherche à élever les gens jusqu'à un nouveau stade de compréhension, il pense que le potentiel de l'humanité ne se réalisera que si elle s'abandonne totalement à une glorieuse évolution technologique. Doté d'un corps optimisé par l'acier et la science, Viktor se voue fanatiquement à la réalisation de ce brillant avenir.

Viktor naquit à Zaun, aux confins de l'Entresol, et ses parents l'encouragèrent tout de suite dans sa passion pour les inventions et les constructions. Il consacrait chaque minute de son temps à ses études, au point de haïr les repas et les temps de sommeil qui l'éloignaient de son travail. Il détestait aussi avoir à déménager en cas de fuite industrielle, d'explosion accidentelle ou de nuage chimique à la dérive. Abandonner son travail, même pour un bref moment, était une souffrance pour Viktor.

Dans sa tentative pour offrir l'ordre et la sécurité au monde, Viktor décida de faire des recherches sur tous les accidents de Zaun et il se rendit compte que presque tous étaient dus à des erreurs humaines, pas à des problèmes mécaniques. Il offrit ses services aux entreprises locales, développant des inventions qui permettaient de concevoir des environnements de travail plus sûrs. La plupart repoussèrent ses avances, mais la forge chimique Fredersen accepta de miser sur ce jeune homme enthousiaste.

Les inventions de Viktor en matière d'automatisation firent disparaître en un mois les accidents dans la forge. Bientôt, d'autres établissements s'intéressèrent à son travail et les inventions de Viktor devinrent chose commune à Zaun ; la production s'améliora, chaque innovation supprimant l'erreur humaine d'un processus donné. Finalement, quand il eut dix-neuf ans, le jeune homme eut la surprise de se voir offrir une place à la prestigieuse Académie de techmaturgie de Zaun. Mais le travail de Viktor avait attiré l'attention du professeur Stanwick de Piltover, qui le convainquit de quitter Zaun et de choisir l'université de Piltover. Là, il aurait la possibilité de travailler dans les laboratoires les plus avancés et il aurait accès à toutes les ressources que la Cité du progrès avait à offrir. Enchanté d'avoir été remarqué, Viktor accepta l'offre et s'installa à Piltover, où il chercha à affiner son art et à perfectionner ses théories de manière à les rendre utiles à tous.

Viktor travailla avec les cerveaux les plus brillants de Piltover ; y compris un insupportable génie nommé Jayce. Tous deux avaient un intellect égal, mais là où Viktor était méthodique, logique et perfectionniste, Jayce était flamboyant et arrogant. Ils travaillaient souvent ensemble, mais ne devinrent jamais vraiment amis. Souvent, ils s'affrontaient sur l'importance de l'intuition et de la logique dans le processus d'invention, mais ils développèrent un respect mutuel nourri par leur génie respectif.

Viktor poursuivait ses études à Piltover quand une énorme fuite chimique dévasta des quartiers entiers de Zaun, et Viktor retourna chez lui pour offrir son aide aux équipes de secours. En introduisant une série complexe de boucles cognitives dans une technologie d'automatisation préexistante, il créa un golem unique, Blitzcrank, pour aider au nettoyage des quartiers sinistrés. Blitzcrank permit de sauver de nombreuses vies et sembla développer un niveau de conscience au-delà de ce que Viktor avait envisagé.

Bien que la fuite fût contenue, Viktor resta à Zaun pour aider ceux qui étaient contaminés par les toxines. Avec l'aide du golem, il tenta d'utiliser son génie techmaturgique pour sauver ceux dont la vie avait été ravagée par l'accident. La tentative échoua finalement à empêcher d'autres morts et les chemins de l'inventeur et du golem se séparèrent. Bien que Viktor fût bouleversé par les morts de Zaun, ce travail lui en apprit beaucoup sur la fusion de l'anatomie humaine et de la technologie et le convainquit que la chair mortelle pouvait être améliorée mécaniquement.

Quand Viktor revint à Piltover, des semaines plus tard, ce fut pour découvrir que le professeur Stanwick avait tenu un symposium sur Blitzcrank en s'appropriant les recherches de Viktor. Viktor déposa une plainte auprès des doyens de l'université, mais personne ne voulut entendre qu'il était le créateur de Blitzcrank. Il demanda à Jayce d'appuyer ses revendications, mais son camarade refusa, ce qui ne fit qu'accroître le fossé qui les séparait.

Amer, mais résigné, Viktor retourna à ses études, sachant que son objectif d'améliorer la vie des gens et d'optimiser l'humanité était plus important qu'un projet volé ou qu'un ego malmené. Il continua d'exceller à sa tâche, trouvant sans cesse de nouvelles manières d'éliminer l'erreur et la faiblesse humaines de son travail, au point que cet aspect de ses recherches finit par dominer toutes ses pensées. Il en vint à considérer toute participation humaine à quelque processus que ce fût comme une aberration inefficace et grossière, ce qui le coupa de la plupart des professeurs et des autres élèves pour qui, au contraire, cela ne pouvait conduire qu'à la disparition de la créativité et de l'ingéniosité humaines.

Le point culminant de cette confrontation eut lieu lors d'une collaboration sans enthousiasme avec Jayce pour améliorer les combinaisons de plongée qu'on utilisait pour nettoyer les docks de Piltover des débris et des déchets chimiques sous-marins. Les combinaisons améliorées de Viktor et de Jayce permirent aux plongeurs de descendre plus profondément, de rester sous l'eau plus longtemps et de soulever des poids plus lourds. Mais de nombreux plongeurs prétendaient voir des lueurs fantomatiques dans les profondeurs ou souffraient d'hallucinations liées aux produits chimiques. Face à des tels symptômes, les plongeurs paniquaient souvent et se tuaient ou menaient leurs camarades à la mort. Viktor comprit que le problème n'était pas technique mais tenait à la nervosité des plongeurs dans les profondeurs noires comme l'encre. Il conçut un dispositif chimique qui permettait à un opérateur en surface de résoudre le problème de la peur des profondeurs et de contrôler efficacement le plongeur dans la combinaison de plongée. Il s'ensuivit une discussion violente entre Viktor et Jayce sur le libre arbitre et l'esclavage mental, et les deux chercheurs jurèrent de ne plus jamais travailler ensemble.

Jayce signala l'incident aux doyens et Viktor fut censuré pour avoir violé la dignité humaine ; il était convaincu, lui, que son invention aurait sauvé de nombreuses vies. Il fut expulsé de l'université et il se retira dans son ancien laboratoire de Zaun, écœuré par la petitesse d'esprit des habitants de Piltover. Seul dans les profondeurs de la ville, Viktor sombra dans la dépression et passa des semaines à se morfondre et à réfléchir. Il pesa le pour et le contre du dilemme moral auquel il était confronté, convaincu qu'une fois de plus les faiblesses et les émotions humaines lui avaient fait obstacle. Il avait voulu se rendre utile, améliorer les hommes au-delà de leurs capacités naturelles pour éviter toute erreur et sauver des vies. Il eut une révélation en comprenant que lui aussi avait succombé à ces émotions lorsqu'il s'était laissé aller à la croyance naïve que les bonnes intentions pouvaient venir à bout des préjugés. Viktor savait qu'il ne pouvait pas attendre des autres qu'ils aillent là où lui-même n'était pas allé le premier et, dans le plus grand secret, il amputa chirurgicalement les éléments de son corps et de sa psyché qui s'appuyaient sur l'émotion ou risquaient d'être inhibés par elle.

Quand l'opération fut achevée, il ne restait plus trace du jeune homme qui avait étudié à Piltover. La majorité de son anatomie avait été remplacée par des améliorations mécaniques, mais sa personnalité aussi avait changé. Son espoir idéaliste d'une société meilleure était devenu une obsession qu'il appelait la « Glorieuse évolution ». Viktor se voyait désormais comme le pionnier de l'avenir de Valoran : un rêve idéalisé dans lequel l'homme devait avoir renoncé à la chair en faveur des optimisations Hextech. L'humanité serait ainsi libérée des erreurs fatales et de la souffrance, même si Viktor savait qu'il ne pourrait pas accomplir cette tâche rapidement ni facilement.

Il se lança sauvagement dans ce nouveau défi. Il utilisa des améliorations technologiques pour aider à reconstruire les Zauniens blessés dans des accidents, perfectionna des mécanismes respiratoires et travailla sans relâche à réduire l'inefficacité humaine en séparant le physique de l'émotionnel. Son travail sauva des centaines de vie, mais rechercher l'aide de Viktor pouvait s'avérer dangereux, car ses solutions entraînaient souvent des conséquences inattendues.

Mais si vous étiez désespéré, Viktor était l'homme dont vous aviez besoin.

Certains, à Zaun, saisissant des fragments de sa philosophie et observant le succès de ses innovations, virent en lui une figure messianique. Viktor ne s'intéressait nullement à eux, considérant leur vénération quasi religieuse comme une aberration et comme une preuve supplémentaire qu'il fallait éliminer du cœur de l'homme tout ce qui ne pouvait pas être empiriquement prouvé.

Lorsqu'un accident toxique, dans le Puisard, transforma des centaines d'hommes et de femmes de la Scierie en déments enragés, Viktor fut contraint d'utiliser un puissant soporifique pour endormir les victimes, avant de les ramener à son laboratoire pour essayer de réparer les dégâts. Les toxines avaient commencé à dévorer des portions de leur cerveau, mais Viktor parvint à ralentir la dégénérescence en leur ouvrant le crâne et en filtrant les flux empoisonnés avec des machines. La technologie qui lui était disponible n'était pas à la hauteur de la tâche et Viktor savait que de nombreuses personnes allaient mourir à moins qu'il ne trouve le moyen d'améliorer considérablement ses filtres.

Alors qu'il luttait pour sauver ces gens, il détecta un pic d'énergie Hextech à Piltover et il comprit immédiatement que cela pouvait lui donner la puissance dont il avait besoin. Il suivit l'énergie jusqu'à sa source.

C'était le laboratoire de Jayce.

Viktor exigea que Jayce lui remette la source de son pouvoir, un cristal pulsant qui provenait du désert de Shurima. Mais son ancien collègue refusa, ne laissant à Viktor d'autre option que de le prendre par la force. Il revint à Zaun et brancha l'étrange cristal à sa machinerie, avant de préparer un golem de vapeur comme hôte pour chaque personne atteinte au cas où son corps lâcherait au cours de la procédure. Dopées par le nouveau cristal, les machines de Viktor parvinrent progressivement à inverser les dégâts infligés par les toxines. Son travail allait sauver ces gens (d'une certaine manière) et, si Viktor avait conservé ne fût-ce qu'un fragment de son humanité, il aurait pu se réjouir. Il ne s'accorda qu'un imperceptible soupçon de sourire.

Cependant, avant que le processus ne s'achève, Jayce, ivre de vengeance, surgit dans le laboratoire pour le fracasser avec un marteau énergisé. Sachant que l'arrogance de Jayce ne laissait aucune place à la raison, Viktor ordonna à ses automates de le tuer. Le combat fut féroce et ne s'acheva que lorsque Jayce brisa le cristal que Viktor avait volé, faisant s'écrouler tout l'entrepôt dans une avalanche de pierre et d'acier et mettant fin à l'existence des malheureux que Viktor essayait de sauver. Lorsque Jayce retourna à Piltover, il fut considéré comme un héros.

Viktor survécut à la destruction du laboratoire et se consacra de nouveau à sa mission : améliorer l'humanité en la débarrassant de ses émotions destructrices. Dans l'esprit de Viktor, l'attaque de Jayce prouvait la justesse de sa cause et cela renforça son désir de libérer l'humanité des faiblesses de la chair. Viktor envoya des truands optimisés dans le laboratoire de Jayce peu après ça. Viktor ne pensait pas à son geste comme à une vengeance : il voulait savoir s'il existait d'autres cristaux shurimiens qu'il pourrait utiliser pour le progrès de l'humanité. Le raid échoua et Viktor ne pensa plus à Jayce.

Mais il intensifia ses efforts pour trouver des moyens de conduire l'humanité au-delà de ses faiblesses émotionnelles vers un nouveau stade de son évolution, fondé sur la raison. Ces recherches transgressaient parfois les frontières de ce que l'on considérait comme moral à Piltover (et à Zaun), mais c'étaient des étapes nécessaires à l'avènement de la Glorieuse évolution de Viktor.
 
 
La maison dans l'allée des braises
 
 
Le troisième bras de Viktor émettait un fin rayon de lumière qui soudait du métal sur son bras gauche avec une précision parfaite. L'odeur de la chair brûlée ne le dégoûtait plus, pas davantage que la vue de son poignet gauche ouvert, où veines, muscles et tendons avaient fusionné avec les optimisations mécaniques. Il n'eut pas un frémissement. Au contraire, un sentiment d'accomplissement le saisit devant ce mélange parfait d'éléments organiques et synthétiques.

Des enfants qui criaient arrêtèrent Viktor. Il était rare que quiconque s'aventurât dans les confins brumeux de l'Allée des Braises. Il avait choisi cet endroit pour cette raison : il ne voulait pas être interrompu.

Sans bouger son bras gauche, Viktor ajusta un cadran d’argent sur son iridoscope. Le mécanisme contenait une série d'objectifs en miroir qui lui permettait de voir toute la rue extérieure depuis son laboratoire.

Plusieurs enfants poussaient violemment un garçon famélique vers les portes de fer de Viktor.

« Ça m'étonnerait que Naph tienne plus d’une minute là-dedans », dit une fille qui avait des imitations de gemmes enfoncées au-dessus des yeux.

« Je parie qu'il reviendra avec une tête en cuivre », fit un garçon aux cheveux roux. « Peut-être que son cerveau ne sera plus aussi terne que le Gris. »

« T’as intérêt à revenir avec quelque chose qu'on pourra vendre, ou c'est nous qui te ferons une nouvelle tête ! » dit le plus grand des enfants en prenant le petit garçon par la nuque et en le forçant à avancer. Les autres gosses reculèrent et regardèrent la suite des événements.

Le petit garçon approcha en tremblant de la haute porte, qui grinça quand il la poussa. Il franchit le portail d'entrée, dans lequel s'incrustaient des rouages emboîtés, et se glissa par une fenêtre ouverte. Une alarme retentit lorsqu'il tomba au sol.

Viktor soupira et appuya sur un bouton qui fit taire la sonnerie.

Le garçon maigrelet regarda son nouvel environnement. Des bocaux de verre, contenant des organes de chair et de métal flottant dans un liquide vert, s'alignaient contre les murs. Un brancard taché de sang, sur lequel reposait une perceuse mécanisée, occupait le centre de la chambre. Des dizaines d'automates reposaient immobiles contre tous les murs. Viktor considérait son laboratoire comme le sanctuaire de ses expériences les plus créatives et les plus importantes, mais il comprenait combien il pouvait apparaître effrayant à un enfant.

Les yeux du garçon s'écarquillèrent sous le choc quand il vit Viktor à son plan de travail, le bras ouvert. Il s'accroupit derrière une caisse proche.

« Tu n'apprendras rien derrière une boîte, petit », dit Viktor. « Mais dessus, tu trouveras un ciseau à os. Apporte-le-moi, s'il te plaît. »

Une main tremblante explora le dessus de la caisse et s'empara d'un outil de métal rouillé. Le ciseau glissa sur le sol jusqu'à Viktor, qui le ramassa.

« Merci », dit Viktor, qui essuya l'instrument et continua de travailler sur son bras.

Viktor entendit la respiration rapide du garçon.

« Je remplace les tendons fléchisseurs... Je veux dire, le mécanisme cassé dans mon poignet », dit Viktor en vissant un boulon dans son bras. « Tu veux regarder ? »

Le garçon jeta un coup d'œil par-dessus la caisse.

« Ça ne fait pas mal ? » demanda-t-il.

« Non », répondit Viktor. « Quand on supprime l'anticipation et la peur de la douleur, la souffrance devient totalement supportable. »

« Oh. »

« Sans compter, bien sûr, que mon bras est presque complètement mécanisé. Regarde. »

Le garçon s'éloigna de la caisse et s'assit en face de Viktor sans dire un mot, les yeux fixés sur son bras.

Viktor recommença à insérer des rouages sur les tendons, sous sa peau. Quand il eut fini, il referma le clapet dermique sur son bras. Il dirigea le rayon de lumière sur son pourtour, cautérisant la chair et faisant fusionner l'incision.

« Pourquoi tu as fait ça ? » demanda le garçon. « Ton bras ne fonctionnait pas assez bien, avant ? »

« Sais-tu quelle est la plus grande faiblesse de l'humanité ? »

« Non... » dit le garçon.

« Les humains ignorent constamment les possibilités infinies et préfèrent maintenir le statu quo. »

Le garçon le regarda, un peu perdu.

« Ils ont peur du changement », expliqua Viktor. « Ils se contentent du correct quand ils pourraient avoir l'exceptionnel. »

Viktor alla jusqu'à sa gazinière. Il mélangea de la poudre noire et de la crème de Dunpor dans une poêle et fit chauffer le liquide avec son laser.

« Tu veux un verre de lait sucré ? » demanda Viktor. « C'est ma petite faiblesse, j'en ai toujours aimé l'arrière-goût. »

« Euh... Tu ne vas pas me scier la tête et la remplacer par une autre en métal ? »

« Ah. C'est cela que l'on pense de moi, désormais ? » demanda Viktor.

« À peu près, oui », dit le garçon. « On m'a raconté qu'un enfant avait eu la tête remplacée parce qu'il avait toussé. »

« C'est un témoignage de première main ? » demanda Viktor.

« Non, c'était le cousin de mon voisin Bherma. Ou son oncle. Un truc comme ça. »

« Ah. Dans ce cas... »

« Ça ne soignerait pas la toux de changer la tête de quelqu'un, de toute façon, hein ? » demanda le garçon.

« Voilà, tu commences à poser les bonnes questions », répondit Viktor. « Non, je ne pense pas que ce serait une amélioration. La toux provient des poumons, tu vois. Et pour en revenir à ta question précédente, non, je ne vais pas te couper la tête pour t'en greffer une en métal. Sauf si c'est ce que tu veux, bien sûr. »

« Non, merci », dit le garçon.

Viktor versa le liquide épais dans deux tasses et en donna une au garçon, qui observa longuement le breuvage chaud.

« Ce n'est pas drogué », dit Viktor en avalant une gorgée de sa propre boisson. Le garçon but son lait.

« Les autres sont toujours en train de regarder, dehors ? » demanda le garçon, une moustache mousseuse sur la lèvre supérieure.

Viktor jeta un coup d'œil à son iridoscope. Les trois enfants attendaient toujours devant le portail.

« Oui. Tu aimerais leur faire un peu peur ? » demanda Viktor.

Les yeux du garçon s'illuminèrent et il approuva du menton.

Viktor lui tendit un sonophone et lui dit : « Hurle aussi fort que tu pourras là-dedans. »

Le garçon vociféra un glapissement à glacer le sang dans le sonophone. Il se répercuta dans l'Allée des Braises et les autres enfants sursautèrent, épouvantés, avant de se disperser pour se cacher. Le garçon jeta un coup d'œil à Viktor et sourit.

« Je trouve que la peur est, la plupart du temps, une émotion qui limite », dit Viktor. « Dis-moi quelque chose qui t'effraie, par exemple. »

« Les Barons de la chimie. »

« Les Barons de la chimie sont craints parce qu'ils projettent une aura de domination et recourent souvent à la violence. Si personne ne les craignait, les gens s'uniraient contre eux. Qu'adviendrait-il de leur puissance, alors ? »

« Euh... »

« Il n'en resterait rien. Exactement. Pense au petit nombre des Barons de la chimie par rapport aux gens qui habitent à Zaun. La peur est utilisée par quelques-uns, qui sont puissants, pour contrôler les faibles, parce qu'ils comprennent comment la peur fonctionne. Si quelqu'un peut manipuler tes émotions, il te contrôle. »

« Je trouve ça logique. Mais j'ai toujours peur d'eux », dit le garçon.

« Bien sûr. Des schémas de peur sont gravés profondément dans ta chair. L'acier, en revanche, n'a pas de telles faiblesses. »

Viktor récupéra une fiole contenant de minuscules billes d'acier baignant dans un liquide laiteux.

« Et c'est pour cela que je vais peut-être pouvoir t'aider », dit-il. « J'ai développé une optimisation qui élimine la peur. Je pourrais te laisser l'essayer pendant un petit moment. »

« Combien de temps ? »

« L'implant se dissoudra en vingt minutes. »

« Tu es sûr que ça n'est pas permanent ? »

« Ils le sont parfois, mais pas celui-là. Tu découvriras peut-être que, sans peur, tes amis perdent leur pouvoir. Les gros durs se nourrissent de peur, tu vois. Sans elle, ils meurent de faim. »

Le garçon réfléchit. Après un moment, il hocha la tête et Viktor inséra une seringue dans la fiole avant d'injecter une des billes sous sa peau, derrière l'oreille.

Le garçon trembla un moment. Puis il sourit.

« Est-ce que tu sens ta peur s'évanouir ? » demanda Viktor.

« Oh, oui », répondit le garçon.

Viktor le raccompagna jusqu'à la porte et actionna un cadran pour la déverrouiller avant de lui faire signe de partir.

« N'oublie pas, tu peux toujours revenir si tu désires une solution plus définitive. »

Un rideau de brume créa une silhouette fantomatique autour du garçon quand il émergea du laboratoire. Viktor retourna à son plan de travail pour regarder par l'iridoscope ce que donnait l'expérience.

L'Allée des Braises était vide, mais dès que le garçon fit son apparition, ses compagnons surgirent.

« Il est où, notre souvenir ? » demanda le rouquin.

« On dirait que Naph le mioche n'a pas tenu sa part du marché », ajouta la fille.

« Je suppose qu'on va devoir le punir », conclut le grand. « Après tout, on lui a promis une nouvelle tête, aujourd'hui. »

« Ne me touche pas », dit Naph. Il se redressa de toute sa taille.

Le gros dur voulut agripper le cou de Naph, mais ce dernier se tourna vers lui et le frappa en plein visage.

Un flot de sang s'échappa du nez du grand.

« Attrapez-le ! » hurla-t-il.

Mais ses compagnons n'avaient plus le moindre désir de lui obéir.

Naph fit un pas vers les enfants. Ils reculèrent.

« Ne vous approchez plus de moi », dit le petit garçon.

Les trois autres se jetèrent un coup d'œil puis firent demi-tour et s'enfuirent.

Viktor ferma son iridoscope et reprit son travail. Il fit jouer les doigts de son bras réparé et pianota sur son plan de travail avec satisfaction.
 
 
Janna Square 0   Janna - Avatar de l'air
 
 
Armée de la puissance des grands vents de Runeterra, Janna est un mystérieux esprit élémentaire qui protège les parias de Zaun. Certains croient que la vie lui a été donnée par les suppliques des marins de Runeterra cherchant les bons vents des mers calmes, affrontant les courants traîtres ou bravant les typhons. Depuis, on implore sa protection jusque dans les profondeurs de Zaun, où Janna est devenue un fanal d'espoir pour ceux qui sont dans le besoin. Nul ne sait quand ni où elle apparaîtra, mais elle offre son aide dans les moments les plus inattendus.

Nombre de marins de Runeterra ont d'étranges superstitions, ce qui n'a rien d'étonnant, les caprices du temps décidant souvent de leur vie ou de leur mort. Certains capitaines jettent du sel sur le pont pour que la mer ne sache pas que l'équipage vient de la terre ferme. D'autres rejettent à l'eau, en signe de clémence, le premier poisson qu'ils prennent. Il est logique, dès lors, que beaucoup d'entre eux implorent le vent lui-même dans l'espoir de brises favorables, de mers fluides et de cieux dégagés.

On pense parfois que l'esprit de Janna est né de ces prières.

Au début, ce ne fut pas grand-chose. Parfois, sur les mers, on apercevait un brillant oiseau bleu juste avant que le vent ne regonfle les voiles sur une inquiétante mer d'huile. Certains matelots juraient avoir entendu un sifflement de l'air juste avant une tempête, comme pour prévenir de son approche. Plus on parlait de ces augures bénéfiques, plus on voyait l'oiseau souvent. Certains prétendaient avoir vu le volatile se transformer en femme. Cette mystérieuse jeune fille aux oreilles effilées et aux cheveux libres flottait, disait-on, au-dessus de l'eau et dirigeait les vents d'un geste de son bâton.

Les matelots bâtirent de bric et de broc des offrandes sacrées, avec des ossements d'oiseaux marins et des coquilles d'huître, qu'ils coinçaient dans les proues de leurs navires. Sur certains navires, ces offrandes prirent la forme de silhouettes accrochées aux mâts, dans l'espoir que ces démonstrations de foi plus ostentatoires leur vaudraient des vents meilleurs encore.

Les matelots de Runeterra finirent par donner un nom à cet esprit des vents : Janna, d'un ancien mot shurimien signifiant « gardienne ». Au fur et à mesure que la foi des marins grandissait en Janna et que leurs offrandes devenaient plus élaborées, l'esprit devint de plus en plus fort. Janna aidait les explorateurs à traverser de nouvelles eaux, soufflait dans les voiles pour éloigner les navires des récifs dangereux et, les nuits sans étoiles, enveloppait les marins atteints du mal du pays d'un souffle apaisant. Mais l'on disait aussi que Janna déroutait les navigateurs aux mauvaises intentions (pirates, pilleurs...) en leur envoyant des tempêtes et des bourrasques.

Janna prenait grand plaisir à son travail. Elle était heureuse de veiller sur les océans de Runeterra, qu'il s'agisse d'aider les gens ou de punir ceux qui le méritaient.

Depuis aussi longtemps que Janna pouvait s'en souvenir, un seul isthme séparait les océans de Valoran à l'ouest et à l'est. Pour passer d'orient en occident, ou inversement, les navires devaient donc affronter le terrible danger des passages maritimes qui longeaient le continent sud. La plupart des navires faisaient en conséquence des offrandes à Janna pour que des vents puissants leur permettent de contourner sans danger les côtes.

Les autorités de la florissante ville commerciale de l'isthme se lassèrent de voir les navires faire le tour par le continent sud, ce qui pouvait prendre des mois. Elles engagèrent les savants les plus imaginatifs et leur demandèrent d'utiliser les riches ressources chimiques récemment découvertes dans la zone pour créer un gigantesque canal qui unirait les principales mers de Valoran.

La nouvelle de cette construction se répandit parmi les marins comme une traînée de poudre. Un tel passage ouvrirait des opportunités de commerce sans fin, permettrait un franchissement plus sûr des eaux difficiles, réduirait les temps en mer et permettrait le transport des biens périssables. L'est et l'ouest seraient rapprochés et, par-dessus tout, de grands changements surviendraient.

Une fois le canal en place, les marins n'auraient plus besoin des vents de Janna pour garder leurs navires à l'abri des falaises de Valoran. Ils n'auraient plus besoin de bâtir des offrandes élaborées ou de scruter les horizons tempétueux à la recherche d'un oiseau bleu. La sécurité et la rapidité des bateaux ne dépendraient plus d'une divinité imprévisible, mais du génie des hommes. Tandis qu'au fil des années la construction progressait, Janna perdit peu à peu la faveur des marins. Ses autels se délabrèrent, disloqués par les mouettes, et son nom ne fut plus guère murmuré, même lorsque les eaux s'agitaient dans la noirceur de l'hiver.

Janna sentit que ses pouvoirs s'affaiblissaient. Lorsqu'elle essayait d'invoquer une tornade, elle ne créait qu'une brise. Si elle prenait une forme d'oiseau, elle ne pouvait voler que quelques minutes avant de devoir se reposer. Elle avait tant compté pour les marins, il y a peu encore, pouvaient-ils si facilement oublier quelqu'un qui les avait protégés et avait toujours répondu à leurs prières ? Janna était attristée par son lent déclin et, lorsque le canal fut terminé, tout ce qui restait d'elle était un souffle de vent.

Le canal fut inauguré dans une atmosphère de joyeuse célébration. Des milliers d'appareils techno-chimiques furent placés à travers l'isthme. Les autorités de la ville s'assemblèrent pour la cérémonie tandis que des voyageurs du monde entier attendaient et observaient avec des sourires de fierté.

Les appareils furent activés. Des brouillards chimiques s'élevèrent de rochers en fusion. Des explosions retentirent dans tout l'isthme.

Les parois de la falaise commencèrent à se fissurer. Un tremblement souleva le sol. La foule assemblée entendit un rugissement d'eaux déchaînées et un sifflement de gaz.

Ce fut alors que les hurlements commencèrent.

Même des années plus tard, nul ne put dire ce qui avait vraiment causé le désastre. Certains évoquèrent l'instabilité des bombes chimiques, d'autres les mauvais calculs des ingénieurs. Quelle qu'en fût la cause, les explosions provoquèrent une réaction en chaîne de séismes qui secoua l'isthme jusque dans ses profondeurs. Des quartiers s'effondrèrent dans l'océan, pratiquement la moitié des citoyens de la ville se débattirent pour leur survie dans le choc des courants contradictoires venus des mers à l'est et à l'ouest.

Des milliers de gens qui étaient au bord de l'engloutissement appelèrent alors désespérément à l'aide. Spontanément, ils crièrent le nom que leur cœur, il y a peu encore, invoquait dans les moments de grand danger en haute mer :

Janna.

Frappée par une vague soudaine d'implorations, Janna se sentit envahir par une puissance telle qu'elle n'en avait jamais connue à ce jour.

Nombre de ceux qui étaient tombés à l'eau s'étaient déjà noyés, mais des nuages de gaz toxiques surgissaient des fissures dans les rues, empoisonnant et faisant suffoquer les centaines de gens qui avaient le malheur de les inhaler. Mais Janna savait comment les aider.

Elle disparut au sein des nuages de gaz qui submergeaient les victimes impuissantes de l'échec du grand canal. Tenant haut son bâton, elle ferma les yeux tandis que les vents commençaient à tourbillonner autour d'elle pour devenir un vortex prodigieusement puissant. Le bâton prit une teinte bleue de plus en plus brillante et Janna frappa enfin le sol, chassant les nuages de gaz dans une déflagration d'air. Les citoyens reprirent leur souffle et regardèrent la femme qui les avait sauvés, promettant de ne plus jamais l'oublier.

Dans un vent léger soufflant par les rues de la ville, Janna disparut… Mais certains jurèrent avoir vu un oiseau bleu faire son nid au sommet des tours de verre et de fer qui surplombaient la ville.

Cette ville, appelée Zaun, fut rebâtie et l'on construisit même une autre cité par-dessus : la brillante Piltover. Mais des années plus tard, le nom de Janna n'a pas disparu et l'on se transmet bien des histoires sur l'esprit du vent qui apparaît dans les heures de grand besoin. Quand le Gris zaunien devient épais, Janna le disperse d'un souffle, puis disparaît aussi vite qu'elle est venue. Quand un gorille de quelque Baron de la chimie va trop loin ou quand les cris d'une victime se perdent dans le vide, une furieuse rafale remonte parfois les allées pour secourir ceux que les autres abandonnent.

Certains disent que Janna est un mythe : un conte de fées optimiste que les parias les plus désespérés de Zaun se racontent pour retrouver un peu d'espoir. D'autres savent qu'il n'en est rien : ceux qui pensent à Janna quand le vent souffle dans les étroites ruelles de la ville, ou ceux qui se blottissent autour des autels qu'ils fabriquent avec des bouts de métal et des rouages abandonnés. Quand les gouttières miaulent et quand le linge se soulève sur les cordes, Janna n'est pas loin. À chaque Fête du progrès, si froides que soient les températures, les croyants ouvrent leurs fenêtres et leurs portes pour que Janna puisse chasser l'air rance de l'année passée au profit de l'air nouveau. Même les sceptiques ont un battement de cœur quand ils aperçoivent un curieux oiseau bleu voletant dans les rues de Zaun. Nul ne sait si Janna apparaîtra, quand et où, mais presque tout le monde est d'accord sur un point : il est agréable d'avoir quelqu'un qui veille sur soi.
 
 
Respire
 
 
Ils pensent que Zaun est l'endroit où vivent les ratés.

Ils ne l'admettront pas, bien sûr, ils sourient de toutes leurs dents et nous tapent sur le dos avant de nous dire que Piltover ne serait rien sans Zaun. Nos travailleurs infatigables ! Nos ateliers débordant d'activité ! Nos composés chimiques que tout Piltover achète en prétendant ne jamais le faire ! Zaun fait partie intégrante de la culture de Piltover, disent-ils.

Ils mentent tous. À l'évidence.

Ils pensent que Zaun est le refuge des idiots. Des gens trop stupides pour faire leur chemin dans les tours d'or de Piltover.

Des gens comme moi.

Pendant des mois, j'ai dû vendre de la luminance pour avoir les moyens de tenter ma chance au recrutement des apprentis du clan Holloran. J'ai étudié tous les livres que j'ai pu trouver sur la mécanique des rouages. J'ai construit un prototype orthopédique destiné aux gens dont les poignets sont immobilisés par une fracture ou par l'arthrose. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour devenir apprenti à Piltover. Je suis même allé jusqu'à la dernière étape de sélection : le face à face avec Boswell Holloran en personne.

Ça ne devait être qu'une formalité. Un rituel d'accueil dans la famille.

Il est entré dans la salle, il a regardé mes vêtements tachés par le Gris zaunien et a lâché un rire étranglé, sans joie. « Désolé, mon garçon, on ne prend pas les rats du puisard, ici. »

Il ne s'est même pas assis.

Alors je suis de retour ici. À Zaun. Un idiot de plus.

Le Gris se déverse dans les rues, comme pour m'accueillir. La plupart du temps, il est assez mince pour qu'on puisse respirer à pleins poumons sans crise de toux. Mais aujourd'hui, le Gris a une tout autre ampleur. On s'étouffe à chaque inhalation. On a la poitrine compressée. On ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Je voudrais fuir, mais fuir pour aller où ? Le Gris semble se refermer sur moi, m'écraser, m'étouffer.

C'est dans ces cas-là que je prie Janna.

Tout le monde ne croit pas qu'elle existe, à Zaun, mais ma mère a toujours eu foi en elle. Elle m'a toujours dit qu'un oiseau bleu planait devant sa fenêtre le jour de ma naissance et elle savait, de façon certaine, que c'était Janna qui lui disait que tout se passerait bien.

Elle se trompait, bien sûr. Tout ne s'est pas bien passé. Il y a quelques années, ma mère est morte d'épuisement dans le puisard et j'ai dû m'élever tout seul de mon mieux. J'ai eu le droit à une vie classique d'orphelin : pas d'amis. Beaucoup de coups. Le garçon que j'aimais ne m'aimait pas. J'ai tenté d'étudier et de m'élever jusqu'à Piltover. Impossible. Je me suis dit que Janna ne pensait plus à moi.

Mais je ne me sépare jamais du pendentif que ma mère m'a donné : une pyrogravure dépeignant l'oiseau bleu qu'elle a vu à ma naissance. Ça m'aide dans les moments comme celui-ci.

Alors je m'assois sur le sol humide parce que je n'ai même plus envie de chercher un banc, je sors le pendentif à l'oiseau de sous ma chemise et je parle à Janna.

Pas à voix haute, bien sûr, je ne veux pas que les gens s'imaginent que j'ai le cerveau grillé aux résidus chimiques, mais je lui parle quand même.

Je ne lui demande rien. Je lui parle de ma journée et du jour d'avant, de ma peur de ne rien pouvoir faire de ma vie, de ma crainte de mourir oublié dans le puisard, comme ma mère, je lui dis que parfois je voudrais m'évader vers un monde où je pourrais respirer librement sans avoir peur et sans avoir envie de pleurer tout le temps et de me haïr pour cela, je lui explique que, parfois, l'envie me prend de me jeter dans les bassins chimiques du puisard où je n'aurais plus qu'à laisser mes poumons se remplir de fluide pour pouvoir rejoindre ma mère, où qu'elle soit, et pour que tout soit enfin terminé. Je demande à Janna si elle va bien. J'espère qu'elle est heureuse, là où elle se trouve.

C'est là que je sens la brise me caresser la joue. C'est à peine perceptible, mais c'est bien là. Bientôt, c'est assez fort pour rabattre mes cheveux sur mon visage. Le vent souffle de plus en plus fort et de plus en plus vite, il fait claquer mes vêtements et j'ai l'impression d'être au centre d'un maelström.

Le Gris tourbillonne devant moi, poussé par des courants qui semblent venir de partout à la fois. Le brouillard se dissipe lentement et je peux voir les passants de l'Entresol qui le regardent s'évanouir.

Le vent cesse.

Le Gris a disparu.

Je peux respirer.

Pas en petites inspirations précautionneuses, mais en grandes goulées qui me remplissent les poumons d'air frais. Le soleil, qui n'est plus filtré par le Gris, illumine non seulement Piltover mais Zaun aussi.

Au-dessus de nous, les Piltoviens regardent dans notre direction. Le Gris n'obscurcissant plus leur vue, ils peuvent nous voir depuis leurs ponts et leurs balcons élégants. Je ne pense pas qu'ils aiment ce qu'ils découvrent. Les gens ne veulent pas se souvenir des bidonvilles au-dessus desquels ils vivent ; j'en vois qui froncent les sourcils.

Et c'est là que je l'aperçois de nouveau : Boswell Holloran. Il a un petit gâteau à la main, de nouveau il me surplombe. Comme la première fois, le dégoût marque ses traits.

Je suis si occupé à observer son visage méprisant que je ne sens pas la présence derrière moi jusqu'à ce que sa main se pose sur mon épaule.

« Tout va bien », dit-elle ; et, sans me retourner, je sais de qui il s'agit.

Elle presse mon épaule puis s'agenouille et croise ses bras autour de ma poitrine en embrassade.

« Tout va bien se passer », dit-elle encore.

Des mèches de ses cheveux tombent sur mes épaules. Elle a l'odeur de l'air après une longue pluie.

« Peut-être pas tout de suite. Il va peut-être te falloir du temps pour que les choses s'améliorent. C'est normal. Mais un jour, sans que tu saches exactement quand ou pourquoi ou comment c'est arrivé, tu seras heureux », dit-elle. Mon visage se mouille ; je ne sais pas quand j'ai commencé à pleurer mais c'est un soulagement, comme si les nuages s'effaçaient, et je m'accroche à ses bras tandis qu'elle me serre et qu'elle me répète que tout va bien se passer, parce qu'elle est là.

J'ignore combien de temps elle me serre contre elle, mais bientôt, je m'aperçois que les gens de l'Entresol de Zaun et des balcons de Piltover me regardent.

Avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle murmure : « Ne leur prête pas attention. Ne t'occupe que de toi. Tu veux bien faire cet effort pour moi ? »

Je ne parviens pas à parler, je me contente de hocher la tête.

« Merci », dit-elle avant de déposer un baiser sur ma joue humide et de me serrer une dernière fois, brièvement.

Elle se lève et glisse devant moi. Pour la première fois, je la vois entièrement : une haute silhouette éthérée que j'aurais crue sortie de mon imagination si elle ne m'avait pas touché une seconde plus tôt. Je remarque ses longues oreilles pointues. Ses pieds qui ne touchent pas le sol. Ses cheveux qui flottent au vent, alors même qu'il n'y a pas de vent. Ses yeux qui sont si bleus qu'on a un peu froid rien qu'à les voir.

Puis elle sourit, me fait un clin d'œil et me dit : « Regarde bien. »

Il y a une soudaine rafale de vent, si rapide et si violente que je dois fermer les yeux. Quand je les rouvre, elle est partie, mais le vent souffle toujours. Il monte vers Piltover et ses citoyens qui nous regardent comme au zoo.

Il siffle en prenant de la vitesse et en croissant en force ; les dignes citoyens courent pour se mettre à l'abri, mais il est trop tard : les bourrasques les frappent à pleine puissance, soulevant leurs manteaux et emmêlant leurs coiffures. Boswell Holloran pousse un couinement de terreur lorsque le vent le fait basculer par-dessus le parapet.

Il semble sur le point de dégringoler vers une mort certaine, mais une autre rafale monte vers lui et sa chute en est grandement ralentie, comme si le vent contrôlait sa descente. À le voir, en tout cas, on ne dirait pas. Bien qu'il ne tombe qu'à la vitesse d'une feuille morte, il hurle sans discontinuer. Dans le suraigu. Sans aucune dignité.

Les pans de ses vêtements remontent, lui fouettant le visage, et il descend jusqu'à planer à quelques centimètres d'une flaque.

« Je... », commence-t-il, avant que la brise ne disparaisse totalement et qu'il ne tombe fesses les premières dans la flaque, salissant irrémédiablement un costume sans doute fort dispendieux. Il lance un petit cri de surprise, de douleur et d'irritation, éclaboussant tout autour de lui comme un enfant en colère. Il essaie de se remettre sur pied, mais il glisse et retombe dans la flaque. Pour être honnête, je lui trouve l'air complètement idiot.

Et je ne peux m'arrêter de rire.
 
Mise à jour sur le PBE (30/01)
Mise à jour sur le PBE (27/01)
 
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People in conversation:
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  • This commment is unpublished.
    SkitSky · 7 years ago
    Un peu en retard mon cher phili x)
    Mais toujours rigolo de pouvoir lire une histoire sur Mundo xD

    Impatient d'être a la semaine prochaine pour le fameux article sur l'état des Rework de 2016/2017 !
    • This commment is unpublished.
      Ami · 7 years ago
      Y'aura l'état des reworks la semaine prochaine ? Source stp
    • This commment is unpublished.
      Philidia
      • Administrateur du site
      · 7 years ago
      [quote]Un peu en retard mon cher phili x)[/quote]
      Yep, mais comme de toute façon, ce genre de choses se lit plutôt sur le site de Riot, je le poste ici surtout pour la forme ^^

      [quote]Y'aura l'état des reworks la semaine prochaine ? Source stp[/quote]
      C'est Reav3 qui en a parlé récemment, j'ai dû le mettre dans un redtracker. Meddler en a aussi parlé de mémoire. En gros Riot va surement annoncer de quel rôle ils vont s'occuper maintenant que les assassins c'est fait (Divers ou Vanguards à priori), et les grandes refontes à venir, car on a beaucoup de candidats, mais pas encore de "définitif" sur qui vont être les successeurs de Galio et de Warwick.

      Edit : http://boards.na.leagueoflegends.com/en/c/story-art/7dEOFNs9-warwick-the-wrath-of-zaun-champion-teaser?comment=000c00020000
    • This commment is unpublished.
      SkitSky · 7 years ago
      [quote]Y'aura l'état des reworks la semaine prochaine ? Source stp[/quote]
      @Philidia : Il y a un message plus récent sur une sortie quasi sûre pour la semaine prochaine sur ce lien :
      [url="http://boards.na.leagueoflegends.com/en/c/story-art/EfrXBasU-reav3-can-we-expect-the-update-on-the-next-vgu-projects-soon?comment=0000"]Reav3 a parlé ![/url]
  • This commment is unpublished.
    Anarky · 7 years ago
    La première fois que j'ai lu ces textes il n'y avait que la première partie du coup je découvre la deuxième ici, donc c'est pas plus mal d'avoir posté tout ça.
    Sinon, il ne devait pas y avoir des changements sur le rôle de support aussi?
    • This commment is unpublished.
      SkitSky · 7 years ago
      Les mi-saisons/pré saison sont généralement des périodes avec énormément de changements donc je paris qu'en plus de la mise a jour des divers/initiateurs on aura des changements pour les supp ce milieu d'année
    • This commment is unpublished.
      Grudumpf · 7 years ago
      Oui il me semble qu'ils prévoyaient de faire des changements sur les supp pour la mi-saison en précisant que c'est pas pour autant eux qui recevraient la mise à jour de classe
  • This commment is unpublished.
    TheFab
    • Tipeur
    · 7 years ago
    [quote] Certains murmurent même que Jinx n'est pas vraiment humaine, que c'est une sorte d'esprit vengeur venu jeter le chaos à Piltover [/quote]

    Pls rito, non !
    • This commment is unpublished.
      jonx · 7 years ago
      a la base c'était pas la soeur de vi? il on changer sa? "flemme de lire trop long"
    • This commment is unpublished.
      Jadien · 7 years ago
      Il n'y a jamais eu de preuve que Jinx soit la sœur de Vi ^^
    • This commment is unpublished.
      jonx · 7 years ago
      ah ok
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