Note éditoriale : il s'agit de la deuxième partie d'une rétrospective sur la création de TFT. Pour en savoir plus sur les huit premières semaines, allez lire la première partie.
Après huit semaines de tests, d'optimisations et de lags, l'équipe avait enfin un prototype de TFT. Et même s'il n'était pas très beau, il était vachement cool. Ce qui signifiait que la première phase, c'est-à-dire concevoir un truc amusant, était terminée. La suite : se débarrasser du prototype et concevoir le jeu pour de vrai en 10 semaines.
« Lorsqu'on a eu le feu vert pour poursuivre la production, on savait qu'on allait avoir besoin de plus de gens », explique Riot Wittrock. « Heureusement, Meddler a pu récupérer plusieurs équipes de League. Puis un projet de recherche et développement avait récemment été annulé, alors certains d'entre eux se sont aussi joints à nous. »
Voici les développeurs qui vont vous conter cette histoire, même s'ils ne sont qu'une petite partie de l'équipe initiale de TFT :
« Nous avons toujours su que le prototype allait finir au placard. Ce n'était qu'une représentation de ce que nous pouvions faire, pas de ce que nous allions faire », explique Riot Nullarbor. « Alors nous sommes repartis de zéro et avons tout refait. Mais nous l'avons fait correctement, cette fois. »
« Correctement » signifie que l'équipe n'était plus en train de bidouiller quelque chose dans la Faille de l'invocateur. Il était temps de demander aux ingénieurs de développer un code évolutif et ajustable. Maintenant que les principaux choix de game design avaient été faits, comme le fait d'avoir un avatar contrôlable et d'acheter des unités à partir d'une interface plutôt qu'à partir de modèles physiques, l'équipe a pu enfin s'y mettre.
Mais ça ne signifie pas qu'ils ont complètement arrêté d'utiliser le prototype, puisque c'était encore un bon moyen de tester des idées avant de les mettre en œuvre dans le build final.
« Pendant que les ingénieurs étaient au travail, il fallait qu'on continue nos tests pour ajuster l'interface et l'effectif de champions, tester les objets et la boutique, etc. », dit Riot Wittrock. « Alors on a continué d'utiliser le prototype pendant que le jeu qu'on allait livrer était en train d'être conçu à côté. »
Mais l'équipe a dû faire face à la dure et froide réalité et a fini par dire adieu à son cher prototype.
« Le prototype était bancal et ne tenait qu'avec quelques rustines », plaisante Riot Wrekz. « Alors qu'on approchait du build final, on est passés d'une version du jeu qui fonctionnait (le prototype) à deux versions du jeu qui ne fonctionnaient pas (le prototype et le build final), puis enfin à une version du jeu qui fonctionnait (le build final... on faisait tout pour). »
« Je me souviens avoir entendu un jour qu'il y avait toutes sortes de bugs dans le prototype qui ne seraient pas corrigés », raconte Riot Stimhack. « Il y avait une longue liste de bugs, mais ça ne valait pas la peine de demander à quelqu'un de les corriger. »
« C'était comme sauter d'un navire en plein naufrage », plaisante Riot Nullarbor.
À sept semaines du déploiement sur le PBE, il était temps de définir le premier effectif de champions.
« League a un univers très vaste », explique Riot Wittrock. « Nous voulions avoir une bonne idée de la variété de champions que League a à offrir, tout en s'appuyant sur les grands classiques. Je voulais mes ninjas et mes dragons . Ce genre de choses. »
Alors que l'équipe s'attelait à définir la liste de champions, elle s'est alors rendu compte que quelque chose clochait.
« Il y avait beaucoup d'humains », avoue Riot Stimhack. « Ça manquait de diversité. Mais c'était aussi difficile de différencier tous les humains une fois alignés. »
Heureusement, League possède toute une gamme de démons, créatures du Néant, Vastayas et... yordles.
« On a retiré des choses en accord avec l'équipe entière. Alors, ce n'était pas trop difficile de voir partir des éléments qu'on appréciait », ajoute Riot Wittrock. « On savait qu'on allait faire d'autres ensembles et qu'on pourrait ajouter ces champions plus tard. »
Les ajustements de l'effectif consistaient parfois à échanger des champions, parfois à les retirer complètement du jeu.
Alors qui a presque réussi à faire partie du premier ensemble ?
« Lux a longtemps été un champion du premier ensemble », avoue Kilmourz.
« Oui ! L'effectif était complètement différent », se souvient Riot Wittrock. « On a très longtemps joué avec Lux, Lee Sin et Bard. »
« Hmm... Bard était l'unité la plus troll », ajoute Riot Nullarbor. « Cet ultime. La moitié de l'équipe arrêtait soudainement de se battre. »
« J'ai l'impression que ça ne fait pas si longtemps que ça qu'on a retiré Bard du jeu », ajoute Meddler.
« Ne t'inquiète pas », dit Riot Wittrock. « Bard reviendra un jour. »
Une fois les champions déterminés, l'équipe s'est concentrée sur un autre type d'effectif.
« Lorsqu'on bossait sur le prototype, le Carapateur avait la cote et on savait qu'on voulait créer des petites légendes », explique Riot Wrekz. « Alors au moment de travailler sur la version finale, on a décidé de faire quelques tests de personnalisation. »
« Ouais, des gens ont volontairement donné de l'argent à Riot Wrekz », plaisante Riot Wittrock.
« Non ! Enfin, pas vraiment. Le système entier tenait sur des post-it », admet Riot Wrekz. « C'était un système basé sur l'honneur. Si vous remportiez une phase de test, vous pouviez 'acheter' un post-it avec le skin que vous souhaitiez. Vous étiez ensuite autorisé à utiliser ce skin. »
« Je m'en souviens ! C'était tellement drôle et motivant », ajoute Riot Stimhack. « Tout le monde voulait des post-it. »
« On savait qu'on voulait un jeu JcJ où les joueurs s'affronteraient, mais on ne savait pas comment amener les gens sur les plateaux des autres », dit Riot Wrekz.
Avertissement : Peut provoquer un mal de mer.
« Au début, on avait mis en place un bateau qu'il fallait prendre pour passer d'un plateau à l'autre », se souvient Kilmourz. « On montait à bord et on naviguait d'un plateau à l'autre. Mais l'écran ne devenait pas noir et la caméra devait bouger pour corriger l'orientation du plateau. »
« Il a fallu faire pivoter la caméra à 180°, pour que les vaisseaux puissent traverser la carte et que la caméra puisse suivre nos mouvements », ajoute Riot Wrekz.
Les bateaux pirates sont amusants, jusqu'à ce qu'on commence à avoir le mal de mer.
« C'était vraiment magique de pouvoir traverser le néant mystique sur mon vaisseau et croiser d'autre gens. Puis j'ai entendu des gens se sentir mal derrière moi à cause des mouvements. Ça a tout de suite cassé la magie », explique Riot MapleNectar. « Mais ça me manque. »
Pour résoudre le problème de nausées, l'équipe a sacrifié ses fidèles navires avant de mettre en place un vortex pour voyager entre les plateaux.
Selon Riot Nullarbor, « pendant une grande partie du développement de TFT, le plateau se jouait en gauche-droite, plutôt qu'en haut-bas. Nous avons effectué pas mal de changements au plateau assez tardivement. »
Au début, l'équipe voulait mettre en valeur l'importance d'une bonne prise de décision durant la phase de placement, alors elle a commencé avec un plateau plus petit. Puis quand les joueurs ont commencé à envoyer leurs retours, ils ont compris que ça n'avait pas eu l'effet escompté.
« Les retours étaient assez unanimes entre les joueurs novices et les experts des jeux de combat automatique : les plateaux étaient trop étroits. Alors on s'est dit 'Merde' », rigole Riot Wittrock. « On devrait réfléchir à un moyen d'agrandir l'espace. À ce stade, on avait déjà presque tout terminé. On avait les textures et les artistes avaient presque déjà terminé les plateaux. »
Comment l'équipe pouvait-elle obtenir plus d'espace sans perdre un temps précieux à défaire, refaire et remodeler les plateaux ?
« À un moment, on a compris que si on mettait les plateaux dans le sens vertical, on gagnait une colonne en plus et le plateau avait donc l'air plus grand », explique Riot MapleNectar. « C'était pile ce qu'il nous fallait. »
Et ça a fonctionné. L'équipe a réussi à donner l'impression d'un plateau plus grand, sans vraiment l'agrandir. Et avec un tel timing serré, ça ne pouvait être qu'un avantage. N'est-ce pas... ?
« Après avoir réorienté les plateaux, on s'est rendu compte qu'il était presque impossible de voir certains champions derrière d'autres », déclare Kilmourz. « Les personnages se tenaient droits les uns derrière les autres et les géants tels que Mordekaiser occultaient les unités plus petites comme Vayne. C'était impossible de voir ce qui se passait. »
Mais il n'y avait plus le temps de se remettre au dessin et réinventer les plateaux. Ils avaient trouvé un compromis en faisant pivoter le plateau, mais rencontraient désormais des problèmes de clarté. Alors que faire ?
La réponse était simple : des hexagones.
« On a toujours songé à mettre en place des hexagones », se souvient Riot Nullarbor. « On a longtemps utilisé les carrés, mais les hexagones sont toujours restés dans un coin de notre tête. »
Les hexagones ont deux atouts principaux. Comme ils possèdent plus de côtés, ils se rapprochent d'une forme de cercle, ce qui améliore le lancement des sorts de zone. Ils répartissent également mieux les champions et permettent de distinguer plus facilement la silhouette d'un champion.
« On était aussi vraiment emballés par les réflexions stratégiques qu'entraînait le passage aux hexagones », raconte Riot Wittrock. « Ils ajoutaient un niveau de complexité. Il y avait plus de variété dans le positionnement. Et puis il fallait réfléchir à l'orientation des hexagones. Ça nous a ouvert tout un tas de choix de design vraiment intéressants. »
Exemples de déplacements et de designs de plateaux carrés vs hexagonaux
Les hexagones permettaient également à l'équipe artistique de pouvoir créer des déplacements un peu plus organiques. Au lieu de devoir tenir compte de la raideur des angles droits, ils ont pu créer des animations de déplacement plus naturelles.
« On était vraiment contents de pouvoir exploiter l'environnement unique de League pour embellir ces plateaux », explique Riot Wrekz. « Et les hexagones nous ont permis de créer des éléments de plateau qui n'étaient pas parfaitement rectangulaires. Ça nous a ouvert plus de portes qu'on ne l'aurait cru. »
« Je n'oublierai jamais les ascenseurs émotionnels qu'on a eus pendant tout le développement », se souvient Riot MapleNectar. « Le matin, on venait plein d'espoir au bureau. Puis à midi, on se disait qu'on n'arriverait à rien. Après le déjeuner, on était peut-être capables de le faire. Puis le soir même, non, c'était sûr, on n'y arriverait pas. Et puis tous les jours, ça recommençait. »
À deux semaines du lancement, l'équipe devait se dépêcher de terminer ce maudit jeu. Ce qui impliquait donc de songer aux tout petits détails.
« On avait un peu mis les effets visuels en suspens, le temps de terminer le gameplay », explique Kilmourz. « Il a fallu monter une équipe de choc, car les combats étaient trop visuellement chargés. On ne pouvait pas distinguer ce qui se passait entre les effets visuels, les sorts et les montées de niveau. TOUT était animé. »
Pour gagner du temps, l'équipe avait importé beaucoup d'éléments de League, mais il s'est avéré qu'il y en avait un peu trop. Alors ils se sont remis au travail et ont enlevé des trucs. Et encore... Et encore. »
« Avec neuf champions dans chaque équipe qui travaillaient en même temps... Ça fait beaucoup », plaisante Riot Stimhack.
L'équipe artistique avait un tout autre défi à relever, même s'il était... de plus petite envergure.
« En général, toutes nos illustrations sont peintes à la main numériquement par nos illustrateurs. Mais on n'avait pas le temps de faire ça pour les petites légendes », explique Kilmourz. « Au lieu de ça, on les a mis dans Maya puis on les a peints pour qu'ils correspondent aux illustrations de League. »
Pendant ce temps...
« J'avais tellement de réunions avec les éditeurs qui me demandaient si on était à l'heure pour le lancement et je leur répondais juste oui avec assurance », rigole Riot MapleNectar. « Pendant ce temps, dans les coulisses, rien ne fonctionnait. Je veux dire, on avançait, mais le build était complètement cassé. Et ça, c'était à 10 jours du lancement. J'avais foi en notre équipe. »
À une semaine du lancement sur PBE, il était temps d'obtenir des retours de joueurs. Est-ce que TFT était vraiment amusant ? Est-ce que les parties étaient intéressantes ? Quelle petite légende était la meilleure ? Ce genre de trucs importants. Alors ils se sont tournés vers les seules personnes en mesure de les aider : les Rioters.
« Je ne sais toujours pas qui a lancé l'appel, mais on a organisé une phase de test en interne. On a installé TFT et on a envoyé un e-mail », nous confie Riot Wittrock. « Je ne sais pas si j'ai vraiment réalisé ce qui se passait à ce moment-là. Tous ces gens ont commencé à nous dire ce qu'ils en pensaient, ils se sont investis là-dedans et ils s'amusaient. Je n'oublierai jamais ce moment. C'était vraiment cool. »
Officiellement, on testait les performances et le chargement du jeu, pour permettre à autant de gens que possible de jouer. Et autant dire que tout ça allait au-delà de nos espérances.
« Pendant très longtemps, on essayait de convaincre les gens de venir à 17h pour jouer sur nos ordinateurs », se souvient Riot Wittrock. « C'était incroyable de voir soudainement plein de gens faire la queue pour jouer au jeu. »
« Certains jouaient à 2h du matin », avoue Riot Wrekz.
« C'était un des meilleurs moments de ce développement », ajoute Riot MapleNectar. « Je me souviens m'être levé très tôt un matin et deux Rioters de Russie demandaient si des gens voulaient jouer. Puis trois Australiens sont arrivés. Puis quelques minutes plus tard, des Japonais. Et tout à coup... On avait offert ce tout nouveau jeu au monde de Riot. Et des gens du monde entier jouaient ensemble. Tout le dur labeur de l'équipe était enfin récompensé. »
« Je suis presque sûr que le jour où le jeu est arrivé sur le PBE était le meilleur jour de ma carrière », affirme Riot MapleNectar. « C'était incroyable. On a activé la file à 13h. Puis quelqu'un a dit qu'on avait 1 000 joueurs en jeu. Puis on s'est mis à applaudir et à se féliciter. C'était comme si on venait de lancer un missile dans l'espace. Quatre mois de travail pour arriver à ce moment... On s'est dit : Putain. On a réussi. »
« Quand tu dis qu'on s'est mis à applaudir et à se féliciter, qu'est-ce que tu veux dire ? », demande Meddler.
« Je veux dire tout le monde du bureau et l'équipe des modes de jeu », répond Riot MapleNectar.
« Parce que cette joie a contaminé tout le bureau », répond Meddler. « Au moins de notre côté. »
« Quoi ? Sérieusement ? Je ne le savais pas ! », se réjouit Riot MapleNectar.
« Je me souviens de ce moment de joie », ajoute Riot Stimhack.
« Personne ne voulait se sentir exclus », plaisante Riot Wrekz. « Certains avaient aucune idée de ce qui se passait, mais on les entendait quand même crier 'Ouaiiiis !' Et ils applaudissaient. »
« Je me souviens juste avoir été surpris parce que le PBE a habituellement l'air sur-préparé par rapport à ses besoins », explique Riot Nullarbor. « Sur un jour normal, le PBE tourne à environ 10 % de ses capacités. Mais le jour du lancement de TFT, il était à 100 % avec une file vraiment longue. »
« Quand on a vu la file, certains d'entre nous étaient juste là à appuyer sur F5 et à regarder le compteur de Twitch grimper », dit Meddler. « 'Oh, 20 000 ! Ça vient de passer à 50 000 ! Je me demande jusqu'où ça va monter !' » Et enfin, Riot MapleNectar a fini par faire le tour du bureau et à taper dans la main de tout le monde. C'était trop beau à voir. »
« On a hâte de voir ce qui nous attend pour la suite », nous confie Riot Wittrock. « La création et le lancement n'étaient que deux étapes d'un jeu pour les années à venir. On croise les doigts. Je suis ému quand je repense à tout ça, mais je pense vraiment que ce n'est qu'un chapitre dans l'histoire de TFT. »
L'équipe a accompli quelque chose qui n'avait jamais encore été fait à Riot : créer quelque chose à partir de rien en quelques mois seulement. D'un prototype bancal sur la Faille de l'invocateur à un jeu entier.
« Je pense vraiment que le plus sympa, c'était de travailler avec une équipe passionnée et bourrée de talent. Tout le monde était sur la même longueur d'ondes et c'est ce qui nous a permis d'être aussi rapides », explique Riot MapleNectar. « Tout le monde était littéralement indispensable au développement de TFT. Il n'y a pas une personne dont on aurait pu se passer. J'espère vraiment pouvoir revivre une expérience similaire. Parce que c'était vraiment quelque chose d'unique. Je pense qu'on ne vit ça qu'une fois dans sa vie. »
En seulement 18 semaines, les joueurs du monde entier ont pu mettre la main sur TFT. Maintenant, ça fait bientôt un an, nous en sommes au troisième ensemble (Galaxies !) et l'équipe est très optimiste pour l'avenir. Alors, merci à eux et merci à vous. Merci de nous avoir donné l'opportunité de créer TFT. Et merci de jouer.
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