Avec la sortie de la refonte de Yorick, et de
sa nouvelle histoire, Riot en a profité pour
mettre à jour l'histoire de Maokai, Evelynn, et Elise. Un poème a également été publié. Une bonne masse de choses à lire en conséquence ! Notez que pour Evelynn, la première partie de son histoire n'est ni plus ni moins que la version courte qu'on voit sur le client, pour des raisons inconnues au moment où cet article est écrit.
Poème : La complainte du prince
Écoutez mon récit, venez donc vous asseoir,
Le conte que voici parle de désespoir.
Princesse aux traits si purs, plus belle qu’une rose,
Adorée de son père, aimée pour sa bonté.
Mais par un coup du sort sa vie fut arrachée.
Au royaume des morts son âme se repose.
Un jeune prétendant se présenta un jour,
Épris de l’héritière, il clama son amour.
La noce fut grandiose et la cour en liesse
Mais un destin cruel vint frapper leur union.
Une coupe de vin, porteuse de poison,
Fit promettre au mari de sauver sa Princesse.
Pour trouver l’antidote, avec ses chevaliers,
À bord d’un fier navire on le vit s’embarquer.
Porté par le zéphyr, bravant tous les augures,
Attiré par les vents d’une terre immortelle,
Impossible contrée dont le nom ensorcelle,
L’équipage parvint jusqu’aux Îles Obscures.
Tels des aventuriers avides de butin,
Sans jamais fatiguer, poussés par le chagrin,
Ils accostèrent enfin dans ce pays hostile.
Aucun signe de vie n’accueillit leur venue,
Mais une armée d’esprits, de spectres inconnus.
Les força à lutter pour triompher de l’île.
La forêt torturée de cet endroit impie
Ne leur laissait déjà pas le moindre répit.
Mais face à la fureur de l’Ombre de la guerre,
Nos braves chevaliers n’avaient aucune chance,
Et le Prince, apeuré, perdit toute vaillance :
Le tribut de sa vie lui parut bien trop cher.
Abandonné de tous, au cœur de la nuit noire,
Assailli par les morts et par le désespoir,
Il tomba sur un moine armé contre les ombres,
Dans une clairière où il tentait de fuir.
« Aie pitié, cria-t-il, protège-moi de l’ire
Des esprits malfaisants qui hantent la pénombre ! »
« Ici tous sont égaux, les péchés sont absous,
Le fléau que tu vois vient de l’orgueil d’un fou.
Au péril de nos vies, nous combattrons les morts,
Jusqu’au soleil levant, la tâche nous incombe,
La victoire offrira des secrets d’outre-tombe,
L’échec vouera notre âme à un semblable sort. »
Sur ce terrain maudit, la lutte fut amère :
Les os des érudits en parsemaient la terre
Des esprits ténébreux, affamés et cruels,
Voulurent les faucher, mais la victoire, enfin !
Les délivra tous deux d’un funeste destin.
« À présent parle-moi de la vie éternelle. »
Le moine lui conta l’histoire d’une reine
Et de son tendre époux ravagé par la peine.
Traversant l’océan pour atteindre cette île
Où il avait espoir de lui rendre la vie,
Il condamna le monde à un destin honni
Et déchaîna sur lui les spectres les plus vils.
Le désastre invoqué par cet odieux blasphème
Incarné par la Liche et par son requiem
Du domaine des morts brisa la barrière.
La Brume noire ainsi s’éleva des abysses,
Hantée par les damnés, victimes du supplice,
Et le roi succomba, son repentir sincère.
Fauchée par le malheur, cette contrée si pure
Est devenue dès lors une géhenne obscure.
Peuplée de revenants qui hantent ses allées
Et d’esprits tourmentés qui errent dans la nuit
Exprimant leur douleur par d’innombrables cris
Effroyable fléau frappant l’humanité.
Le Prince l’écouta, d’un air abasourdi,
Depuis les premiers mots jusqu’au bout du récit.
Pour lui le pauvre roi n’était pas à blâmer ;
Notre homme en cet instant montrait sa vraie nature,
Et l’on vit au grand jour sa vile forfaiture :
Le masque du mensonge allait enfin tomber.
Pour tuer la mariée, dans la coupe de vin,
Ce fut lui qui versa le terrifiant venin,
Afin de s’emparer du trône de son père.
Il n’était pas venu pour secourir la belle ;
Son unique ambition, devenir immortel,
Obsédait constamment son esprit si pervers.
Mais sa tendre moitié, voulant le prendre au piège,
Avait lancé sur lui un puissant sortilège
Exprimant sa rancœur dans un dernier soupir :
« Lance de la vengeance, amère inquisitrice,
Pour cette trahison, je réclame justice,
Retrouve ce félon, traque-le sans faillir. »
La brume l’enserra de sa poigne létale,
La sombre chasseresse, avatar sépulcral,
D’un geste meurtrier l’expédia dans l’abîme.
Voué pour ses péchés à l’éternelle nuit
L’étreinte des enfers se referma sur lui
Anathème final de sa jeune victime.
Pour lui, nulle couronne, autre que la souffrance.
Agonisant au sol, telle fut la sentence :
Le sommeil éternel de la mort embaumée.
Rappelez-vous toujours qu’une sombre ambition
Entraîne bien souvent la terrible sanction
Que le Prince subit pour sa cupidité.
Mais une lueur pâle issue des profondeurs
Vint soumettre son âme à de nouveaux malheurs.
Attiré par la Liche et par son chant funèbre
Arriva sur les lieux l’infâme Garde aux chaînes.
Venu se délecter du nectar de la peine.
« Tu es à moi » dit-il, glissant dans les ténèbres.
Surtout gardez-vous bien de subir pareil sort
Fuyez cette contrée où résident les morts
Entourez-vous de ceux que vous voulez chérir
Profitez de la vie, n’ayez pas de regrets,
Et souvenez-vous tous qu’à la fin du trajet
Qu’on soit prince ou mendiant, nous devons tous périr…
Elise - Reine araignée
« La beauté aussi est une force, qui peut frapper plus vivement qu'une épée. »
La grâce et la beauté stupéfiantes d'Elise cachent l'âme sombre et impitoyable d'un prédateur mortel. Avec une intelligence cruelle, elle attire les innocents en leur promettant les faveurs du dieu araignée. Elise a échangé son humanité contre quelque chose d'infiniment plus sinistre, et elle sacrifie les innocents pour alimenter sa puissance et sa jeunesse éternelle. Nul ne peut imaginer combien de proies sont tombées dans sa toile et ont été saignées à blanc pour satisfaire son insatiable appétit.
Dame Elise naquit il y a des siècles dans la Maison Kythera, une ancienne et influente famille de Noxus, et elle apprit rapidement que la beauté pouvait influencer les esprits faibles. Quand elle devint adulte, elle envisagea d'épouser l'héritier de la Maison Zaavan pour augmenter sa puissance. Beaucoup au sein de la Maison Zaavan s'opposaient à cette union, mais Elise ensorcela le mari qu'elle s'était choisi et manipula ses détracteurs pour obtenir les fiançailles.
Comme Elise l'avait prévu, son influence grandit considérablement grâce à son nouveau mari. La Maison Zaavan devint plus forte, ce qui permit à l'étoile de la Maison Kythera de briller elle aussi davantage. Le mari d'Elise semblait diriger le clan, mais les plus malins savaient qui tirait véritablement les ficelles. Tout d'abord, l'époux d'Elise s'accommoda de la situation, mais au fur et à mesure que les années passaient et que son nom était de plus en plus raillé par les familles noxiennes, son mécontentement grandit.
Finalement, une nuit, au cours d'un souper particulièrement glacial, il révéla à sa femme qu'il avait empoisonné son vin. Il fit connaître ses conditions : elle devait se retirer de la scène publique et le laisser prendre les rênes du pouvoir si elle désirait l'antidote. Si elle refusait, elle mourrait lentement et dans de terribles souffrances. À chaque inspiration, le poison progressait, dissolvant sa chair et ses os de l'intérieur. Pensant qu'il portait l'antidote sur lui, Elise s'empara discrètement d'un couteau et joua le rôle de l'épouse repentante. Elle pleura, supplia d'être pardonnée, utilisa chaque ruse de son arsenal pour s'approcher de lui sans éveiller ses soupçons. Pendant ce temps, le poison ravageait son organisme, décolorait sa chair, lui infligeait de grotesques lésions et propageait la souffrance dans chacun de ses membres.
Quand Elise atteignit son mari, il comprit, trop tard, à quel point il avait sous-estimé son mépris. Elle sauta sur lui et lui plongea le couteau dans le cœur, tournant la lame dans la plaie en le regardant agoniser. Elise trouva et but l'antidote, mais le mal était fait. Son visage était défiguré, sa chair nécrosée, son corps semblable à un cadavre réanimé.
Elise était désormais à la tête de la Maison Zaavan et, selon les habitudes de la politique noxienne, loin d'être condamnée, elle fut félicitée pour avoir éliminé un faible nuisible à l'empire. Mais elle mêlait à ce point les notions de beauté et de puissance qu'elle se retira de la vie publique et se couvrit le visage d'un voile. Fuyant la lumière du jour et refusant toute demande d'audience, elle ne put empêcher sa puissante Maison de sombrer lentement dans l'obscurité. Elise erra dans les salles vides de son palais dans le plus complet isolement et devint lentement une citoyenne des ténèbres, ne s'aventurant au-delà de ses murs que la nuit.
Au cours d'une de ses errances nocturnes, Elise fut abordée par une autre femme voilée, qui posa dans la paume de sa main un sceau de cire représentant une rose noire avant de lui murmurer que la Femme Pâle apprécierait grandement ses talents. Elise passa son chemin, mais elle entendit encore la voix lui promettre qu'elle pourrait redevenir ce qu'elle avait cessé d'être. C'était absurde et elle ne cessait de se le répéter, mais la vanité et l'espoir de retrouver sa beauté enfuie poussèrent Elise à enquêter. Elle arpenta les rues pendant des semaines avant de revoir le sceau à la rose noire, gravé sur un porche descendant vers les catacombes de Noxus.
Suivant la piste des sceaux camouflés, elle parvint jusqu'aux quartiers de la Rose noire, une société secrète au sein de laquelle ceux qui expérimentaient les côtés obscurs de la magie partageaient leurs connaissances et leurs secrets. Elise devint une visiteuse régulière, sans se dévoiler à ses membres, mais en établissant rapidement un lien étroit avec la Femme Pâle, une beauté sans âge aux immenses pouvoirs. Elise accepta sans restriction les vues de la société secrète, mais continuait de chercher le don qui lui avait été promis : retrouver sa beauté perdue.
La Femme Pâle lui parla alors d'un lieu hanté qu'on appelait les Îles obscures et d'un couteau rituel en forme de serpent appartenant à un de ses acolytes, tué dans l'antre d'un féroce dieu araignée. La dague était imprégnée d'une magie puissante et, si Elise la lui rapportait, elle l'utiliserait pour lui rendre sa beauté. Elise accepta immédiatement et conduisit un groupe d'adeptes de la Rose noire vers l'endroit maudit, sachant que le prix du sang devrait être acquitté pour cette entreprise.
Elise convainquit un capitaine désespéré et couvert de dettes de leur faire traverser l'océan. Le vaisseau navigua pendant des semaines jusqu'à une île noyée dans une brume sombre. Elise débarqua sur une plage de sable cendreux et conduisit son groupe dans les profondeurs de l'île comme des agneaux à l'abattoir. Nombre d'entre eux furent emportés par des esprits vengeurs, mais il en restait une demi-douzaine quand ils atteignirent l'antre du dieu araignée.
Une monstrueuse créature de chitine et de crocs jaillit des profondeurs et se reput des humains dans un tumulte de hurlements. Alors que ses compagnons mouraient ou étaient capturés dans le fil du dieu, Elise aperçut la dague que la Femme Pâle cherchait : elle était dans le poing serré d'un cadavre desséché. Elle s'en empara au moment où le dieu araignée enfonçait ses crocs venimeux dans son épaule. Elise tomba vers l'avant et la lame du couteau lui perça le cœur : sa puissante magie coula en elle et se mélangea au terrible poison du dieu, entraînant dans tout son corps des changements radicaux. Elise fut transformée tandis que sa chair était renouvelée, lui rendant une beauté bien supérieure encore à celle qu'elle avait connue naguère. Ses cicatrices disparurent, son teint devint immaculé, sa peau douce comme de la porcelaine – mais le venin du dieu avait ses propres ambitions. Le dos d'Elise s'agita de soubresauts tandis que des pattes arachnoïdes transperçaient sa chair.
Elise se releva, le souffle coupé par la souffrance de sa transformation, et vit que le dieu araignée se penchait sur elle. Une puissance partagée coulait entre eux et ils sentirent immédiatement que cette symbiose inattendue pouvait les servir. Elise retourna à son navire, sans que les esprits de l'île n'approchent d'elle, et elle fit voile vers Noxus. Quand son navire arriva à quai au milieu de la nuit, Elise était la seule créature vivante encore à bord.
Elise rendit le couteau à la Femme Pâle, bien que cette dernière l'ait prévenue que la magie qui maintenait sa beauté restaurée ne pouvait que disparaître avec le temps. Toutes deux scellèrent un pacte : la Rose noire fournirait à Elise des adeptes à livrer au dieu araignée, en échange de quoi Elise leur donnerait toute relique qu'elle trouverait dans les Îles obscures.
Elise recommença à vivre dans les salles abandonnées de la Maison Zaavan, entretenant une réputation de femme d'une grande beauté, recluse et inaccessible. Nul ne suspectait sa vraie nature, mais les rumeurs ne manquaient pas sur son compte : des contes fous parlant de sa beauté immortelle et d'une créature terrifiante vivant dans les tréfonds d'un palais noyé de poussière.
Des siècles se sont écoulés depuis son premier voyage vers les Îles obscures et, à chaque fois qu'Elise se découvre un cheveu blanc ou une ride, elle récupère auprès de la Rose noire des âmes perdues avant de faire voile vers les îles cachées dans la brume sombre. Aucun de ceux qui l'accompagnent ne revient jamais et, à chaque voyage, on dit qu'Elise reparaît rajeunie et plus vigoureuse... et dotée d'une relique qu'elle offre à la Femme Pâle.APPELÉE À RÉGNER
Appelée à régner
Les semaines passées sur l'océan avaient affaibli Markus et il était extrêmement heureux de remettre enfin le pied sur la terre ferme. Le chemin qui partait du rivage basaltique était glissant, presque huileux, il fallait surveiller ses pas. Les arbres tordus s'inclinaient de part et d'autre, semblant pleurer des branches jaunies, on aurait dit que des animaux affolés les avaient lacérés de leurs griffes. Une lumière tamisée était filtrée par les arbres, dansant comme les feux-follets des marais qui conduisaient les imprudents vers leur fin. Depuis les branches tombait comme de la mousseline en lambeaux, et il fallut un moment à Markus pour comprendre que c'étaient des toiles d'araignée.
Des fougères sèches obscurcissaient le bas chemin, agitées par le mouvement de créatures invisibles. Peut-être les rats qui infestaient le navire les avaient-ils suivis. Markus n'en avait jamais clairement vu un ; tout au plus, de loin en loin, avait-il aperçu une silhouette sombre ou entendu le crépitement de leurs pattes sur le bois. Il ne pouvait s'empêcher de penser que ces rats avaient plus de membres qu'ils n'auraient dû.
L'air de l'île était lourd et moite, et ses vêtements soigneusement taillés se détrempaient de bruine persistante. Il leva à son nez un diffuseur de parfum de poche, mais cela ne suffit guère à dissiper la puanteur de l'île, qui lui rappelait l'odeur des charniers de Noxus, quand les vents océaniques la rabattaient sur la ville. À repenser à sa terre natale, il ressentit un malaise. Les festivités des catacombes, au plus profond de la cité, lui avaient procuré de délicieux frissons, c'était une belle récompense pour avoir su suivre le symbole secret de la fleur aux pétales noirs. Au milieu des sépulcres sombres, lui et les autres adeptes se réunissaient.
Là où elle les attendait.
Il regarda devant lui, espérant apercevoir la femme séduisante dont les mots avaient attiré tant d'entre eux jusqu'ici. Il capta du coin de l'œil un éclair de soie pourpre et un souple mouvement de hanches avant que la brume entre les arbres ne s'épaississe de nouveau. Les sermons du dieu ancestral de la femme l'avaient exalté et il avait ressenti une joie sans limite quand lui, avec quelques autres, avait été choisi pour l'accompagner dans son pèlerinage. Monter à bord de la lourde embarcation à minuit, sous le regard du timonier silencieux dont le visage était caché par une capuche, c'était comme une grande aventure ; mais il était désormais si loin de Noxus que son enthousiasme commençait à faiblir.
Markus s'arrêta et se retourna pour jeter un coup d'œil sur le chemin, derrière lui. Les autres pèlerins tentèrent de passer malgré lui, les yeux vides, comme du bétail en route pour l'abattoir. Quelque chose n'avait pas l'air de tourner rond... Derrière eux marchait le timonier, glissant sur le sentier comme si ses pieds ne touchaient pas le sol. Sa robe ondulait curieusement dans sa progression et une peur suffocante se répandit dans la poitrine de Markus à l'idée d'être si proche de l'effroyable silhouette.
Il se tourna de nouveau... pour se retrouver face à elle.
« Elise... » dit-il, avant que sa phrase ne s'étrangle dans sa gorge. À l'instinct, il voulut la repousser et fuir cet endroit lugubre, mais le poison de sa sombre beauté anesthésia toute sa volonté. Sa répulsion passa si vite qu'il se demanda même s'il l'avait vraiment ressentie.
« Markus », dit-elle, et la sonorité de son nom était sublime entre ses lèvres, faisant courir un frisson de plaisir sur sa colonne vertébrale. Sa beauté le transperça, il savourait chaque détail de ses formes parfaites. Ses traits étaient anguleux, encadrés par une somptueuse chevelure qui lui rappelait une fille de haute naissance qu'il avait connue naguère. Ses lèvres pleines et ses yeux ardents l'attirèrent davantage dans sa toile de promesses voluptueuses. Un manteau de zibeline, retenu par une broche à huit branches, couvrait ses épaules aux rondeurs parfaites. Il bougeait et se plissait, bien qu'il n'y eût pas de vent pour l'agiter.
« Quelque chose ne va pas, Markus ? » demanda Elise. Son timbre éthéré calma sa peur comme un baume. « Je te veux en paix. Tu es en paix, n'est-ce pas, Markus ? »
« Oui, Elise, répondit-il. Je suis en paix. »
« Bien. Cela me chagrinerait beaucoup que tu ne sois pas en paix alors que nous sommes si près du but. »
La pensée de lui déplaire plongea Markus dans une panique folle et il se laissa tomber au sol. De ses bras, il agrippa ses jambes : des membres fins d'un blanc d'albâtre, doux et froids au toucher.
« Je suis là pour te servir, ô ma maîtresse », bafouilla-t-il.
Elle posa le regard sur lui et sourit. Un instant, Markus pensa apercevoir quelque chose de long, de fin et de brillant se soulever sous son manteau. Ce mouvement avait quelque chose de répugnant et de monstrueux, mais il ne s'en soucia pas. Elle plaça sous son menton un ongle noir d'obsidienne et le remit sur pieds. Un filament de sang coula sur sa gorge, mais il l'ignora et se laissa entraîner à sa suite.
Il n'opposa aucune résistance, il n'avait plus qu'une pensée en tête : lui complaire en tout point. Les arbres s'espacèrent et le chemin s'arrêta devant une falaise rocheuse gravée de symboles érodés par le temps. Une grotte sombre s'ouvrait comme une gueule béante et Markus sentit ses certitudes s'évanouir tandis que l'effroi s'emparait de lui.
Elise l'attira à l'intérieur, et il ne put rien faire pour lui résister.
L'intérieur de la grotte était surnaturellement sombre et curieusement chaud, comme une fièvre moite imprégnée des relents d'abats d'un étal de boucher. Une voix, au plus profond de lui, lui intimait l'ordre de fuir, de se précipiter aussi loin que possible de ce lieu abject, mais ses pieds refusaient de lui obéir et il s'enfonçait toujours davantage dans la grotte. Une gouttelette tombant du haut plafond s'écrasa sur sa joue et il frémit à la soudaine douleur. Il leva les yeux et aperçut des formes blanchâtres, suspendues à la voûte rocheuse, qui se balançaient dans un mouvement frénétique. Visible à travers la surface translucide d'une de ces toiles fraîchement tissées, un visage humain hurlait de terreur, sans un son, étouffé par le suffocant filet de soie.
« Quel est cet endroit ? » demanda Markus, tandis que sa lucidité perçait progressivement les voiles de mensonges qui embrumaient son esprit.
« Ceci est mon temple, Markus », répondit Elise en dégrafant la broche à huit branches pour laisser tomber son manteau. « Ceci est l'antre du dieu araignée. »
Ses épaules frémirent tandis que deux paires de membres chitineux se déployaient dans son dos : des membres longs, noirs et armés de serres tranchantes comme des rasoirs. Ils soulevèrent Elise tandis qu'une masse grotesque et boursouflée bougeait derrière elle dans l'obscurité. Des pattes colossales déplaçaient un corps impie et les faibles lueurs venues de l'extérieur de la grotte se reflétaient sur des yeux aux innombrables facettes.
L'araignée était énorme, hérissée de gluantes excroissances mutantes. La terreur engendrée par cette apparition de cauchemar détruisit les derniers lambeaux de l'emprise qu'Elise avait sur Markus, et l'homme s'enfuit vers la sortie tandis que résonnait entre les murs un rire cruel. Des fils de toile frappèrent la pierre derrière lui. Des brins luisants l'enserrèrent tandis qu'il se débattait pour s'arracher à un sol de plus en plus gluant. Il entendit le bruit de pattes griffues derrière lui et il pleura à la pensée qu'il allait être rattrapé. D'autres filins de toile le ligotèrent tandis que quelque chose de pointu s'enfonçait dans son épaule avec une stupéfiante vivacité. Markus tomba à genoux ; le venin paralysant se répandait dans son corps et l'emprisonnait dans sa propre geôle de chair.
Une ombre se dressa devant lui et il reconnut le timonier mutique, les bras ouverts. Markus hurla quand la robe du timonier tomba au sol, révélant qu'il n'était nullement un homme, mais un nid grouillant d'araignées innombrables qui affectaient l'apparence d'un humain. Elles tombèrent sur lui par milliers et ses cris furent étouffés quand elles pénétrèrent dans sa bouche, bouchèrent ses oreilles et s'enfouirent dans ses globes oculaires.
Elise se déplaça au-dessus de lui, portée par les membres surnaturels qui lui sortaient du dos. Elle n'était plus une femme magnifique, elle n'était plus une femme. Ses traits reflétaient désormais une faim insatiable. Son monstrueux dieu araignée souleva Markus du sol avec ses mandibules tranchantes.
« Tu dois mourir à présent, Markus », dit Elise.
« Pourquoi...? » parvint-il à demander dans son dernier souffle.
Elise sourit, sa bouche maintenant hérissée de crocs fins comme des aiguilles.
« Pour que je vive. »
Evelynn - Faiseuse de veuves
Vive et mortelle, Evelynn est l'un des assassins les plus efficaces (et les plus chers) de Runeterra. Capable de se fondre dans l'ombre à volonté, elle traque patiemment sa proie, attendant le moment idéal pour frapper. À l'évidence, Evelynn n'est pas totalement humaine et ses origines restent mystérieuses, mais on dit qu'elle vient des Îles obscures... sans qu'on sache au juste quels liens elle entretient avec le néfaste royaume.
L'appel des ombres
Saito Takeda posa ses coudes sur la surface laquée de son bureau, faisant craquer le cuir épais de ses gants alors qu'il dressait ses doigts. Avec les années, ce qui était autrefois une solide épaisseur de muscles avait petit à petit cédé la place à une couche de graisse, mais il n'en restait pas moins un homme imposant. Son regard était impénétrable tant ses yeux étaient depuis longtemps devenus des lentilles sombres et luisantes, dénuées d'âme.
Deux gardes du corps bardés d'implants se tenaient de part et d'autre de lui. On n'aurait guère pu s'en payer de plus robustes, leurs corps ayant été transformés en de redoutables armes techno-alchimiques par Singed, un scientifique à demi-fou, mais néanmoins brillant.
La violence et l'ambition qui animaient Takeda l'avaient aidé à s'extirper de ses origines modestes pour devenir l'un des plus puissants Barons de l'alchimie de Zaun, le nom donné aux terrifiants maîtres du monde clandestin de la cité. Ce jour-là, il complotait pour entraîner, une fois encore, la chute d'un de ses rivaux.
« Fais-la entrer, Ortos », dit-il en expirant un voile de fumée.
Des chaînes invisibles se tendirent dans un crissement de métal et les portes de fer noir de son bureau s'ouvrirent. Deux autres gardes du corps se tenaient, attentifs et silencieux, à l'extérieur. On n'était jamais trop prudent. Takeda l'avait appris à ses dépens, comme en témoignaient ses nombreuses cicatrices.
Ortos, le chambellan chauve de Takeda, s'avança dans l'entrée en guidant une petite silhouette.
Les ombres restaient fixées sur elle et empêchaient de la distinguer clairement, mais Takeda aperçut subrepticement un carré de peau bleue et deux yeux de prédateur qui reflétaient la lueur alchimique des candélabres de son bureau. Cette vision lui inspira un frisson d'appréhension, qu'il parvint cependant à contenir. Il était l'un des hommes les plus craints de Zaun. Pourquoi devrait-il se sentir mal à l'aise dans son propre bureau ?
« Dame Evelynn », annonça Ortos.
Takeda leva une main gantée et Ortos se retira. Les portes se refermèrent en grinçant derrière lui. Evelynn s'avança nonchalamment dans une démarche belle et gracieuse. Ses talons émettaient un écho aigu.
Elle s'arrêta de l'autre côté du grand bureau de Takeda et posa les mains sur ses hanches. Il pouvait désormais la voir plus clairement, les ombres s'étant retirées dans les angles de la pièce.
Sa silhouette gracile était vêtue de pièces de cuir rouge étincelant et ses yeux étaient jaunes, en forme d'amande, comme ceux d'un chat. Son visage était cerclé d'une crinière carmin ébouriffée. Le sourire narquois qu'elle esquissa laissa entrevoir ses canines acérées.
« On m'a désignée sous de nombreux noms, dit-elle. Mais une dame ? C'est inédit. »
Takeda se redressa sur son siège pour l'examiner. « Les gens d'ici t'appellent plutôt la Faiseuse de veuves. »
Evelynn haussa les épaules. « Ce qui a le mérite d'être vrai. »
« Personnellement, je n'ai jamais été marié, dit Takeda. Mais celui que je veux te demander de tuer, le baron Artega Holt, a une femme. Deux, en fait, et tout un tas de maîtresses. »
« Quel charmant individu. Je suis sûre qu'elles le regretteront tendrement, ronronna Evelynn. Je serais heureuse de faire sa connaissance. »
« Mais avant de t'envoyer en mission, j'ai besoin d'une confirmation, ajouta Takeda. Comment puis-je avoir la certitude que tu es la bonne personne pour ce travail ? »
« Tu me demandes de faire mes preuves, comme si j'étais la première petite frappe venue ? répondit-elle, légèrement agacée. Me suis-je donc absentée de Zaun si longtemps qu'on veuille à nouveau me faire passer une audition ? »
« Nous entendons parler de tes exploits, de temps en temps. L'assassinat de ce chevalier commandant de Demacia l'an dernier, c'était toi, n'est-ce pas ? »
Evelynn hocha lentement la tête. « Tout à fait. »
« Et l'héritier du clan Kozari, à Piltover, la semaine dernière ? »
Le visage d'Evelynn se referma.
« Non, ce n'était pas moi, rétorqua-t-elle. C'était la Dame en gris. »
« Ah, songea Takeda. Intéressant. J'imagine qu'on ne peut jamais vraiment faire confiance aux racontars. Je ne croirai que ce que je verrai de mes propres yeux. »
« Alors je crains que tu ne sois déçu », souffla Evelynn.
La tueuse à la peau bleue fit un pas en arrière et s'effaça en un instant dans les ombres. Les gardes du corps de Takeda se crispèrent, gonflant leurs membres ornés de pistons en signe d'inquiétude. Takeda regarda tout autour de lui en essayant de discerner son emplacement. Rien. Elle s'était totalement évanouie, comme si elle avait été absorbée par l'obscurité.
« Pas mal », fit-il. Il avait bien sûr entendu parler de son pouvoir, mais il était conscient que ce genre de choses faisait souvent l'objet d'exagérations. Il était satisfait de savoir que, dans ce cas, les rumeurs disaient vrai.
Des mains acérées surgirent derrière Takeda et plongèrent dans sa chair leurs ongles rouges comme le sang. Evelynn émergea des ombres. Elle était bien plus forte qu'elle en avait l'air. Elle tourna de force la tête de l'homme pour dévoiler son épais cou. Ses mains étaient glaciales, comme si son sang ne coulait plus dans ses veines. Ses griffes n'étaient qu'à quelques centimètres de sa jugulaire.
Les gardes se retournèrent immédiatement et avancèrent pour tenter de défendre leur maître, mais Takeda leva la main pour leur faire signe de s'arrêter. Il savait que si elle avait décidé de mettre fin à sa vie, ils auraient été trop lents de toute façon.
« Qu'est-ce que tu en dis ? murmura Evelynn de son large sourire, son souffle gelé caressant son cou. Impressionné ? »
Takeda grogna.
« Pas mal du tout, dit-il. Oui, tu feras parfaitement l'affaire. Parlons maintenant des termes de ma proposition. »
« J'espère que tu as de quoi te payer mes services », siffla-t-elle en resserrant sa prise et en se penchant davantage sur lui. Je ne voudrais pas que tu regrettes de m'avoir fait perdre mon temps. »
Takeda déglutit nerveusement. « Je pense que ce ne sera pas un problème », fit-il.
Evelynn le relâcha d'un mouvement brusque et s'assit sur le bord de la table. Elle s'étira comme un chat, complètement détendue.
« Tu ne m'as pas encore demandé mon prix », dit-elle.
« Quel qu'il soit, je peux le payer. »
« L'argent ne m'intéresse pas, Saito », répondit-elle.
Takeda fronça les sourcils. « Alors que cherches-tu ? »
« Bien plus que ce que tu serais prêt à me donner, je le crains, dit-elle. Mais je suis sûre que tu te laisseras convaincre. »
« Ce n'est pas comme ça que ça marche, par ici, grogna Takeda. Ce quartier m'appartient. Personne n'exige quoi que ce soit de moi. »
« Tu n'as vu qu'un fragment de ce dont je suis capable », fit Evelynn. Elle se redressa en souriant. « Je suis tout à fait en position de donner mes exigences. »
Takeda resta silencieux. Il était tendu. Alors qu'il ouvrit la bouche pour parler, Evelynn l'interrompit en levant le doigt.
« Réfléchis bien avant de parler, très cher, dit-elle. Tu risquerais de mourir avant d'arriver au bout de ta phrase. »
Takeda la regardait fixement, incapable de se décider.
« Sage décision », ajouta Evelynn après un court instant. Elle se leva, contourna le bureau et marcha à grands pas en direction de la porte.
« Artega Holt sera mort avant le lever du soleil, prononça-t-elle sans se retourner. Je te contacterai à propos de mon premier paiement. »
« Premier paiement ? » s'interrogea Takeda.
« Le premier d'une longue série, rétorqua-t-elle en se retournant pour le regarder. Tâche de te souvenir que je peux frapper partout où il y a de l'ombre. Et Zaun n'est pas en manque de ténèbres. »
Elle se retourna vers la porte et hocha la tête tout en levant un sourcil. Takeda grogna un ordre et les portes s'ouvrirent. Avant de partir, Evelynn lui lança un clin d'œil.
« Détends-toi un peu, dit-elle en s'effaçant dans l'obscurité. Tant que tu ne feras rien qui puisse m'agacer, ce partenariat sera bénéfique pour toi comme pour moi. »
Takeda resta assis en silence. Quelques minutes plus tard, le chambellan passa la tête par la porte.
« Avez-vous besoin de quelque chose, monsieur ? » Demanda Ortos.
« Non », répondit Saito Takeda en serrant les dents. Il frappa son bureau du poing. « Laisse-moi. Laissez-moi tous. Et ravivez le feu. Il fait beaucoup trop sombre, ici... »
Maokai - Tréant torturé
« Tout autour de moi, il n'y a que des coquilles vides, sans âme et sans peur... mais je vais leur enseigner la terreur. »
Maokai est un immense tréant possédé par la colère, qui combat les horreurs impies des Îles obscures. Il est devenu l'incarnation de la vengeance après la destruction de ses terres par un cataclysme magique, n'échappant lui-même à l'état de mort-vivant que grâce à l'eau de la vie qui l'irrigue. Autrefois, Maokai était un paisible esprit de la nature ; aujourd'hui, il combat avec fureur le fléau mort-vivant qui accable les Îles obscures pour rendre à l'archipel son ancienne beauté.
Bien avant les plus anciens souvenirs, une chaîne insulaire jaillit des profondeurs de l'océan, éruption de roc et d'argile. L'esprit de la nature nommé Maokai apparut au même moment. Il prit la forme d'un tréant, son immense corps couvert d'écorce et ses membres allongés comme des branches. Maokai sentit la profonde solitude de cette terre, mais aussi son aptitude à croître. Il erra d'île en île à la recherche de signes de vie, de plus en plus perdu dans son isolement.
Enfin, sur une île vallonnée pourvue d'une terre riche, Maokai sentit une énergie sans limite irradier des profondeurs du sol. Il plongea ses puissantes racines dans l'humus jusqu'à ce qu'elles atteignent une source d'eau magique imprégnée de force vitale, et il en but avidement. Ainsi abreuvé, il put faire naître des centaines de pousses qu'il planta partout dans les îles.
Bientôt, l'archipel fut recouvert de forêts verdoyantes, de bosquets de hauts sapins, de bois foisonnants, qui tous palpitaient d'énergie magique. Des arbres gigantesques formaient une immense canopée et des racines solides servaient de fondation à la luxuriante végétation de l'île. Les esprits de la nature furent attirés par cet océan vert et les animaux prospérèrent dans cette nature fertile et exubérante.
Lorsque les humains débarquèrent à leur tour dans l'archipel, ils bénéficièrent eux aussi de cette profusion naturelle et créèrent des sociétés éclairées d'érudits désireux d'étudier les mystères du monde. Maokai était conscient de leur présence, mais il sentit qu'ils respectaient le caractère sacré de cette terre. Percevant la magie qui émanait des bois, les humains bâtissaient leurs foyers dans des zones clairsemées, afin de ne pas troubler les esprits de la nature. Maokai se faisait parfois voir de ceux en qui il avait confiance et leur transmettait le savoir des îles verdoyantes. Il leur fit même le plus grand des dons : la connaissance de la source souterraine qui pouvait soigner les blessures mortelles.
Des siècles passèrent et Maokai vivait une existence idyllique, quand une flotte armée venue d'au-delà des océans fit escale sur les rivages de l'archipel. Maokai sentit qu'un terrible danger menaçait la région. Le roi des nouveaux arrivants, ravagé de chagrin, amenait avec lui le corps de sa défunte épouse dans l'espoir de la faire revivre en baignant ses chairs décomposées dans les eaux de la vie. Réanimé, le cadavre pourrissant de la reine supplia le roi de le rendre à la mort. Le souverain chercha à défaire ce qu'il avait fait, et ce faisant, sans le vouloir, il déchaîna sur l'archipel une terrible malédiction.
À des lieues de distance, Maokai sentit les premiers frémissements du désastre qui allait bientôt dévaster les îles. Il perçut la force terrifiante qui grandissait sous le sol et un frisson amer le parcourut.
Tandis que la Ruine se répandait, Maokai plongea désespérément ses racines au plus profond de la terre et but l'eau de la vie jusqu'à saturer chaque fibre de son être de la magie vitale. Mais avant que la corruption qui se diffusait dans l'eau ne l'atteigne, Maokai retira ses racines, coupant toute connexion avec la source. Il hurla de rage en comprenant que le réservoir sacré dont il avait enseigné l'existence aux hommes avait été totalement dépossédé de toute sa pureté.
Quelques instants plus tard, la brume qui entourait les îles devint noire et se répandit sur la terre, enfermant tous les êtres vivants dans un état surnaturel, à mi-chemin de la vie et de la mort. Maokai, impuissant et ravagé de peine, regarda tout ce qu'il connaissait (plantes, esprits de la nature, animaux et humains) se transformer en ombres perverties. Sa fureur grandit encore : la merveilleuse beauté qu'il avait nourrie depuis ses premières pousses, des siècles plus tôt, avait été anéantie en un instant par la faute d'un seul homme insouciant.
La brume enveloppa Maokai et il pleura tandis que les fleurs capiteuses qui ornaient ses épaules tombaient en poussière. Son corps se tordit et se transforma en une masse de racines noueuses et de branches emmêlées tandis que la brume aspirait le souffle qui l'animait. Mais le cœur de Maokai était saturé par la précieuse eau de la vie, ce qui le protégea contre la malédiction qui frappait toute la région.
Tandis que les spectres grotesques et les effroyables abominations se répandaient dans l'archipel, Maokai fut attaqué par une horde d'hommes dépossédés de leur âme. Il les frappa de ses branches avec une violence furieuse, réalisant que la puissance de ses coups pouvait les réduire en poussière. Il trembla de révulsion : jamais auparavant il n'avait pris une vie. Il sabra les esprits de toutes ses forces, mais c'était par centaines qu'ils attaquaient et il fut obligé de battre en retraite.
Maintenant que sa terre natale était dévastée et que ses compagnons avaient été transformés en monstruosités, Maokai fut tenté de fuir le cauchemar de l'archipel. Mais au plus profond de sa forme distordue, il sentait les eaux sacrées qui préservaient sa vie. Il avait survécu à la Ruine en portant en son sein le cœur même des îles et il n'était pas question pour lui de les abandonner maintenant. Premier esprit de la nature des Îles bénies, il avait pour devoir de rester pour combattre au nom des âmes de l'archipel.
Bien qu'encerclé par des armées d'ennemis et par la Brume noire, il décida de lutter pour vaincre le mal qui s'était abattu sur les îles. Il avait désormais pour seul plaisir de déchaîner toute sa violence sur les spectres sans âme qui s'emparaient de ces terres.
Certains jours, Maokai parvient à prendre le dessus sur la Brume et sur ses morts-vivants, rompant leur emprise sur un bosquet ou un fourré. Bien qu'aucune vie nouvelle ne soit née sur ce sol maudit depuis une éternité, Maokai lutte pour créer des havres de paix, même temporaires, des clairières libérées du regret et de la pourriture.
Tant que Maokai continue de combattre, l'espoir demeure, car au plus profond de lui perdurent les eaux de la vie, épargnées par la corruption, seule chance de rendre un jour la paix aux Îles obscures. Si la terre retrouve un jour son état naturel, Maokai aussi sera libéré de sa forme maudite. L'esprit de la nature a donné la vie à cet archipel il y a longtemps et il ne prendra pas de repos avant que les îles ne fleurissent de nouveau.
Nocturnelle
Avec des sifflements stridents, le vent glacé me fouette par les fissures de mon écorce. Je frissonne. Depuis longtemps, mes membres ont oublié la chaleur de l'été.
Les hautes formes, autour de moi, se fracturent et s'effondrent sous les rafales. Les vies qui les habitaient ont disparu depuis une éternité, ce sont désormais des compagnons silencieux. Les troncs fragiles ne sont que des coquilles vides, la forêt autrefois verdoyante et luxuriante n'est plus qu'un empire de cendres dessiné à la pointe sèche.
Un esprit erre entre les arbres devant moi, se détachant, pâle et spectral, sur la nuit. Quelque chose se durcit sous mon écorce. D'ordinaire, je lancerais mes racines pour traverser le cœur de l'esprit, mais aujourd'hui je reste immobile et j'essaie de ne pas l'avertir de ma présence. Je suis fatigué de résister. Le simple fait que j'existe est un défi à la malédiction qui pèse sur ces terres.
Les orbites térébrantes de l'esprit sont vides. Il n'y a plus rien de vivant et de vulnérable pour alimenter sa froide amertume sur cette île vouée à la mort, rien qu'il puisse encore chasser ou consumer. L'esprit glisse entre les arbres, me laissant à ma solitude.
Mon regard perce la forêt d'ombres et mes branches frémissent. J'aperçois une petite lueur rouge dans le gris sans fin. Blotti dans un petit monticule de poussière noire, un minuscule bourgeon perce le sol, ses promesses de pétales si flamboyantes qu'elles m'en brûlent les yeux.
Une nocturnelle. Autrefois, elles tapissaient le sol des Îles bénies, s'épanouissant le soir du solstice d'été. Au matin, les corolles se flétrissaient et ne laissaient que des pétales noircis, pour ne fleurir à nouveau que l'année suivante. Mais, l'espace d'une nuit, elles illuminaient la forêt de leur pourpre éclatante, comme si le sol avait pris feu.
Je regarde autour de moi et, un bref moment, l'espoir me prend que cette fleur n'est pas forcément la seule à renaître. Mais je ne suis entouré que par l'anthracite des îles mortes.
Mes branches craquent tandis que je fais un pas maladroit. J'approche du bourgeon, fasciné, écrasant les feuilles cendreuses sous mes pas. Ma colossale stature surplombe sa forme délicate. Je me penche jusqu'à ce que mon visage ne soit plus qu'à quelques centimètres des pétales odorants. La puissante eau magique qui imprègne mon cœur s'agite, car elle a reconnu quelque chose qu'elle connaît bien. La vie.
La fleur est inclinée, comme si elle était curieuse. De profondes veines rouge vermillon irriguent chaque pétale et la tige vert pâle est veloutée par une tapisserie de fils argentés. Je pourrais passer l'éternité à détailler chaque facette.
À chaque seconde, elle grandit et change subtilement, sa tige prend de la hauteur et ses pétales s'ouvrent lentement. Chacun de ses mouvements m'enchante. Je vois le bourgeon s'étendre pour révéler les filaments qui montent du pédoncule et son parfum entêtant emplit mon cerveau d'une symphonie de couleurs. Une seconde, j'oublie le froid, le vent, l'amertume.
Une lumière pâle tremble soudain, je me raidis. Une forme phosphorescente approche. Mon écorce est prise de fourmillements. Je n'ai pas d'allié dans ces bois sans chair ni sang.
C'est l'esprit maudit qui revient, attiré par l'agitation. Car la vie n'est pas aussi immobile que la mort.
Furieux, je soulève mes branches, cette fois prêt à la violence. Mieux : avide de violence.
Une nuit durant, sur ces îles desséchées, quelque chose vivra, protégé contre les forces de la corruption.
L'esprit glisse dans notre direction. Ce qui était naguère une femme n'est plus qu'un assemblage translucide d'ossements blanchis. Ses traits inexpressifs tournent à l'avidité quand elle aperçoit le bourgeon écarlate.
Le spectre fonce vers la fleur et tente d'inhaler cette existence fragile. Avant que le bourgeon ne s'étiole en une forme sans vie, je frappe les jambes de l'esprit de toute la force de mes branches. Il hurle et se tétanise, comme s'il était brûlé par des flammes ardentes ; je rugis. L'eau de la vie, à l'intérieur de moi, est un poison mortel pour ces créatures impies.
L'âme perdue se débat pour s'arracher à mon emprise. Je me hisse sur mes racines et me rabat sur le sol. L'impact fend le sol aride et une onde de choc ébranle la terre. Le séisme touche l'esprit qui titube, ravagé de douleur. Je ris amèrement. Mes branches traversent le spectre et il se dissout.
Une brume crépusculaire monte du sol dans une immonde puanteur. Tandis que le vent hurle, des dizaines d'esprits se matérialisent devant moi, le visage tourné vers la scène stupéfiante qui se déroule devant eux. La nocturnelle et moi sommes en train de grandir devant le mur des ombres. Je ne les laisserai pas détruire cette parcelle de pureté dans les ténèbres.
J'alimente mes coups avec toute ma rage et je repousse les assaillants de toute la force dont je suis capable. Je ne peux pas détruire tous les esprits présents sur l'île, mais je peux les tenir un temps à distance. Un spectre tente de me dépasser à toute vitesse. Je hurle en projetant mes racines pour lui percer le cœur et il se dissipe en fumée.
Il y a tant d'esprits que je sens mes forces s'épuiser, mais je refuse de céder.
La fleur devient de plus en plus brillante sous la lumière lunaire, inconsciente de la bataille qui se joue pour son existence. Un seul pétale pourpre tombe de sa corolle parfaite comme une goutte de sang. Le cycle de vie de la nocturnelle touche à sa fin : avec sa mort viendra pour moi le repos. Mais je ne le souhaite pas. Je crois que je pourrais nettoyer toute l'île de son fléau tant ma colère est décuplée.
La brume maudite s'est élevée au-dessus de la canopée et tourbillonne en grands nuages. Une horde sans fin d'esprits jaillit du brouillard, les bouches ouvertes dans une avidité de goules. Je me redresse de toute ma taille et je lacère les esprits avides de mes branches, les détruisant les uns après les autres. Mais il en vient toujours plus.
Je hurle en créant dans l'air qui m'entoure une spirale tempétueuse, je la nourris de ma colère jusqu'à en faire un tourbillon furieux. Je me délecte du chaos tandis que le maelström fait cercle autour de moi et de la fleur fragile. Les esprits sont violemment repoussés au-delà de la limite des arbres. Au milieu du cauchemar, j'ai bâti un sanctuaire où la vie peut s'épanouir.
Je me tourne vers la fleur. Nous sommes silencieux côte à côte, dans l'œil du cyclone, tranquilles au sein d'un monde de folie. Un deuxième pétale de feu tombe de la nocturnelle, puis un troisième. Le maelström siphonne mon énergie, mais je tiens bon et la tempête ne faiblit pas. À chaque seconde, la fleur s'incline un peu plus, jusqu'à toucher enfin le sol de ses pistils. Cette mort lente est parfaite de naturel. Je ne parviens pas à détacher mon regard tandis que se fane la flamboyante couronne de pétales.
La nocturnelle se meurt, la nocturnelle est morte.
J'abaisse mes branches et le maelström se tait. Au-dessus de moi, le ciel est d'un gris d'ardoise, aussi lumineux qu'il peut l'être dans ce lieu obscur. De nouveau la Brume approche avec son armée d'esprits. Les visages sont redevenus inexpressifs, car les spectres ne perçoivent plus la palpitation illicite de la nocturnelle et ne ressentent plus l'excitation d'une nouvelle vie à prendre.
Les esprits s'évanouissent dans les bois morts. Je fouette d'une racine un spectre qui passe à ma portée, mêlant son essence disloquée au brouillard qui se dissipe. Les autres font un détour pour m'éviter.
Rien ne semble avoir changé dans l'île, c'est toujours le même désert gris et stérile. Les eaux de la vie bouillonnent pourtant en moi et le sol sous mes racines est de nouveau fertile.
Bien que ses pétales se soient dissous en poussière, la lumineuse nocturnelle brille encore dans mon esprit, incendiant ma rage. Tout comme ces îles sont nées d'une roche en fusion, je nettoierai cette abomination dans un ouragan de feu.
Je prends en chasse les esprits qui s'enfoncent dans la forêt.
Ils vont payer pour leur ignominie.