Après avoir vu une version courte sur le PBE, nous avons désormais
la version longue de l'histoire d'Illaoi. Le ton du personnage est donné dès la première citation, et il ne faut pas s'attendre à une femme sympathique... L'histoire reste cependant agréable à lire ! Surtout quand on y apprend des relations d'un genre particulier entre Illaoi et... Un autre champion ! Pas question de vous spoiler, bonne lecture ! :)
Illaoi, Prêtresse du kraken
« La sagesse ressemble bien souvent à un bon coup de pied en pleine tête. »
La stature colossale d'Illaoi n'a d'égal que sa foi implacable. Prophétesse du Grand Kraken, elle se sert d'une énorme idole dorée pour arracher les esprits de ses ennemis et faire voler en éclats leur perception de la réalité. Ceux qui défient « l'Apôtre de la vérité de Nagakabouros » découvrent bien vite qu'Illaoi ne combat jamais seule, car le dieu des Îles aux serpents lui prête main-forte.
Tous ceux qui rencontrent Illaoi sont frappés par sa présence. Cette femme qui rayonne d'une aura intense est une prêtresse qui profite pleinement de son existence. Elle s'empare de ce qu'elle veut, détruit ce qu'elle abhorre et se délecte de tout ce qu'elle aime.
Cependant, pour bien saisir le caractère d'Illaoi, il faut se pencher sur la religion à laquelle elle a voué sa vie. Nagakabouros, la divinité de son culte, est généralement représenté sous la forme d'une colossale tête de serpent entourée d'une spirale de tentacules en mouvement, sans début et sans fin. Également connu sous le nom de Mère Serpent, Grand Kraken ou encore Grande Barbue, Nagakabouros est le dieu des Îles aux serpents qui commande à la vie, aux tempêtes marines et au mouvement. (La traduction littérale de son nom signifie « le monstre infini qui règne sur la mer et les cieux ».) La religion d'Illaoi est fondée sur trois principes de foi : chaque esprit est né pour servir l'Univers ; l'Univers a implanté la capacité de désir dans chaque être vivant ; l'Univers n'avance vers sa destinée que lorsque les créatures vivantes suivent leurs désirs.
Les prêtresses de rang inférieur sont chargées d'entretenir les temples, d'invoquer les serpents sacrés et de transmettre au peuple les enseignements de Nagakabouros. En tant qu'Apôtre de la vérité, le rôle d'Illaoi est de servir son dieu directement en libérant le flux de l'Univers. À cette fin, on lui a confié deux responsabilités sacrées.
Le premier devoir d'un Apôtre de la vérité est d'être le fer de lance de la croisade contre les morts-vivants. Puisqu'ils sont exclus du flux naturel de l'Univers, les morts-vivants sont considérés comme une abomination aux yeux de Nagakabouros. Chaque prêtresse du kraken est tenue de protéger les populations autochtones lors de la Nuit de l'horreur, mais un Apôtre de la vérité doit combattre directement, corps et âme, pour repousser la Brume noire.
En second lieu, Illaoi est chargée de rechercher les individus possédant un fort potentiel et de les mettre au défi grâce à l'Épreuve de Nagakabouros. Cette tâche illustre le fardeau du titre porté par Illaoi. Armée de sa lourde relique sacrée, l'Œil de Dieu, l'Apôtre de la vérité extirpe l'esprit de son adversaire hors de son corps et le force à combattre pour prouver sa valeur. Elle accomplit ce devoir en sachant que ceux qui tomberont devant elle seront complètement annihilés, car le Grand Kraken ne tolère ni la lâcheté, ni le doute, ni la retenue. Mais son but n'est jamais la destruction. Ceux qui survivent à l'épreuve sont changés à jamais et finissent souvent par se découvrir la volonté d'accomplir leur véritable destin.
Illaoi est l'Apôtre de la vérité la plus puissante et la plus respectée depuis des centaines de générations, mais le trait de caractère qui la définit le mieux, c'est sa volonté de s'éloigner de plusieurs traditions de son culte. Lorsqu'elle a terminé son entraînement d'Apôtre de la vérité et atteint le sommet de sa puissance, Illaoi a quitté les temples d'or de Buhru pour se plonger dans l'atmosphère sordide de la ville voisine, Bilgewater.
La cité pirate est le seul lieu des Îles aux serpents où les étrangers sont tolérés, et le peuple d'Illaoi considère cet endroit comme un bouge immonde. Les précédents Apôtres de la vérité ont tous ignoré cette ville et les étrangers qui débarquaient dans cette cité n'étaient guère mieux que des intouchables à leurs yeux. Illaoi a rompu avec cette tradition lorsqu'elle a choisi de protéger les habitants de Bilgewater de la Nuit de l'horreur. Elle est même allée plus loin en décidant que certains des résidents possédaient une âme digne de passer la grande épreuve. Malgré cette vision neuve, seule une poignée de temples à été construite dans la ville, et parmi les paylangi (un terme de son peuple pour désigner les habitants qui descendent des continentaux), seuls quelques rares élus ont été admis dans ces lieux de culte. Néanmoins, c'est grâce à Illaoi que la connaissance de la Mère Serpent s'est répandue dans Bilgewater, et c'est son esprit indomptable qui a permis à sa religion de s'implanter dans la cité pirate.
Quelques rumeurs persistantes racontent que le pirate le plus sanguinaire et le plus tristement célèbre de Bilgewater a eu le cœur brisé par la puissante prêtresse. Quiconque a rencontré cette femme étonnante n'en sera pas surpris. Les manières brusques d'Illaoi dissimulent une intelligence subtile, beaucoup de force et un magnétisme débordant de confiance.
Nombreux sont ceux qui recherchent les faveurs d'Illaoi et qui l'accueillent chaleureusement à Bilgewater... mais tous craignent d'être mis à l'épreuve par la Prophétesse du Grand Kraken.
« Il n'y a pas de repos. Nous sommes le mouvement. »
- Extrait de l'ouvrage Les Vingt Leçons de Sagesse de Nagakabouros
Le fardeau
« Apôtre de la vérité, voilà pourquoi nous devons battre en retraite vers Buhru. Nous ne pouvons pas sauver les paylangi », affirma la hiérophante. La jeune femme robuste se mit à sourire, de toute évidence ravie à l'idée de quitter Bilgewater.
« Tu as déjà mentionné ce projet », dit Illaoi en faisant le tour de la table de pierre, au centre de la pièce. Elle haussa les épaules et détendit ses muscles pour réprimer un bâillement.
À côté de la hiérophante se tenait un invocateur de serpents très âgé. Sa tenue tout entière était faite de cordage. Chaque corde avait été colorée d'un indigo profond et tressée pour s'enrouler sur elle-même. Avec ses multiples épaisseurs de cordage et sa teinture à l'encre de kraken estompée, son étrange vêtement lui donnait l'illusion d'être drapé d'un manteau de tentacules grossiers. Son visage était entièrement recouvert par un tatouage noir représentant la mâchoire infinie d'un Léviathan. Les moines et les invocateurs de serpents cherchent toujours à faire peur aux autres. Une habitude très agaçante qu'on retrouve chez la plupart des mâles.
« Les plus grandes créatures ne s'approchent pas de Bilgewater, précisa l'invocateur de serpents dans un souffle. Elles restent dans les eaux profondes, loin de la pestilence des quais-abattoirs. Dans le meilleur des cas, seuls quelques jeunots affamés répondront à notre appel. »
Seuls les plus grands enfants de Nagakabouros étaient assez puissants pour absorber les brumes et défendre la ville contre la Nuit de l'horreur. Le reste des Îles aux serpents ne connaissait pas un tel problème.
Une preuve supplémentaire de l'ignorance des habitants de Bilgewater. Les continentaux et leurs descendants n'attendaient pas suffisamment longtemps que de l'eau fraîche vienne nettoyer leurs quais. Au lieu de ça, les paylangiavaient installé un mouillage permanent sur chaque côte, tout autour de la baie. Quelle bande d'imbéciles. Pour nombre de prêtres au sein du culte, cela était la preuve manifeste que les paylangi cherchaient délibérément à se faire consumer par la Brume noire.
« Bon sang », fit Illaoi. Si elle devait rester, il lui faudrait trouver un moyen de défendre la ville sans l'aide des serpents. Elle farfouilla dans la nourriture de l'un des bols présents autour d'elle, avant de se décider pour une mangue. Il lui fallait un plan. Ce n'est pas avec ces deux idiots qu'elle allait pouvoir avancer.
Ses pensées furent interrompues par un craquement sonore. Une lourde porte en bois venait de s'ouvrir brutalement à l'étage du dessous.
Elle entendit soudain la voix de Gangplank, hurlant des paroles inintelligibles qui résonnaient contre les murs de pierre.
« Nous l'avons repêché, selon vos ordres », dit la hiérophante avec un sourire, en ajustant le collier de jade symbolisant sa charge. « Peut-être aurait-il mieux valu laisser son énergie retourner à Nagakabouros ? »
« Tu ne juges pas les âmes. »
« Bien sûr que non, Apôtre, c'est à Nagakabouros d'exercer son jugement », dit-elle, suggérant au passage que l'impartialité d'Illaoi était faussée.
Celle-ci marcha entre les deux prêtres, les dominant de toute sa hauteur. Même parmi les insulaires, l'Apôtre de la vérité était grande. Il en avait toujours été ainsi. Elle dépassait même le plus grand des hommes du nord. Pendant son enfance, cela l'avait souvent complexée car elle avait toujours eu l'impression de bousculer les gens. Mais plus maintenant. Quand je me déplace, ils devraient savoir qu'il vaut mieux s'écarter de mon chemin.
Elle souleva l'Œil de Dieu de son piédestal. L'idole dorée était deux fois plus grande qu'un tonneau de vin et pesait bien plus lourd. Ses doigts pianotèrent sur le métal froid. L'Œil de Dieu avait été placé tout près du grand feu qui illuminait toute la pièce, mais il restait en permanence froid et humide au toucher. Illaoi porta la lourde idole sur son épaule. Cela faisait une bonne dizaine d'années que l'Apôtre de la vérité ne s'était pas éloignée de plus de deux pas de cette relique sacrée.
« Hiérophante, je n'oublie pas quel est mon devoir, dit-elle en descendant les marches de l'escalier. Nous n'allons pas nous enfuir vers Buhru. Je vais rester ici pour mettre fin à la Nuit de l'horreur. »
La grande prêtresse n'avait fait que se plaindre depuis qu'elle avait quitté Buhru, mais il y avait du vrai dans ce qu'elle disait.
Lorsque le vaisseau de Gangplank avait explosé, le cœur d'Illaoi s'était comprimé dans sa poitrine. Cela faisait des années qu'ils n'avaient pas couché ensemble, des années qu'elle avait mis fin à leur relation... et pourtant, certains sentiments persistaient. Autrefois, elle l'aimait... cette espèce de vieux bâtard stupide.
Cernée de hauts murs de pierre, la forme de la cour du temple évoquait la gueule garnie de crocs d'un Léviathan. L'entrée surplombait les eaux bleues de la baie, loin en contrebas. Illaoi descendit les marches brusquement pour se diriger vers la porte principale. Quelque chose lui soufflait qu'elle allait sans doute devoir calmer Gangplank d'un bon crochet du droit en plein visage ; il avait toujours eu un penchant pour l'arrogance et un faible pour le rhum. Néanmoins, elle se réjouissait de le revoir.
Elle ne s'attendait pas à tomber sur la créature enragée qui l'accueillit à l'entrée de son temple. Elle savait qu'il avait été blessé, mais pas à ce point-là. Le pirate boitait sérieusement et se tenait plié en deux à cause de ses côtes brisées. Il s'accrochait à ce qu'il restait de son bras mutilé.
De son bras valide, il braquait un pistolet dans toutes les directions pour tenter de repousser les moines et les prêtresses autour de lui, sans songer un seul instant que ces mêmes personnes l'avaient secouru en repêchant son corps dans les eaux de la baie, quelques heures auparavant. Pire encore, son arme était de toute évidence déchargée et donc complètement inutile.
« Où est Illaoi ? » beugla-t-il.
« Je suis là, Gangplank, répondit-elle. Tu es dans un sale état. »
Le pirate s'effondra à genoux.
« C'était Miss Fortune. J'aurais dû le savoir. C'est elle qui a manipulé ces deux saligauds. Ils l'ont coulé. »
« Je me moque de ton navire de guerre », fit-elle.
« C'est toi qui me répétait constamment de passer à autre chose, de retourner en mer. Il me fallait un bateau. »
« Un simple canoë te suffirait pour prendre la mer. »
« Cette ville est à MOI ! », s'écria-t-il.
À ces mots, les moines et prêtresses qui entouraient Gangplank se crispèrent. Que ce pirate soit assez idiot pour proférer ce genre d'assertion au sein d'un édifice plus ancien que sa précieuse ville, un édifice vieux de plusieurs millénaires, c'était déjà beaucoup. Mais qu'un paylangi se permette de hurler sur la personne trois fois bénie de l'Apôtre de la vérité, et dans son propre temple ? N'importe quel autre homme aurait été jeté à la mer avec les deux rotules brisées.
« Cette ville est à moi ! » hurla-t-il de plus belle. Des postillons volèrent en tous sens sous l'effet de sa rage.
« Et alors, qu'est-ce que tu vas faire ? » demanda Illaoi.
« Je... j'ai besoin du soutien d'Okao et des autres chefs. Toi, ils t'écouteront... si tu vas leur parler. Si tu leur demandes, ils m'aideront. » Il baissa la tête devant elle.
« Qu'est-ce que tu vas faire, toi ? » reprit Illaoi, cette fois-ci en haussant le ton.
« Que veux-tu que je fasse ? répondit-il d'une voix désespérée. Elle m'a pris mon navire, elle m'a pris mes hommes, elle m'a pris mon bras. Mes dernières forces... je les ai épuisées à venir ici. »
« Laissez-nous », ordonna Illaoi aux autres prêtres alors qu'elle se dirigeait vers la porte. Elle fixa son regard sur Gangplank, au sol devant elle. Cela faisait dix ans qu'elle ne l'avait pas vu. L'alcool et l'inquiétude lui avaient ravi ses traits et son charme.
« Je n'ai rien d'autre au monde que cette ville, dit-il. Et sans ton aide... » Sa voix se brisa lorsqu'il rencontra son regard. Les yeux d'Illaoi étaient aussi durs et implacables que ceux du Grand Kraken. Elle n'offrit aucun espoir à Gangplank. La prêtresse de Nagakabouros ne pouvait se permettre la moindre démonstration de pitié ou d'empathie, même si cela lui déchirait le cœur. Accablé par le désespoir, les yeux du vieux capitaine fuirent son regard.
« Je pourrais faire ce que tu suggères, fit Illaoi. Un seul mot de moi, et les tribus ainsi que la bande d'Okao se rangeraient à tes côtés. Mais pourquoi le ferais-je ? »
« Aide-moi, bon sang ! Tu me dois bien ça ! » cria-t-il, tel un enfant capricieux.
« Moi, je te dois quelque chose ? » Illaoi sentit la colère s'emparer d'elle.
« Je suis les rituels. J'offre des sacrifices ! », grogna Gangplank.
« Mais de toute évidence, tu n'as pas retenu la leçon. Des rituels ? Des sacrifices ? Tu parles de choses qui sont bonnes pour les hommes faibles, aussi faibles que leurs dieux. Mon dieu exige des actes », répliqua Illaoi.
« J'ai souffert pour cette ville ! J'ai saigné pour elle. Elle m'appartient de droit ! »
Illaoi savait ce qu'elle avait à faire. Elle l'avait su avant même que Gangplank n'ouvre la bouche. Elle le savait depuis des années, bien avant que son navire ne sombre.
Gangplank s'était égaré. Pendant trop longtemps, il s'était laissé corrompre par la haine et s'était apitoyé sur son sort à cause des mauvais traitements de son père. Illaoi avait ignoré son devoir. Elle l'avait ignoré parce qu'elle l'avait aimé, autrefois, et parce qu'elle l'avait poussé sur cette voie en le quittant. Il s'était abandonné avec bonheur à son rôle de tueur, de corsaire, de vrai pirate, sans jamais s'intéresser au titre de Roi des Pillards.
Après leur séparation, il s'était lancé à corps perdu dans sa quête sanglante pour devenir le seigneur de Bilgewater.
Illaoi sentit que ses yeux étaient soudain humides. C'était trop tard. Il n'avait pas su aller de l'avant. Continuer. Évoluer. Et à présent ? À présent il ne serait plus capable de survivre à l'épreuve de Nagakabouros. Mais il fallait qu'elle le teste. Il était là pour passer l'épreuve.
Illaoi observa le vieux pirate qui se tenait devant elle. Devrais-je le renvoyer ? Croire en lui, croire qu'il possède encore assez de force ou d'ambition pour continuer seul ? Si je le renvoie, il pourra au moins survivre...
Mais ce n'était pas la voie de Nagakabouros. Ce n'était pas là le rôle de l'Apôtre de la vérité. Il n'y avait pas de place pour le doute ou le questionnement. Si elle faisait confiance à son dieu, alors elle devait faire confiance à son instinct. Si elle sentait au fond d'elle qu'il devait être mis à l'épreuve, alors c'était la volonté de son dieu. Et quel genre d'inconscient choisirait un homme plutôt que son dieu ?
Agrippant fermement la poignée de l'Œil de Dieu, Illaoi se saisit de la lourde idole dorée qui se trouvait sur son épaule. Elle ressentit aussitôt cette légèreté familière, mais d'une certaine façon, elle pouvait toujours sentir le poids de la relique sur son corps.
« Je t'en supplie, implora Gangplank. Au moins, accorde-moi un peu de gentillesse. »
« Je vais plutôt t'accorder la vérité », répondit Illaoi, désormais déterminée.
Elle asséna un violent coup de pied au pirate et son talon vint le frapper en plein nez dans un craquement sinistre. Il fut projeté en arrière comme un ivrogne, du sang giclant de sa lèvre fendue. Roulant au sol, il se redressa et jeta à la prêtresse un regard furieux.
« REGARDE ! » s'écria Illaoi.
Elle rassembla ses forces et projeta son esprit pour invoquer l'énergie de la Mère Serpent tandis qu'elle brandissait son idole géante. De la bouche de l'effigie jaillit alors une brume luminescente, et des volutes d'énergie turquoise apparurent autour du visage de la Mère Serpent avant de prendre la forme de plusieurs tentacules fantomatiques. Illuminés par les reflets de l'idole en or, ces pseudopodes d'énergie étaient aussi beaux qu'un lever de soleil sur la mer, et aussi terrifiants que la plus sombre des créatures abyssales. Plusieurs autres tentacules émergeaient de l'idole et se multiplièrent tout autour de la pièce, défiant toute logique. Ils se mirent à grandir les uns après les autres, et d'une certaine manière, chaque croissance semblait renfermer toutes les promesses et toutes les horreurs de la terre.
« Non ! » hurla Gangplank. Mais le tourbillon ignora totalement sa complainte tandis que la tornade de tentacules s'emparait de lui.
« Affronte Nagakabourous ! cria Illaoi. Prouve ta valeur ! » Les tentacules se saisirent de Gangplank, puis plongèrent dans sa poitrine. Des images spectrales de ses vies passées le submergèrent et le pirate se mit à trembler.
Il poussa un terrible hurlement en sentant son âme se faire arracher de son corps. Son double se tint immobile devant Illaoi. L'esprit de Gangplank rayonnait d'une lumière bleue presque aveuglante, tandis que son corps ressentait la flamme de ses vies antérieures.
L'énorme masse de tentacules attaqua le capitaine blessé. Gangplank roula sur le côté et se releva en titubant, essayant d'esquiver autant de coups que possible. Mais pour chaque tentacule qu'il évitait, de nombreux autres apparaissaient. La réalité elle-même se distordait tout autour de lui. La nuée de tentacules s'abattait sur lui, le repoussant à terre, l'attirant toujours plus loin de son âme, vers l'oubli.
Illaoi ne voulait pas voir ça. Plus que tout, elle souhaitait détourner les yeux.C'est mon devoir d'assister à son trépas. C'était un grand homme, mais il a échoué. L'Univers exige que...
Gangplank se releva. Lentement, inexorablement, de toute la force de sa volonté, il ordonna à son corps de se mettre debout. S'arrachant à l'étreinte des tentacules, il avança pas à pas, malgré la souffrance, en poussant un cri de douleur. Ensanglanté et épuisé, il se tint finalement devant Illaoi. Ses yeux étaient embrasés par la haine et la douleur, mais elle put y lire de la détermination. Rassemblant ses dernières forces, il avança jusqu'à son esprit et se plongea dans son visage lumineux.
« Je serai Roi. »
Le vent se calma. Les tentacules explosèrent en un millier d'étincelles. Nagakabouros était satisfait.
« Tu es enfin en mouvement », dit Illaoi en souriant.
Gangplank se tenait à quelques centimètres de son ancienne amante... et la fixait avec colère. Son dos s'arc-bouta et il inspira profondément. Sa poitrine se gonfla sous l'effet de sa détermination. Il était redevenu le fier capitaine de Bilgewater.
Gangplank se retourna et s'éloigna d'elle. Ses blessures étaient toujours là, mais sa démarche avait retrouvé sa vigueur coutumière.
« La prochaine fois que je te demande de m'aider, contente-toi de dire non », grogna-t-il.
« Fais quelque chose à propos de ton bras », répondit Illaoi.
« Content de t'avoir vue », fit-il en s'éloignant du temple, avant d'emprunter le long escalier qui redescendait vers la mer.
« Espèce de vieux bâtard stupide », dit-elle en riant.
Alors que les moines et que la hiérophante retournaient dans l'antichambre, Illaoi se rappela soudain qu'elle avait un millier de choses à faire. Un millier de petits fardeaux à porter. L'Apôtre de la vérité allait devoir rendre une petite visite à Sarah Fortune. Illaoi avait le sentiment que Nagakabouros aurait très bientôt besoin de mettre la belle chasseuse de primes à l'épreuve.
« Dites à Okao et aux autres chefs de soutenir Gangplank, ordonna Illaoi à la hiérophante. Qu'ils l'aident à reprendre la ville. »
« La cité tout entière est en plein chaos, nombreux sont ceux qui veulent sa tête. Il ne passera pas la nuit », grommela la hiérophante en voyant le capitaine blessé lutter pour descendre chaque marche de l'escalier.
« Il reste l'homme idéal pour cette tâche », répondit Illaoi en plaçant de nouveau le poids de l'Œil de Dieu sur son épaule.
On ne peut jamais être certain de faire le bon choix, ni prévoir comment les choses vont se passer, ou même savoir quand notre heure viendra. Mais l'Univers nous a offert un instinct et des désirs. Nous devons donc les suivre.
Elle commença à grimper les marches de l'escalier qui menait de la cour à l'intérieur du temple, portant l'idole de l'Apôtre de la vérité sur son épaule. C'était là un bien lourd fardeau... Mais cela ne la dérangeait pas.
Bien au contraire.